« Je n’ai jamais cessé d’être médecin ; vous voyez, je suis toujours inscrit à l’Ordre », annonce Denis Mollat, arborant fièrement sa carte professionnelle. Pour ce chef d’entreprise bordelais, directeur général de la plus grande librairie indépendante de France, la médecine est bien davantage qu’un souvenir : « C’est le seul métier que j’ai vraiment appris, dit-il. Et il m’a préparé à tous les autres, par ses valeurs : curiosité, écoute, pathognomie, goût du détail… »
Aujourd’hui, son immense librairie, installée au cœur de Bordeaux, s’apprête à fêter ses 120 ans ! Véritable institution, elle s’impose par un fond considérable (310 000 volumes), une équipe de libraires aguerris et une communication culturelle qui diffuse ses contenus sur tous les grands réseaux numériques.
Dynastie
Héritier d’une librairie-papeterie-maroquinerie fondée en 1896 par son arrière-grand-père, Denis Mollat a pourtant tenté d’échapper à l’hérédité de cette dynastie du Livre : « Dans ma jeunesse, je venais peu à la librairie. Ce métier ne m’attirait pas. Vous savez, dans une entreprise familiale, il y a toujours des problèmes de famille… Moi, j’avais envie d’ouvrir grande la porte ! Ce fut la médecine. Pourquoi ? Je ne sais pas ; peut-être à cause des revues médicales dans lesquelles j’avais pris l’habitude de découper les publicités de médicaments… »
Sa vocation est double. « Soigner et trouver des réponses à mes propres angoisses », précise-t-il. D’où, peut-être, son attirance pour la psychanalyse à laquelle il a toujours largement ouvert les portes de sa librairie.
Durant ses études, il travaille en anesthésie-réanimation, au SAMU et en psychiatrie ; il rencontre son épouse, médecin, exerçant aujourd’hui dans le service endocrinologue à l’hôpital Haut-Lévêque de Pessac (Gironde).
« Libraire malgré lui »
Mais la trajectoire médicale de Denis Mollat se brise soudain : « J’ai présenté ma thèse et me suis inscrit à l’Ordre, en sachant que je serais… libraire », se souvient-il. Pourquoi ce retour dans le giron familial ? « C’est un grand mystère », lâche-t-il.
« Libraire malgré lui », il rejoint l’entreprise en 1982, pour en prendre seul les rennes en 1990, au départ de son père. « Je ne connaissais rien, j’étais un peu perdu », avoue-t-il. Mais l’heure n’est pas aux atermoiements. La distribution du livre vit une mutation : la FNAC arrive à Bordeaux en 1985. En 90, un Virgin Megastore s’installe tout près de la vieille librairie Mollat, qui fait figure de dinosaure. Désuète, compassée, avec ses libraires en blouses blanches, ses recoins, sa vétusté dans l’accueil et la gestion, la voilà ringardisée par les nouveaux géants de la distribution culturelle ! Pire, elle perd son directeur et une partie de ses libraires qui passent à la concurrence. Les rats quittent le navire…
Révolution culturelle
Mais la librairie Mollat n’a rien du Titanic. Elle a un tout autre capitaine : « À aucun moment je n’ai eu peur, souligne Denis Mollat. J’ai organisé la résistance. » Il enclenche alors une véritable révolution culturelle qui, en dix ans, fera passer sa librairie du XIXe au XXIe siècle : recrutement de cadres expérimentés dans la distribution moderne du Livre, doublement de la surface de vente, unification des surfaces satellites un seul magasin, nouvelles techniques de gestion, marketing, merchandising, informatique… « J’avais des convictions qui se sont révélées justes : une bonne librairie exige un fond important et de qualité, et des libraires compétents », explique le Dr Mollat. Sa médication simple se révèle efficace. Virgin jette l’éponge. La librairie regagne des parts de marché, retrouve des couleurs et ses clients : « En fait, nous n’étions pas si ringards que ça. »
Jeune chef d’entreprise, Denis Mollat fait aussi ses classes dans le monde économique. « À 31 ans, je suis entré au Rotary où la moyenne d’âge était de 82. Au début, j’étais terrorisé, mais j’ai beaucoup appris. » Tant et si bien qu'on lui propose divers mandats qu’il accepte et même cumule : administrateur de banque, conseiller à la Banque de France, président du Cercle de la Librairie, membre de l’Académie du Vin de Bordeaux… Plus récemment, à la demande d’Alain Juppé, il prend la tête du Conseil de Développement Durable de la Métropole bordelaise. Notre libraire médecin est aussi consul du Mexique ! Une surprenante charge, acceptée par passion de la littérature mexicaine et par curiosité : pour découvrir la réalité d’un pays par ses rouages administratifs.
Le dernier des encyclopédistes
Touche-à-tout, Denis Mollat se nourrit d’expériences et de rencontres : « Avec les auteurs, chaque rencontre est une histoire ; des centaines ont été importantes, marquantes, en particulier avec Michel Serres, Michel Onfray ou Jean Laplanche, psychanalyste, médecin et vigneron… »
Passionné de culture, mais aussi de sciences (il adore les technologies numériques, l’aéronautique, pilote avions, hélicoptères ou drones…) il aime à rappeler : « Le libraire est le dernier des encyclopédistes. »
Quant à la médecine, elle n’est jamais loin : « Dans mon iPhone, j’ai toujours le Vidal et l’encyclopédie Hamburger, montre-t-il. Je n’ai jamais exercé, mais il m’arrive de faire quelques des consultations, à titre gratuit exclusivement, et de prescrire, pour des auteurs ou des libraires… » Personnalité atypique, Denis Mollat se définit sans tendresse excessive : « Je suis râleur, j’ai mauvais caractère et on ne m’a jamais pris pour un vrai libraire. Mais, avec mes équipes, nous partageons les mêmes valeurs. Et, ensemble, nous avons réussi à faire de notre librairie, le miroir social et culturel de la vie bordelaise. »
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