C’est l’histoire d’un médecin du Sud-Ouest qui voulait soigner tous les médecins. « Des médecins à bout ! », s’époumone-t-il : ils travaillent en moyenne plus de 60 heures par semaine, renoncent à s’installer pour les plus jeunes, s’épuisent pour les autres avec des consultations honorées 23 euros contre 40 en moyenne européenne. Et ils meurent principalement par suicide (14 % des causes des causes de décès, contre 6 % dans la population générale).
L’avenant n° 8 du PLFSS (diminution des compléments d’honoraires), le projet de loi n° 296 (instauration des réseaux de soins pilotés par les mutuelles) ont joué les détonateurs. Le coup a surpris tout le monde dès 2012, dans la foulée du mouvement « Les médecins ne sont pas des pigeons », lancé par des chirurgiens plastiques en pétard contre leur taux de TVA. Aujourd’hui, 4 500 adhérents ont rejoint l’UFML et 40 000 praticiens reçoivent sa newsletter.
Bêtes noires
Inventeur et président de l’Union pour une médecine libre (« "Union", c’est le mot important », souligne-t-il), Jérôme Marty, à 49 ans, généraliste et gérant d’une clinique de Haute-Garonne, n’en est pas à son coup d’essai. D’un père pupille de la nation et président de la CSMF 61 et d’un grand père chef de réseau de résistance dans la Creuse, il a hérité le goût du combat : « Bien qu’il y soit venu sur le tard, il a débarqué avec l’assurance d’un vieux routier », note le Dr Didier Legeais, vice-président de l’UCDF. Et avec l’humanisme médical en bandoulière. « Ca m’a pris en suivant mon père dans ses tournées, alors que j’étais collégien chez les jésuites de Laouzous, où furent aussi inscrits Villepin et Douste-Blazy. » Depuis, ça ne l’a pas quitté, malgré les changements dits de paradigmes et l’instauration de cette funeste financiarisation de la médecine et l’avènement des mutuelles, ses bêtes noires.
« C’est la grève nationale des médecins exerçant en clinique, en 2001, qui fut mon baptême du feu », se souvient-il. Il monte sa première coordination. « Avec Jérôme, on a dépensé énormément d’énergie pour se battre contre la logique des vendeurs de supermarché, se souvient le gastro-entérologue Jean-Paul Jacques. La cause était juste (l’égalité des salaires entre les secteurs), mais l’issue incertaine et restée cruciale. »« Dans la bagarre, on s’est battu pour l’exercice libéral et libre », témoigne un autre animateur du mouvement, le Dr Philippe Cuq, président du BLOC, en dehors des moules : « Jérôme s’est comporté comme un homme de conviction, loyal, incapable de mentir et de retourner sa veste. Ca se fait rare dans le monde syndical. »
E-leader mais pas que…
Au passage, le généraliste de Fronton découvre et met en œuvre ce qui va devenir sa force de frappe : internet et les réseaux. « À l’époque, les réseaux sociaux n’existaient pas, mais nous travaillé sur une banque de 3 500 adresses mails, en précurseurs », raconte-t-il. L’amplification médiatique fera le reste : « 80 passages télé, 240 à la radio, 600 articles de presse ». En 2012, le buzz aura un effet ultra rapide avec le concours de deux spécialistes de viralisation, en trois jours, l’association des médecins libres (AMELI…) totalise 2 500 adhérents.
Mais Jérôme Marty ne sera pas qu’un e-leader qui a tout compris au web. Il bat aussi les estrades. « Je m’enivre de la griserie incroyable des estrades », reconnaît-il, attentif cependant à « ne pas se prendre pour Jean Jaurès pour se retrouver comme Philippe Val ». Ses formules font mouche sans doute parce qu’elles sont des cris du cœur qui donnent le frisson. À tel point qu’il est appelé à la rescousse sur d’autres fronts que médicaux. En 2001, il devient le référent santé dans la révolte contre le projet d’aéroport de Fronton, organisant une « tournée-santé » qui remplit les salles et obtenant au final l’abandon du Notre-Dame des Landes du grand Sud-Ouest.
Le goût du spectacle
À Fronton encore, il prend la présidence du club de rugby. « Nous étions juste en promotion d’honneur, raconte l’ancien joueur Cyril Renal, Jérôme nous a monté des opérations dignes du Top 14, faisant se produire sur le stade montgolfière, ULM ou grue géante pour des prestations acrobatiques, comme au Stade de France ! » On l’appelle Max, comme Guazzini. « Il nous a même fait baisser le short pour un calendrier des dieux du stade », ajoute cet autre joueur, Vincent Guindani, aujourd’hui pilote au Dakar et qui pourrait bien l’embaucher comme copilote dans une prochaine édition du rallye.
Ce goût des happenings choc fait venir les médias : happening du dromadaire, pour accueillir Marisol Touraine en Charente (décembre 2012), « jour noir » devant le ministère, avec une dizaine de médecins qui « jouent » la mort et le suicide des médecins, corde au cou. D’autres coups sont en préparation, toujours comme au rugby, selon la stratégie « cadrage-débordement ».
Au-delà des méthodes, tout le monde n’adhère pas. Des PH dénoncent « une mobilisation obscène grossière et corporatiste ». « C’est logique, analyse cet autre franc-tireur, le Dr Christian Lehmann : en apparence, Jérôme Marty fait feu d’arguments passéistes et réactionnaires, quand il s’en prend au tiers payant, comme s’il était un salaud de libéral, obsédé par ses dépassements. En réalité, face au mutuelles-gate et au Marisol-gate, il mène un combat à front renversé avec un discours qui fédère la profession autour d’une éthique de conviction contre la financiarisation des mutuelles. En prime, il incarne la souffrance que partagent tous les médecins. »
Ce burn out, Jérôme Marty dit l’avoir affronté de près avec un ami qui a fini par se suicider il y a quatre ans. Et lui, qui tourne à surrégime, enchaînant des journées de 19 heures de veille hyperactive, entre cabinet, clinique, Paris et réunions à travers la France ? « Peut-être ai-je été en situation de burn out, mais je ne l’ai pas dit. » Et il ne nous le dira pas.
« Je suis un émotionnel , reconnaît Jérôme Marty. Quand j’écris, d’une traite, pour le blog, ou pour les réunions, j’arrive à me coller le frisson à moi-même. » « Il est capable de faire monter les larmes dans le public » , témoigne Vincent Guindani (un ancien club de rugby présidé pendant 5 ans par Jérôme Marty). Les formules assassines pleuvent comme à Gravelotte : « Combien de leaders syndicaux promis, avant même leur départ, à des postes honorifiques, placards dorés de la servilité ? Combien de médailles pour docilité ? » Les « orchidectomisés » , comme il les appelle, apprécient moyen.
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