Ne vous fiez pas à sa petite voix, ni à son air hésitant. Agnès Buzyn est de ce bois dont sont faits les meneurs qui, comme elle, n'ont nul besoin de hausser le ton pour se faire entendre. Alors qu'elle endosse tout juste les habits du Pr Jean-Luc Harousseau, son prédécesseur démissionnaire à la présidence du collège de la HAS, nul doute qu'Agnès Buzyn imprimera sa marque à cette institution, comme elle l'a fait précédemment à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), puis à l'Institut national du cancer (INCa).
« Dès mon plus jeune âge, assure la nouvelle présidente, la science a été pour moi une évidence. J’aimais toutes les matières scientifiques. » Avec un père chirurgien orthopédiste, un oncle chirurgien, et un autre anesthésiste-réanimateur, la médecine était une affaire de famille. La voie était d'autant plus tracée pour la future patronne de la HAS que dès l'âge de 14 ans, son père l'emmenait au bloc où elle faisait parfois office d'aide opératoire.
« Ce n'est pas tout d'être guéri »
Les études de médecine ? « J'ai adoré ça », confie-t-elle, l'œil presque humide. Même adoration pour sa spécialité d'hématologie, parce que, dit-elle, on y accompagne des personnes, souvent pendant des années. « Car ce n’est pas tout d’être guéri physiquement, ajoute-t-elle. Si c’est au prix de séquelles psychologiques, sociales ou professionnelles dramatiques, on n’a fait que la moitié du chemin. » Agnès Buzyn fait son internat à Necker, et dans la foulée, on lui propose un poste de chef de clinique et de praticien hospitalier. Elle l'accepte.
La découverte du plafond de verre
Dans cet univers à l'époque essentiellement masculin, Agnès Buzyn débute avec enthousiasme son activité professionnelle. « Être femme présentait des avantages et des inconvénients », se souvient-elle. Au départ, elle voit surtout les avantages, et ne sent guère le poids de la compétition. Mais quand arrivent les premières responsabilités, continue-t-elle, « l’univers masculin s'est imposé à moi. Car les hommes ne se rendent même pas compte qu’ils ne se posent jamais la question de coopter une femme ».
Agnès Buzyn commence à prendre du galon au moment où les politiques commencent à instaurer la parité. « Je suis totalement lucide sur le fait que j’ai été nommée à l’IRSN parce que j’étais une femme », confie-t-elle.
Fukushima mon amour
En 2008, elle est nommée présidente de cet Institut. Le 11 mars 2011, le tremblement de terre, puis le tsunami de Fukushima au Japon, la propulsent malgré elle sur le devant de la scène. Gros coup de stress : « Quand vous savez que l’île principale du Japon risque d'être rayée de la carte par les radiations, et que vous vous retrouvez au 20 heures de TF1 à expliquer ce qui se passe, vous vous dites, pourquoi ai-je accepté ce poste ? »
Rien ne semble cependant pouvoir lui résister. Deux mois après, Agnès Buzyn est nommé à l'INCa, où elle prend la succession du Pr Dominique Maraninchi, parti pour l'ANSM. Elle y participe à l'élaboration et à la mise en œuvre du 3e Plan cancer. « Ça a été un moment clé où j’ai pu mettre en pratique tout ce que j’avais pu porter toute ma vie auprès de mes patients », confie-t-elle. Elle obtiendra aussi de haute lutte quelques acquis, comme le droit à l'oubli.
« Je ne veux aucune idéologie à la HAS »
Timide mais déterminée, Agnès Buzyn reconnaît que lorsqu'elle a appris la démission du Pr Harousseau, au moment où son mandat à l'INCa arrivait à échéance, ça a été plus fort qu'elle : « Je me suis dit que ça pouvait être un beau challenge pour une fin de carrière. » Et elle fonce, et prend la tête de cette institution début mars 2016.
Il faut l'avoir vue auditionnée par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale en janvier dernier pour comprendre comment sa tranquille détermination a eu raison d'un parterre de députés plus habitué à des candidatures masculines. Le Pr Jean Léonetti, député LR des Alpes Maritimes, s'en souvient encore : « Je ne la connaissais pas du tout personnellement, mais je savais qu'elle était reconnue par ses pairs. J'ai tout de suite senti qu'elle avait la volonté de moderniser les institutions qu'elle dirige, et que, politiquement, elle avait un regard neuf. » Les membres de la commission voteront à l'unanimité en faveur de sa nomination à la tête de la HAS.
Le Dr Chantal Belorgey, Directrice des recommandations, du médicament et de la qualité de l'expertise à l'INCa, la rejoindra à la HAS. Avant l'INCa, elle ne la connaissait pas personnellement, mais, travaillant au cabinet de Marisol Touraine, elle l'avait croisée à quelques reprises. « C'est pour elle que je suis allé à l'INCa, confie-t-elle au « Quotidien ». J'appréciais sa lutte contre les inégalités, contre les pertes de chance, pour une prise en charge de qualité partout et pour tous. Elle a en plus la rigueur scientifique nécessaire pour appuyer ses actions ». Agnès Buzyn lui a proposé de la suivre à la HAS, « et évidemment, j'y vais », confie Chantal Belorgey.
Quelles seront les priorités d'Agnès Buzyn ? « Si je dois avoir un seul objectif à la tête de la HAS, confie-t-elle, c’est de contribuer à améliorer la santé des Français et la qualité des soins qu’on leur prodigue. » Agnès Buzyn s'est engagée à n'effectuer qu'un seul mandat à la tête de la HAS.
Et après ? On sent Agnès Buzyn peu préparée à la retraite. « Je n’ai pas de hobby particulier, confesse-t-elle, mais je serai sûrement membre d’une association ». Sinon, elle s'occupera de sa famille et de ses enfants. « Je ne suis pas sûre de leur avoir consacré tout le temps que j’aurais dû, et je rattraperai ça. »
Son mari n'est pas un inconnu. Yves Lévy, avec qui elle a trois enfants, est directeur général de l'INSERM. « Nous occupons tous deux des postes de responsabilité, et ça peut faire des envieux », reconnaît Agnès Buzyn. L'étiquette de femme de gauche lui colle un peu à la peau. « Je ne sais pas si je suis très très à gauche, mais au fond, je suis probablement de sensibilité social-démocrate, glisse-t-elle en riant. Mais j’ai servi des gouvernements de droite comme de gauche, avec la même loyauté. »
La rencontre se termine et Agnès Buzyn est manifestement soucieuse de ne pas rater sa sortie. « Je n’aime pas les portraits, lâche-t-elle après s'être laissé interroger pendant près d'une heure. J’espère que ce que je ferai à la HAS, ou ce que j’ai pu faire avant en dit plus sur moi que l'article que vous préparez. On n'existe que par ses actes, c’est le bilan qui fait l’homme. »
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