C’EST UNE SPÉCIALITÉ à l’intérieur d’une spécialité, comme un fœtus lové dans le ventre de sa mère, l’endocrinologie-gynécologie et diabétologie pédiatriques que dirige le Pr Michel Polak à l’hôpital Necker-Enfants Malades à Paris. Une discipline qu’il s’est fabriquée par de multiples entrées, pédiatrie, endocrinologie, génétique, biologie du développement, toutes enrichies par des travaux de recherche, ce parcours expliquant peut-être aussi le manque de médecins qui l’exercent aujourd’hui. « Bientôt nous ne serons plus assez nombreux pour faire face à l’augmentation exponentielle de ces maladies endocriniennes de l’enfance », précise le pédiatre.
C’est aussi une médecine de pointe qui s’adresse à une file active de patients, petite en âge et grande en nombre, car le service à l’hôpital Necker-Enfants Malades est un centre de référence pour ces maladies endocriniennes de l’enfant.
Une médaille pour des pionniers.
En 2012, l’European Society for Pediatric Endocrinology lui a décerné son prix annuel de recherche, en présence du fondateur du département d’endocrinologie pédiatrique de Necker, le Pr Raphaël Rappaport, dont le manuel éponyme a porté une partie de nos années de médecine.
« Au fond, ce prix européen qui m’a été donné, récompense les travaux de mon équipe en recherche translationnelle. Nous avons décrit une médecine de preuve de concept en endocrinologie périnatale, en particulier le traitement des maladies thyroïdiennes in utero pour lesquelles nous disposons de publications pionnières, avec nos collègues et amis obstétriciens. En effet, ici, c’est la médecine d’une équipe multidisciplinaire. »
Ces travaux, publiés dans des revues à haut facteur d’impact, ont permis de mieux comprendre le développement de la fonction thyroïdienne du fœtus humain, les interactions materno-fœtales qui concourt à l’établissement de la fonction thyroïdienne de l’enfant, et « de cibler les traitements que l’on peut administrer in utero en les donnant soit à la femme enceinte, connaissant leur possible passage trans-placentaire, soit directement chez le fœtus ». En l’occurrence, la thyroxine (T4) peut être injectée directement dans le liquide amniotique au deuxième et surtout au troisième trimestre de la grossesse.
« Ceci permet au fœtus de la déglutir et de se traiter d’un goitre associé à une hypothyroïdie qui peut mener en l’absence de traitement, de part son volume, à une compression trachéale et/ou à un accouchement problématique. De même, ce traitement in utero pourrait aussi permettre d’éviter les conséquences neuropsychologiques négatives associées à une hypothyroïdie in utero. Mais sur ce dernier point, je suis contesté et en effet, la balance entre le risque des injections intra-amniotiques et le bénéfice attendu doit être soigneusement pesé et évalué dans des essais cliniques. »
C’est pareil dans le domaine des dysrégulations glycémiques néonatales. « On a d’abord compris des mécanismes moléculaires et la physiopathologie des hyperglycémies néonatales chez les nouveau-nés à terme. Cela nous a permis de revenir vers nos très jeunes patients avec des solutions thérapeutiques très logiques en terme de pharmaco-génomique et ainsi de sevrer d’injections d’insuline des enfants qu’on croyait "condamnés" à vie à ces injections. » Ces travaux ont été publiés dans le « New England Journal of Medicine », poursuit Michel Polak ; « notre "créneau", c’est l’endocrinologie du développement : au travers de la compréhension des mécanismes apportés par cette approche, on imagine de nouvelles solutions thérapeutiques ».
Le bouillonnement du questionnement.
D’où vient ce bouillonnement ? « J’ai les mêmes origines que Woody Allen, s’amuse Michel Polak. Je pense qu’il y a quelque chose en nous d’un questionnement quasi permanent. »
Retour sur un parcours qui a ses originalités comme le service militaire en coopération… à l’université Harvard à Boston, pas donné à tout le monde.
