Le 5 octobre 1990, Christine Janin atteignait le sommet de l’Everest, à 8 848 mètres d’altitude. « Pas grand monde ne peut comprendre ce qu’on vit là-haut », se souvient-elle.
Est-ce par pudeur ? Par goût de l’avenir plus que du passé ? Christine Janin reste discrète sur cet extra-ordinaire. Peut-être est-ce aussi parce que l’étiquette « Première Française sur le toit du monde » ne saurait résumer celle que d’aucuns décrivent comme « hors normes », « douée d’une aura », « douce comme la neige, droite comme les montagnes, avec un sourire d’enfant ». Une aventurière, à qui la médecine a ouvert les portes de la haute montagne, et a permis de sublimer son expérience en un message qu’elle partage avec générosité.
Médecin aventurière
Née à Rome d’une mère bretonne, entourée de 4 frères, Christine Janin monte sur des skis à 3 ans et navigue chaque vacance dans les contrées maternelles. « J’aimais l’aventure dans le sport, comme plus tard, j’ai aimé le voyage et l’extraordinaire dans les expéditions. Sortir des sentiers battus, tout en cherchant à donner du sens. »
À 15 ans, elle découvre l’altitude sur les rochers de Fontainebleau, à 17 ans, les raids à ski. En terminale elle part en stop à Plymouth et embarque pour le Fastnet*. « Je n’avais jamais navigué sur de grands bateaux. J’ai fait comme si je savais. Heureusement, il n’y avait pas trop de vent ! ».
Christine Janin étudie la médecine à Saint-Antoine, à Paris. Elle pense un temps se spécialiser dans l’anesthésie-réanimation ou l’urgence. Mais à 24 ans, elle part deux mois au Pakistan, faire son premier 8 000 m, le Gasherbrum II, comme médecin d’expédition. « Là, j’ai mis le doigt dans l’engrenage. »
La jeune femme enchaîne les aventures, toujours comme « médecin d’expé ». Elle soigne les populations des villages et prend soin de l’équipe. « Vous avez un rôle d’accompagnant, d’attention, de prévention. La médecine c’est aussi ça. »
Elle consacre sa thèse, sous la direction du Pr Jean-Paul Richalet (fondateur de l’ARPE, association pour la recherche en physiologie de l’environnement), aux modifications électrocardiographiques d’un groupe de médecins partis en expédition. Un travail inédit pour l’époque.
« Puis un jour en 1990, je me suis retrouvée sur le toit du monde. » Comme un aboutissement logique. « Elle était très volontaire, rigoureuse, et compétitrice » se souvient Pascal Tournaire, photographe de l’expédition. « À l’époque, on faisait quelque chose de dingue. Cela demandait un vrai engagement », souligne-t-il.
Loin d’en tirer gloriole pour la galerie, Christine Janin en fait le début d’un chemin intérieur, illuminé par une question cruciale : Comment redescendre de l’Everest ? « Il fallait que j’arrête les grandes expéditions. J’allais dans le mur. Je n’aurais pas continué pour les bonnes raisons. »
Message de l’Everest
Après un dernier tour de piste dans les plus hauts sommets de chaque continent, le Challenge des Seven Summits, sa vie prend un nouveau tour lorsque Hélène Voisin, directrice de l’école de l’hôpital Trousseau, lui demande de raconter ses voyages aux enfants malades. « J’ai retrouvé mon métier de médecin, la blouse blanche, l’hôpital », explique celle qui n’a jamais, à proprement parler, exercé dans un cabinet.
Face aux enfants, elle transforme son expérience de l’Everest en un message : « Très vite, j’ai fait le parallèle entre la montagne et la maladie : au début, c’est une avalanche qui vous tombe sur la figure, puis il faut atteindre un sommet, traverser des paliers, la crevasse, en équipe, en cordée, et puis il faut continuer, et enfin, vient la descente, délicate. » Quand il faut apprendre à vivre avec une expérience de l’extrême que peu de personnes ont partagée. « Je n’ai pas la prétention de les faire guérir mais de les aider à en sortir libres et fiers, portés par un élan de vie », dit-elle.
Précurseur et unique
Christine Janin gagne la confiance des soignants et de l’équipe. Au bout de deux ans, elle décide d’emmener les enfants à la montagne pour éprouver concrètement la métaphore. « Ça ne se faisait pas de les sortir de l’hôpital », se souvient-elle. « Elle a été précurseur dans la réflexion sur l’après traitement et la qualité de vie après la guérison », témoigne le Dr Dominique Valteau-Couanet, chef du département cancérologie de l’enfant et adolescent à Gustave Roussy.
Engagée par nature, Christine Janin va crescendo. En 1994, elle fonde l’association « À Chacun son Everest ! » avec le Pr André Baruchel et emmène une centaine d’enfants à Chamonix. Elle achète une maison face au Mont-Blanc. Pas n’importe laquelle : celle ayant appartenu à Joseph Vallot, chercheur humaniste, auteur de la première étude sur les effets du manque d’oxygène.
La pertinence de la cause s’impose. « Il y avait un réel besoin. Et j’avais ce message d’Everest à faire passer, de sommet à atteindre et à redescendre », dit Christine Janin. « Ces stages sont uniques par leur objectif de revalorisation et de renarcissisation des patients. Les enfants se réapproprient leur corps, font des choses qu’ils n’auraient jamais imaginé faire, et repartent plus confiants dans la vie », affirme le Dr Valteau-Couanet.
Vingt ans plus tard, « À Chacun son Everest ! » a grandi. « Elle tient le cap, comme un chef d’entreprise », assure Laurent Seer, le directeur administratif et financier. Insatiable de nouveaux projets, Christine Janin a ouvert en 2012 ses portes aux femmes. « Il y a peu de chose pour elles, leur cancer est souvent banalisé. » Une semaine dans cet écrin, entre sport et soins de support (yoga, arts martiaux, qi kong, tai chi, méditations, thermes… ), sous le regard bienveillant de Christine Janin, leur « redonne des ailes », rapporte Alexandra, venue à Chamonix en juin dernier. « Elle nous dit : "Fais-toi confiance", et on y croit. Elle nous libère des peurs qui nous retiennent et nous offre un tremplin », continue cette femme qui a fondé son propre festival dans la foulée du stage.
« Quand elle ouvre les portes, c’est pour toujours », ajoute Pascale, venue en juin 2014. Christine Janin est aujourd’hui première de cordée d’une vraie communauté, de femmes, d’enfants, mais aussi de fidèles partenaires, et d’une équipe soudée. Ce qui lui permet parfois de s’octroyer des respirations personnelles, faites de sport et de voyage, dans cette vie consacrée aux autres.
Article publié initialement le 12 novembre 2015
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