Le portefeuille confié par François Hollande et Manuel Valls à Jean-Marie Le Guen est aussi stratégique qu’inattendu. « Quand j’ai appris qu’il héritait des relations avec le parlement, je suis tombé de l’armoire bretonne », s’exclame le Pr Loïc Capron, président de la CME de l’AP-HP, rappelant que « tout le monde reconnaît au député de Paris le phénotype d’un ministre de la santé ».
Des études de médecine à La Pitié-Salpêtrière, conjointement à un DESS d’économie de la santé à Paris 1 ; à l’Assemblée nationale, des dossiers santé comme la loi Évin dont il fut rapporteur ; à Paris, le poste de maire-adjoint chargé de la santé, la présidence du conseil d’administration de l’AP-HP ; la présidence du conseil de surveillance de la CNAMTS. Et un passage au HCSP (Haut comité de santé publique), sans oublier plusieurs livres (« Sauvons notre santé, avant qu’il soit trop tard », « Retraites et vieillissement : pour un nouveau contrat social »…), autant de références pour gravir, enfin, la marche ultime du ministère. « Le problème, hasarde l’économiste de la santé Claude Le Pen, c’est justement qu’il connaît trop bien l’avenue de Ségur, alors il ne sera pas auprès de Marisol Touraine le Kouchner de Martine Aubry. »
Sans regret apparent : « De toute manière, je n’abandonne pas les sujets santé, annonce l’intéressé. Je resterai très proche de l’AP-HP, en épaulant Anne Hidalgo sur les problèmes. »
Rugosité du style
À l’Assemblée et au Sénat, il aura aussi à intervenir lors des discussions sur les projets et les réformes. Ce sera donc en qualité de secrétaire d’État chargé des relations avec le parlement. Et il ne cache pas sa « fierté d’accéder aux responsabilités gouvernementales, alors que notre pays affronte un moment historique d’une très grande difficulté économique, sociale, civique ». Dans « le combat pour le redressement », la charge de fluidifier les relations entre l’exécutif et des parlementaires PS en rébellion à peine masquée, s’annonce ardue. D’autant que le style du nouveau ministre est parfois quelque peu rugueux. « Si vous voulez dire que j’ai un côté plus chirurgical que médical, rétorque Jean-Marie Le Guen, j’admets qu’il y a du vrai. Mais je connais les limites du débat et je sais poser un regard critique sur mon caractère. »
« Il est fabriqué comme tout médecin, confirme le Pr Capron : il a cet instinct pour aller vers l’autre, le farfouiller un peu partout. Et puis il maîtrise l’alphabet et les problématiques médicales. »
Des problématiques « souvent négligées en politique, déplore Jean-Marie Le Guen. La dimension médicale reste largement absente de la discussion sur la protection sociale ; tantôt elle est surestimée, quand, par exemple, dans la politique pénale ou voudrait donner aux experts une maîtrise qu’ils ne sauraient assumer ; tantôt elle est sous-estimée : ainsi, sur les 20 % d’élèves qui n’ont pas assimilé les bases scolaires, on ne voit pas que la moitié d’entre eux pâtissent d’un déficit neuro-sensoriel lié à un défaut de prise en charge sanitaire. »
La politique comme un combat
« La vision médicale n’irradie pas suffisamment, insiste le médecin ministre : prenez le débat sur l’explosion du sida en Afrique, dans les années 90 : les politiques se disputaient sur ce qui devait être la priorité, de la prévention en santé publique, ou de la politique d’accès aux soins, sans comprendre que l’une et l’autre doivent être menées conjointement, en tension. »
Et la tension, en politique, c’est le combat. Un combat que Jean-Marie Le Guen mène depuis son adhésion, à 20 ans, en 1973, (« sur le tard », confesse-t-il) aux jeunesses socialistes, mouvement dont il sera élu président, rencontrant à plusieurs reprises François Mitterrand rue de Bièvres. Onze années durant, il est ensuite le patron de la fédération socialiste de Paris. Puis classé au PS parmi les strauss-kahniens, ce modéré rejoint les hollandais, lors de la campagne présidentielle, où il conseille le futur président sur les sujets santé. « Alors oui, commente le Pr Serge Uzan, doyen de la faculté de médecine Pierre et Marie Curie, il est dans la mêlée, pile-poil dans le carré, grande gueule, physique, mais avec l’esprit rugby, la première mêlée ouverte n’est pas pour l’impressionner. Je l’ai vu parfois aux prises avec des syndicats très remontés, comme lors d’une inauguration à Tenon ; il fait face et il force à la discussion. »« Il a le cuir tanné par les bagarres qu’il a vécues contre les trotskistes, il pense vite et il maîtrise le verbe », confirme Claude Le Pen.
« Ce boxeur qui sait prendre les coups en donner, ajoute le Pr Capron, pratique la politique comme un noble art, avec un côté parfois Don Quichotte, ferraillant pour ses engagements un peu utopiques. Mais pas idéologiques. Ses points de vue sont plutôt ceux d’un libéral en termes d’économie de la santé. » De fait, le député de Paris se positionne depuis ses débuts militants comme un social-démocrate, jadis mitterrandiste, aujourd’hui approbateur du discours « réaliste et offensif » de François Hollande, lors de la conférence de presse du 14 janvier. « C’est un pragmatique qui aime l’efficience juste », résume le doyen Uzan.
Tout juste installé dans l’imposant Hôtel de Clermont, entre le musée Rodin et l’Hôtel de Matignon, mesurant le poids politique de la charge, le secrétaire d’État s’accorde encore ses deux séances hebdomadaires de natation et quelques tours à vélo pour entretenir sa forme. En attendant d’entrer dans la mêlée parlementaire.
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