Au taquet ! Qu’il s’agisse d’opérer une césarienne en urgence ou de lever des fonds pour son projet de Maison des femmes, le Dr Ghada Hatem-Gantzer répond présent, en bon petit soldat de la gynéco.
De son passage dans l’armée, en tant que médecin contractuel à l’hôpital militaire Bégin, elle a gardé l’esprit de corps et un goût assumé pour la discipline. Sans pour autant rentrer dans le rang. « La grande muette », très peu pour elle. Cette anti-militariste convaincue n’est pas vraiment du genre à se plier silencieusement aux normes. Au sein de l’armée, elle monte un centre dédié à la stérilité et passe outre certaines résistances pour pratiquer des IVG, un « droit des femmes » qui lui tient à cœur. « Je suis arrivée en France à la fin des années 1970, juste après sa légalisation. » Un combat qui a forgé la vocation de celle qui se destinait d’abord à la pédiatrie. « C’était mon côté fleur bleue », plaisante la gynécologue, convertie à l’obstétrique un soir de garde en 1979.
La jeune stagiaire observe, fascinée, une vieille sage-femme sortir un deuxième jumeau du ventre d’une mère après des heures de galère. « En quelques gestes, elle a résolu le problème. » Un heureux dénouement conforme aux vœux de l’étudiante en médecine, débarquée à Paris à 18 ans, après une « fin de scolarité chaotique au Liban », guerre oblige : « Je voulais alors un métier avec du sens, où on agit au bénéfice des gens. » À ce titre, « la salle d’accouchement reste un lieu symbolique, où il se passe quelque chose de très fort ». L’arrivée de la vie, parfois assombrie par l’irruption de la mort. « Perdre une maman, c’est un cauchemar absolu », lâche cette gynécologue engagée, elle-même mère de trois enfants. Au fil des établissements, souvent réputés pour leur militantisme en faveur de la « bientraitance » ou de « l’accouchement sans douleur », l’expérience a conforté sa vision d’une « médecine qui traite, respecte et accompagne au mieux la femme ». Et ce, sans discriminations sociales ou culturelles.
Une « plaie ouverte »
En 2010, son arrivée comme chef de service à la maternité Angélique du Coudray, à Saint-Denis, lui offre l’occasion de mettre en œuvre cette vision humaniste des soins. « C’était un vrai défi, mais une opportunité unique de mixer tout ce que j’avais vu de bien par ailleurs. » Partant du principe que « les FIV ne sont pas réservées à un public privilégié », elle lance un projet de centre d’assistance médicalisée à la procréation, avec le laboratoire Drouot. « Un premier challenge » dans l’un des départements – le fameux 9.3 – les plus défavorisés de France, avec un taux de pauvreté avoisinant les 25 %.
Non sans difficultés, elle finit par décrocher son agrément en 2012. Dans la foulée, la gynécologue s’attelle à un nouveau chantier : l’ouverture d’un centre de prise en charge du cancer du sein, en partenariat avec l’Institut Curie. Un projet né du constat que « les femmes les plus précaires sont souvent les plus tardivement diagnostiquées ».
Son autre cheval de bataille : la mise en place d’une unité de prise en charge des mutilations sexuelles, basée sur une coordination optimisée des sages-femmes et médecins, sexologues, psychologues, chirurgiens. « Sur plus de 4 000 femmes qui accouchent ici chaque année, 14 % sont excisées. » L’excision, une pratique interdite en France – passible de vingt ans de réclusion – et une « plaie » ouverte pour les femmes, souvent victimes de séquelles. « Les vaisseaux peuvent se nécroser, des fistules se former, sans parler de tous les dommages collatéraux : traumatismes multiples, cicatrices ultra-douloureuses, avec des incidences sur la vie intime et sexuelle… » Et des complications sont susceptibles de surgir lors de l’accouchement. En poste à la maternité Saint-Vincent de Paul, Ghada Hatem-Gantzer se rappelle ainsi avoir « défibulé sous péridurale une femme enceinte, excisée et infibulée ». À Bégin, dans les années 2000, les équipes sont également confrontées aux mutilations sexuelles, concentrées « dans 29 pays africains et du Moyen-Orient », selon l’OMS. « L’armée française avait un hôpital à Djibouti et les sages-femmes y allaient régulièrement en mission. D’où une vraie sensibilité sur le sujet », relève la gynéco.
Course aux fondations
En Seine-Saint-Denis, elle trouve un écho favorable à son combat contre les violences faites aux femmes. « Le département a été pionnier en la matière, avec notamment le lancement du dispositif de téléphone "grand danger", visant à prévenir les féminicides. » Son projet de Maison des femmes, pensé comme un lieu ressources et un sas entre la rue et l’hôpital (voir encadré), s’inscrit dans cette dynamique. Une première pierre symbolique est posée, le 8 mars 2014, sur un terrain vague cédé par le centre hospitalier. Symbolique, car si le projet fédère les bonnes volontés, l’argent manque. S’ensuit « une bagarre pour trouver des fonds ». La gynécologue n’hésite pas alors à aller au charbon en sollicitant fondations, collectivités et institutions. De contact en contact, un réseau vertueux se constitue bientôt autour du projet, soutenu par les fondations Kering, Raja, Elle… Jusqu’à réunir, subvention après subvention, « presque » tout le budget nécessaire à sa concrétisation (800 000 euros).
Le matin même de notre rencontre, un mercredi de septembre, la chef de service a piloté la première réunion de chantier du futur bâtiment. En attendant son inauguration, espérée le 8 mars 2016, elle continue à rencontrer d’éventuels mécènes, tout en échafaudant son prochain plan : « Un centre d’hébergement avant accouchement pour les femmes fragiles et/ou précaires. » Pour elles, Ghada Hatem-Gantzer n’est pas prête à rendre les armes.
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