« Je n’ai pas vocation à rester perpétuellement président de la Caisse autonome de retraite des médecins français (CARMF) », assurait-il au « Quotidien » à la veille de son élection en mai 1997. « Je ne passerai pas dix ans à la tête de la CARMF, j’espère passer la main dans trois ans », confiait-il en 2000 tout juste réélu.
Raté ! Dix-huit ans après sa prise de fonction, sauf coup de théâtre, le Dr Gérard Maudrux va quitter la présidence de la caisse de retraite, lors du conseil d’administration du samedi 12 septembre. Un décret paru cet été modifie les règles de gouvernance des sections professionnelles de la caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales. Ce texte de la DSS limite à trois le nombre total de mandats des présidents de caisse. « Un texte taillé sur mesure pour me mettre dehors », clame le chirurgien retraité de 66 ans, fort en gueule, qui a marqué le secteur.
La pétition mise en ligne par ses soutiens (nombreux à s’exprimer sur le site du « Quotidien ») et signée par près de 4 000 personnes n’y changera rien. Gérard Maudrux en a pris son parti. « Dans ma tête, j’ai déjà tourné la page, je ne me représenterai pas. Et c’est avec soulagement que je quitte mes fonctions. » La CARMF appartiendra bientôt au passé d’un homme qui y a été omniprésent. Comment ce fils d’ingénieurs a-t-il pu devenir incontournable à la caisse de retraite des médecins ? Lui-même a du mal à l’expliquer.
Homme d’Action
Le Dr Maudrux s’est fait un nom en 1991 en fondant Action santé. Il parvient à mobiliser des médecins, kinésithérapeutes, pharmaciens, dentistes... contre la politique de santé de Claude Evin, alors ministre, accusé de vouloir « rationner les soins » et « étatiser la médecine ». Avec le CNPS, Action santé rassemblera jusqu’à 300 000 personnes à Paris le 17 novembre 1991. Ce fait d’armes le prédestinait à une carrière syndicale... ou politique.
À cette époque, il est invité à Paris par Nicolas Sarkozy. « Il a passé plus d’une heure à essayer de me convaincre de me présenter aux prochaines élections, se souvient le Dr Maudrux : "On a vu ce que vous étiez capable de faire tout seul depuis Grenoble, vous arriverez bien à nous prendre une circonscription. Dites-nous laquelle vous intéresse, vous l’aurez." Je n’ai pas cédé. » La politique n’était pas faite pour lui. En mai 1997, il se présente sans étiquette aux élections législatives de Savoie contre Hervé Gaymard, alors secrétaire d’État à la Santé et à la Sécurité sociale. Il n’obtient que 2,16 % des suffrages. Même s’il a adhéré quelques années au SML, et une fois à la FMF et à la CSMF, le chirurgien ne se sent pas non plus l’âme d’un leader syndical. Son dada, ce sera la retraite. En 1993, il s’empare de ce dossier et fonde SOS Retraite. « C’est un agitateur, il fait partie des gens qui font bouger les choses », commente le Dr Jacques Meurette, chirurgien qui l’a côtoyé au SML et avec qui, notamment, il a contribué à fonder le SUC, syndicat unifié des chirurgiens. SOS Retraite réalise un ras de marée aux élections des délégués départements de 1997. L’association s’oppose au projet de la direction de la CARMF d’augmenter significativement les cotisations et propose de développer la retraite par capitation. Mis en minorité en 1998, il démissionne après que le CA a décidé une forte augmentation des cotisations. L’ancien président, le Dr Claude Labadens, reprend les commandes de la CARMF pendant 18 mois. « Il n’y avait pas de grandes différences entre la politique du Dr Maudrux et la mienne, se remémore le Dr Labadens, si ce n’est que j’aurais augmenté un peu les cotisations pour éviter une baisse des retraites. »
De retour aux affaires en 1999, Gérard Maudrux sera systématiquement réélu tous les 3 ans. Triomphalement.
