Marseille. Il n’y a probablement pas de ville plus éloignée des clichés que la France entretient sur l’Allemagne et les Allemands. C’est pourtant là qu’il y a dix ans, le Dr Jochen Walz a choisi de poser son balluchon. En 2007, ce chirurgien originaire de Stuttgart a créé l’activité d’urologie à l’Institut Paoli-Calmettes (IPC), centre anti-cancéreux situé à quelques encablures du Vélodrome. Et il s’y trouve comme un poisson dans l’eau. « Je ne me souviens pas d’un jour où je me suis dit que je préférerais rester à la maison plutôt que d’aller travailler », confie-t-il au Quotidien.
Et il ne faut pas croire que c’est la douceur méditerranéenne qui plaît tant à cet urologue chevronné. « Si on regarde Marseille de loin, on se dit que c’est super, on ne voit que le soleil et la mer, explique-t-il. En fait, c’est un vrai Moloch, c’est mal organisé, on passe un temps fou dans sa voiture et on n’en profite pas. » D’ailleurs, si l’IPC était à l’image de cette description quelque peu apocalyptique de la cité phocéenne, il y aurait longtemps que Jochen Walz serait parti sous d’autres cieux.
IPC vs. AP
Heureusement pour lui, il n’en est rien. « L’IPC est une structure où l’état d’esprit est plutôt nordique, je ne me sens pas trop dépaysé », sourit-il. Et le praticien de louer la « culture d’entreprise » de son centre, la planification stratégique qui y règne, la qualité des ressources humaines sur lesquelles il peut compter… Il se permet même un brin de provoc’ : « Ce n’est pas ce que j’ai vu à l’AP-HM [Assistance publique des hôpitaux de Marseille, ndlr], par exemple, où l’on peut dire que j’aurais du mal à travailler. »
On imagine en effet assez mal ce natif du Bade-Wurtemberg au beau milieu des méandres un peu bohêmes d’un gros CHU français. Car ceux qui le côtoient au quotidien le confirment : Jochen Walz est un parangon d’ordre et d’organisation. « C’est incroyable, c’est la deutsche Qualität ! », s’écrie l’un des urologues de son équipe. « Ce que je retiens surtout, c’est la rigueur, complète un interne du service. Sa démarche est très scientifique, il ne laisse pas de place à l’à-peu-près. »
Frankreich oder nicht ?
Jochen Walz a-t-il poussé la rigueur jusqu’à planifier toute sa carrière pour aboutir à Marseille ? Pas vraiment. Son parcours professionnel est, comme souvent, à la fois le fruit de la volonté et du hasard. Tout a commencé en 2000, quand lui et sa compagne (chirurgienne comme lui) entament l’équivalent de notre internat. « Après la sixième année, en Allemagne, on travaille déjà quasiment comme médecin, mais les conditions d’exercice et le salaire ne sont pas très intéressants », explique-t-il. Le jeune couple passe alors en revue plusieurs possibilités : Angleterre, Etats-Unis, France… Et se fixe sur ce dernier pays, où il pense trouver « une bonne formation pratique. »
Entre 2000 et 2003, les deux apprentis chirurgiens sont donc faisant fonction d’interne (FFI) à l’AP-HM. Mais la précarité du statut les pousse à rentrer en Allemagne, pour finir leur cursus à Hambourg. Et en 2007, après une année de recherche au Canada, Marseille se rappelle au bon souvenir du jeune urologue. « A l’époque, il n’y avait pas d’uro-oncologie à l’IPC, raconte Jochen Walz. Or c’est une chirurgie attractive. Ils ont donc créé un poste pour la développer, ils m’ont demandé si j’étais intéressé. » L’Allemand connaissait les lieux pour y être passé pendant son internat. Il en avait gardé un bon souvenir, et décida de reprendre le chemin de la Méditerranée.
L’Europe avant tout
Dix ans plus tard, le voilà à la tête d’une équipe de quatre urologues. Il a accès à deux robots chirurgicaux, et apprécie tout particulièrement le caractère multidisciplinaire des échanges dans son centre. « En Allemagne, je n’aurais pas eu le même accès aux interventions et à la technologie à ce stade de ma carrière, remarque-t-il. Créer un service, cela permet de faire les choses à sa façon, sans avoir besoin de respecter quelque tradition ou dogme que ce soit. »
Et faire les choses à sa façon, pour Jochen Walz, cela veut dire faire les choses à l’européenne. Quand on lui demande s’il est membre de l’Association française d’urologie (AFU), il secoue la tête : trop compliqué d’y entrer quand on est étranger, affirme-t-il. Il est en revanche très actif au sein de l’European Urology Association (EAU), pendant continental de l’AFU. « Je me considère clairement comme un Européen, affirme-t-il. Je suis très attaché à l’EAU, et c’est surtout leurs recommandations que je suis. »
Un souhait : continuer
C’est d’ailleurs à se demander si ce tropisme européen ne l’isole pas quelque peu dans le paysage urologique marseillais. « J’avoue que je n’ai pas beaucoup d’interactions avec l’AP-HM », reconnaît-il. Le Pr Eric Le Chevallier, chef du service d’urologie du CHU, confirme. « On le voit très peu dans tout ce qu’on organise, déplore-t-il. C’est dommage, on voit beaucoup plus les urologues des autres structures privées. »
Alors, Jochen Walz serait-il fâché avec le paysage hospitalo-universitaire local ? Eric Le Chevallier le nie. Quant à l’intéressé, il reste muet sur la question. Mais quand on lui demande s’il n’aurait pas intérêt à obtenir un titre de PU-PH, il fait remarquer qu’il a déjà son agrégation en Allemagne. « Si le titre universitaire était mon objectif, je ne serais pas là », glisse-t-il. Pour lui, l’important est ailleurs. « Ce que je veux, c’est développer l’activité, car il y a encore beaucoup de potentiel : je voudrais arriver à avoir une équipe de cinq ou six urologues, et m’investir davantage dans la recherche clinique et fondamentale », détaille-t-il. Bref, il souhaite avant tout continuer sur sa lancée.
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