« J’ai étudié d’abord la médecine pour la psychiatrie. Dès l’âge de 14-15 ans, j’avais cette idée sûrement sous l’influence de mes origines. Mon père m’a transmis sa passion de la médecine, sa rigueur et sa persévérance – ce qui aide pour faire ce métier ! –, associés à la générosité et au dévouement maternels, développant un système de communication et d’infinie compréhension, comme nécessaire en endocrinologie pédiatrique, se souvient Michel Polak. J’ai finalement fait "l’économie de la psychiatrie" pour me fabriquer une médecine que je trouve plus tournée vers la vie, autour de l’enfant et de ces maladies chroniques, où les décès sont très rares. »
Après avoir débuté à la Pitié-Salpêtrière, Michel Polak part à Necker pour la pédiatrie. La vraie rencontre est celle de Paul Czernichow alors professeur agrégé dans le service dirigé par le Pr Raphaël Rappaport, avec qui il fait un DEA d’endocrinologie. « Paul a été mon mentor, je suis revenu travailler avec lui ensuite. C’est une vraie rencontre, insiste Michel Polak, qui me fait basculer de l’endocrinologie d’adultes à la pédiatrie, à l’endocrinologie pédiatrique et à la biologie du développement. »
« La coopé m’a amené à Boston ! Je suis parti faire mon service militaire à Harvard en 1989. Deux années dans un lieu prestigieux et stimulant où j’ai complété ma formation en diabétologie et biologie, où je n’ai fait que de la recherche avant de revenir à Paris. Dans l’intervalle, Paul Czernichow était parti fonder le service d’endocrinologie et diabétologie pédiatriques à l’hôpital Robert Debré à Paris, où je l’ai rejoint. Je pars à Genève ensuite, après avoir été chef de clinique trois ans, pour me remettre dans le bain de la biologie au Centre Médical Universitaire de Genève où je travaille sur les facteurs de transcription. C’était sans doute prémonitoire car c’est à ce moment-là qu’a explosé la connaissance des maladies liées à des anomalies de gènes codant pour des facteurs de transcription en endocrinologie pédiatrique. »
Les hormones de l’enfant sous toutes les coutures.
En 2002, Michel Polak traverse la Seine pour prendre la direction de l’endocrinologie pédiatrique à Necker. « Je suis passé ainsi à une endocrinologie et diabétologie pédiatriques dans un milieu où la recherche médicale et scientifique est intimement liée aux soins. » Aujourd’hui, son service s’adresse à toutes les maladies qui touchent les hormones de l’enfant : les anomalies de croissance, les plus fréquentes, les anomalies de puberté, avancée ou retardée, toutes les anomalies hormonales comme les diabètes insipides et sucré, l’hyperplasie bilatérale des surrénales, l’hypothyroïdie congénitale et les atypies du développement des organes génitaux. Le service accueille aussi de la gynécologie de l’enfant et de l’adolescente. « Ces trois types d’activité, endocrinologie, gynécologie et diabétologie sont tout à fait synergiques au service de nos jeunes patients. » Cette activité est aussi basée sur les qualités d’une équipe dévouée de soignants et de soignantes, spécialisée et référente dans le domaine. « Nos spécialisations médicales sont en effet assises sur des équipes soignantes – non interchangeables ! – dont il faudra pouvoir maintenir les compétences spécifiques du domaine, en particulier en éducation thérapeutique et en capacité de pratiques d’explorations fonctionnelles minutées, si cruciales en endocrinologie et diabétologie pédiatriques. »
1962 : Naissance
1987 : Doctorat en médecine, Paris VI
1989 : DEA endocrinologie
1989-1991 : Université Harvard, Boston
1986-1989 puis 1991-1996 : Interne des hôpitaux de Paris puis chef de clinique
1994 : Doctorat d’université en biologie, Paris VI
DES de pédiatrie
1996-1997 : Université de Genève
1997 puis 2002 : Maître de conférences des universités puis Professeur, université Paris Descartes
2002 : Responsable médical endocrinologie, gynécologie et diabétologie pédiatriques, Hôpital Necker Enfants Malades
140 publications internationales, membre d’une unité INSERM et équipe affiliée IMAGINE (Institut des Maladies Génétiques de Necker)
2003 : Prix Jean Raymond Ducharme en pédiatrie endocrinologie (Hôpital Sainte Justine Montréal)
2006 : Victoire nationale de la médecine, catégorie diabéto-lipido-nutrition
2012 : Prix de la société européenne d’endocrinologie pédiatrique
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