Caractère bien trempé
Sa caisse, il l’a conduite d’une main de fer. « C’est un homme de conviction, qui n’accepte pas les compromis. Il a parfois été mis en minorité par le conseil d’administration mais n’a jamais trahi la démocratie », commente le Dr Yves Léopold, vice-président de la CARMF, et proche confident du Dr Maudrux, qui est son voisin dans le Gard. L’homme donne l’impression d’être caractériel et sec. « C’est une carapace, ajoute le Dr Léopold. Il nous a annoncés un jour la mort d’une administratrice et n’a pas pu finir, il a fondu en larmes. »
Ce caractère bien trempé et ses prises de position parfois radicales, exprimées dans les éditos du bulletin de la CARMF, ont fortement compliqué les rapports de Gérard Maudrux avec les syndicats de médecins, surtout la CSMF et MG France. Il a défendu pendant plusieurs années la fermeture progressive de l’ASV, une perspective à laquelle les deux syndicats se sont toujours opposés.
Si l’homme a indéniablement séduit la profession, sa méthode a divisé les responsables syndicaux. « Il a marqué son époque et restera comme un grand président de la CARMF », soutient le Dr Jean-Claude Régi, qui l’a côtoyé lorsqu’il était à la tête de la FMF et fut longtemps l’un de ses seuls soutiens syndicaux. « Attaquer directement des syndicats ou des ministères comme il l’a fait n’est pas la meilleure façon d’obtenir ce que l’on veut », commente le Dr Yves Decalf, président du syndicat des médecins concernés par la retraite.
Un bilan en débat
« Je salue l’homme qui a pris de son temps pour s’occuper de la CARMF mais je ne salue pas son bilan, déclare l’un de ces principaux détracteurs, le Dr Claude Leicher, président de MG France. Il voulait arrêter les hausses de cotisation, supprimer l’ASV et ne pas toucher à l’âge de la retraite à 65 ans, il a échoué sur ses trois objectifs. »
L’intéressé ne partage évidemment pas ce constat. Il se réjouit du quasi-équilibre du régime complémentaire et d’avoir fait de la CARMF une des caisses les plus sociales et confraternelles de France, qui vient notamment en aide aux confrères malades. Il regrette que les cotisations soient encore trop lourdes pour les praticiens aux bas revenus et que son projet de retraite à la carte n’ait pas emporté l’adhésion de tous.
Depuis quelques années, la retraite moyenne des médecins libéraux s’est maintenue autour de 2 600 euros avant prélèvements sociaux alors que le nombre de praticiens retraités n’a cessé d’augmenter (58 000 en juin 2015 contre 40 000 en juillet 2010).
Le chirurgien a consacré une grande partie de sa vie à la retraite mais n’a pas vraiment soigné la sienne en cessant son activité à 57 ans quand la majorité de ses confrères partent à 65 ans. « J’ai cotisé moins longtemps et avec la décote, je touche 2 200 euros net de retraite par moi », explique-t-il.
