Fin des années quatre-vingt-dix. Médecin généraliste à Paris, le Dr Tahar exerce à temps partiel dans le cabinet du Dr Kavaj, médecin d’origine yougoslave, rue Réaumur à Paris.
Il y soigne notamment une importante patientèle de travailleurs originaires de l’ex-Yougoslavie. Des patients ne parlant parfois pas du tout le français, qui nécessitent l’assistance d’une secrétaire médicale bilingue.
En juillet 2003, le Dr Tahar est informé par la CPAM de Paris qu’elle a décelé une escroquerie impliquant un certain nombre des patients du cabinet. Certains d’entre eux, ayant obtenu un arrêt de travail, auraient produit de faux documents (contrat de travail, fiches de paie, etc.) pour obtenir le versement d’indemnités journalières (IJ) indues.
Garde à vue, mise en examen, incarcération
Tout s’accélère... Le 29 décembre 2003, la CPAM de Paris porte plainte. Le pôle financier du TGI de Paris ouvre une instruction en mars 2004. L’instruction mettra en évidence que le trafic évoqué concernait environ 100 patients pour un préjudice d’environ deux millions d’euros. Une trentaine de prescriptions d’arrêt de travail seulement peut être mise au compte du Dr Tahar, jure l’intéressé.
Le 25 janvier 2006 à l’aube, la police se présente à son domicile. Garde à vue, mise en examen pour escroquerie en bande organisée, faux et usage de faux, incarcération préventive à la Santé. Le Dr Tahar passera dix semaines derrière les barreaux avant d’être libéré contre une caution de 70 000 euros. Touché mais pas coulé, il reprend son activité.
En mars 2009, il est jugé par le tribunal correctionnel de Paris, en compagnie de sa secrétaire, du Dr Kavaj, et de membres de la bande. Il est condamné à 21 mois de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende. « L’enquête n’a pourtant mis en évidence aucune trace de versement d’aucune sorte au Dr Tahar », indique Me Raphaël Chiche, son avocat. Pas de trace non plus d’échanges téléphoniques ou de mails entre le généraliste et les malfaiteurs. Tahar fait appel de sa condamnation et reprend son activité.
L’Ordre des médecins se rappelle à son bon souvenir. Se fondant sur le jugement pénal, la chambre disciplinaire régionale lui inflige en avril 2009 six mois de suspension d’exercice.
Arrière-plan politique ?
Fin novembre 2011, se tient le procès pénal en appel. À cette époque, Nicolas Sarkozy, en campagne pour sa réélection, tient à Bordeaux un discours très remarqué contre les fraudeurs aux prestations sociales. « Voler la Sécurité sociale, c’est trahir la confiance de tous les Français », martèle-t-il. Me Chiche se dit persuadé « que le procès de Tahar a été instrumentalisé par le pouvoir politique en pleine campagne ». On a voulu faire un exemple, suggère-t-il. L’avocat des caisses rappellera que, selon les aveux de plusieurs membres de la bande, des arrêts de travail et des prolongations leur ont été prescrits sans qu’ils aient été examinés, et que « cette escroquerie à grande échelle n’aurait pas été possible sans la complicité active des Drs Tahar et Kavaj ». Selon le Dr Tahar, le juge a refusé la confrontation qu’il demandait avec la bande et avec le médecin-conseil de la caisse.
L’intéressé a beau nier en bloc et assurer que l’avocat s’appuie sur la version des malfaiteurs qui veulent le mouiller, le 20 janvier 2012, le couperet tombe. Le Dr Tahar écope de 30 mois de prison, dont 18 avec sursis, assortis d’une interdiction judiciaire d’exercer de trois ans. Il se pourvoit immédiatement en cassation. Me Chiche est convaincu de l’innocence de son client : « Si Tahar avait été coupable, vu la modicité de sa peine en première instance, il se serait abstenu de faire appel. »
Comme un malheur n’arrive jamais seul, l’appel ordinal tombe en novembre de la même année. Tahar est radié définitivement du tableau. « L’Ordre va au-delà du jugement pénal », note Me Chiche. Contactés par « le Quotidien », ni l’assurance-maladie, ni l’Ordre n’ont souhaité répondre à nos questions.
« Un pion involontaire »
Le Dr Tahar est abattu, mais reste combatif. Il ne comprend pas comment il a pu être condamné sur la base d’arrêts de travail qu’a honorés sans broncher la CPAM de Paris, « même ceux que j’ai prescrits entre le dépôt de plainte de la caisse et la date de mon premier procès ». Il ne se sent en rien coupable du fait d’avoir été abusé par une bande organisée, et plaide la bonne foi. « Jamais, jamais, je ne me suis douté de l’escroquerie dont j’étais l’un des pions involontaires », répète le Dr Tahar à qui veut l’entendre.
En juin 2013, le tribunal de cassation a rejeté le pourvoi qu’il avait formé. Ayant épuisé les recours que lui offrent la justice française, il envisage de se tourner vers les juridictions européennes. Heureusement pour lui, s’il est interdit d’exercice, il a néanmoins pu faire valoir normalement ses droits à la retraite.
Un rendez-vous important attend le Dr Tahar le 18 novembre. Ce jour-là, il rencontrera le juge d’application des peines (JAP) qui doit statuer sur son sort. Condamné en appel à 30 mois dont 18 avec sursis, il n’a fait pour le moment que deux mois et demi de prison préventive. Il lui reste donc théoriquement près de dix mois de prison à effectuer. Il espère sans trop y croire un aménagement de sa peine.
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