Bricoleur, Gérard Maudrux a retapé un moulin de fond en comble dans une commune du Gard. « J’ai tout refait : plomberie, menuiserie, électricité, ça m’a pris quatre ans. On ne peut pas être un bon chirurgien si on n’est pas un bon bricoleur. »
Lire aussi : « Les opérations coup-de-poing d'un agitateur »
Article précédent
Kurt Matthaus : des villageois mosellans aux expat’ de Shanghai, il n’y a qu’un pas
Dr Olivier Véran : du syndicalisme à l’Assemblée, la fulgurante ascension
Dr Frédéric Tissot : la tête à Paris, le cœur à Erbil
Jack, François et Thomas Mouchel : la gynéco en héritage
Denis Mollat : un médecin en librairie
Catherine Bonnet : une lanceuse d’alerte au Vatican
Elsa Cayat : « La psy de Charlie » ou la passion des mots et des gens
Abdel-Rahmène Azzouzi : contre l’invisibilité, le verbe
Jean-Christophe Rufin : médecin caméléon
Pr Sadek Beloucif : un réanimateur pour déchoquer la société française
Mathieu Coulange : l'effet subaquatique
Jean Abitbol : la voix des autres
Florence Cortot : anesthésiste le jour, humoriste le soir…
Pr Cécile Badoual : la croisade d'une femme contre le HPV
Dr Albert-Claude Tahar : en arrêt de travail malgré lui
Dr Borhane Ferjani : d'une élection l'autre, les sirènes de la politique
Muguette Bastide : diptyque polychrome d’une femme médecin
Petit Bertrand et Docteur Virieux : un cardiologue contre un cardinal
Michel Bénézech : médecin du crime
Devi Shetty : chirurgien cardiaque low-cost
Patrick René-Corail : aux petits soins pour la santé martiniquaise
Maryline Salvetat avec son peloton vers Rio
Jannie du Plessis : un médecin en première ligne
Louis Lareng : de l’hôpital « au pied de l’arbre » à la télémédecine
Michel Aupetit : l’ex-généraliste « bizarre » devenu évêque de Nanterre
Dominique Martin : le parcours atypique d’un médecin touche à tout
Matthias Lambert : chercheur et myopathe
Ibrahima Maïga : pratiquer la médecine sous la coupe d’Aqmi
Aaron Carroll : Dr YouTube
Wilfredo Martinez : un médecin sous pression
Pr Jean-Pierre Neidhardt, la mémoire vivante
Mariam Rastgar : l'étonnante Odyssée d'une étudiante en médecine hors norme
Pierre Duterte : homme de l'Art, médecin de l'être
Védécé : planches de vie
Laurent Seksik : le médecin-star malgré lui
Pr Alain Serrie : humaniste ambitieux contre la douleur
Pierre Corvol : grand diffuseur de savoir
Agnès Buzyn : une féminité assumée dans un monde de mandarins
Cécile Colavolpe : Un choix de vie majeur
Dr Raphaël Pitti : soigner et témoigner
Dr Stella Verry : in Memoriam
Dr Roberto Anfonsso : la médecine de campagne... c'est son dada !
Kurt Matthaus : des villageois mosellans aux expat’ de Shanghai, il n’y a qu’un pas
Gérard Maudrux : l’inoxydable patron de la CARMF tire sa révérence
Dr Jérémy Saget : le chant de Mars
Dr Giulia Grillo : une ministre de la Santé 5 étoiles !
Henri Borlant : et après Auschwitz, il y eut la médecine générale
Dominique Stoppa-Lyonnet : prédisposée aux débats d’idées
Jean-Baptiste Grisoli : pilier de la santé du XV de France
Patrick Bouet : la discrète ascension d’un praticien déterminé
Chris Murray : le médecin qui mesure la santé du monde entier
Michel Polak : le fœtus est devenu son patient
Milad Aleid : péril en la famille
Borée, docteur blogueur en campagne
Dr « Fanch » Le Men : médecin de famille depuis 13 lustres
Robin Ohannessian : au cœur de la télémédecine
Dr Philippe Grimaud : héraut d'une mort plus civile
Jérôme Marty : ascension à front renversé
Patricia Vaduva : Miss prévention
Virginie Maincion : soigner mais pas seulement
Anandibai Joshi : les histoires les plus courtes sont parfois les meilleures
François Desgrandchamps : en marche
Ghada Hatem-Gantzer : militante pro-femmes
Franck Le Gall soigne les Bleus et les bosses
Stéphane Clerget : un psy passe à table
Jean-Marie Le Guen : un médecin pour soigner les crises parlementaires
Dr Baptiste Beaulieu : l'humanité à fleur de peau
Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil : la possibilité d'une écoute
Christine Janin : première de cordée
Dr Francis Hermitte : il y a un an, sur l'épicentre médiatique du monde
Pr Philippe Touraine : elle c'est elle, lui c'est lui
Stéphane Delajoux, Bashing doctor
Alexandre Fuzeau : Docteur Ice, champion de nage en eau glacée
Pr Bernard Bioulac : une vie entre Science et Humanisme
Dr Jean Denis : les chemins de traverse d'un médecin de campagne
Dr Jochen Walza : « deutsche Qualität » à Marseille
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature