En octobre 2012, Baptiste Beaulieu, jeune interne en médecine, décide de créer un blog (www.alorsvoila.com), pour raconter son quotidien aux urgences de l’hôpital d’Auch (Gers). Le journal « Sud-Ouest » rapporte l’initiative dans un entrefilet qui tombe sous les yeux de la directrice éditoriale du Monde.fr. Séduite par ce blog plein d’humanité, d’humour et d’indéniables qualités littéraire, elle lui accorde la Une de son site.
Dès lors, des milliers, puis des millions de lecteurs se passionnent pour les chroniques du jeune médecin. Les éditeurs déboulent et en 2013, un recueil est édité chez Fayard, puis traduit en 15 langues. Deux ans plus tard, un premier roman voit le jour, puis un second, tout récent : « La ballade de l’enfant gris ».
Ballotté par ce maelstrom littéraire, Baptiste Beaulieu garde les pieds sur terre, bien ancrés dans sa vocation médicale : il a vissé, en juin, sa première plaque de généraliste.
Médecin ou journaliste
« Enfant, je voulais être médecin ou journaliste », avoue-t-il. Ce jeune homme discret, issu d’une famille toulousaine modeste, a longtemps balancé entre ces deux mondes qu'il a fini par réunir dans son blog.
Adolescent passionné de littérature, Baptiste Beaulieu dévore romans de science-fiction, de Fantasy aussi bien que la collection Gallimard Poésie, les nouvelles de Maupassant ou les romans de Houellebecq… jusqu’au choc de sa rencontre avec Fernando Pessoa. Parallèlement, il avoue sa « fascination pour les mécaniques du corps humain » et son désir « sans doute narcissique » d’aider les autres.
Après le bac, il choisit la Fac de Médecine de Toulouse plutôt que la prépa littéraire. Mais, avec ces études, débute une période qu’il qualifie de « difficile et culturellement pauvre » qui l’oblige à s’éloigner de la littérature et à s’interroger sur la distance imposée par rapport au corps des patients.
« Une fois par mois, j’allais voir une psy pour pleurer »
En seconde année, les cadavres marqués sur le front pour la dissection, le choquent. Il se refuse à voir le patient comme un morceau de viande : « Je voyais un mort pour la première fois. J’ai trouvé cela violent. Le profeseur d’anatomie m’a regardé avec de gros yeux comme si j’étais une sorte de Che Guevara. J’ai ressenti ensuite la même violence lors mon internat, face à des choses auxquelles je n’étais pas préparé, comme la mort d’une enfant. Ce jour-là, j’ai roulé sur la rocade en pleurant, je suis allé prendre un café chez mes parents… ensuite, une fois par mois, j’allais voir une psy pour pleurer. Je ne sais chez qui elle allait pleurer à son tour… »
Puis ce fut la création du blog « Alors voilà » : « L’idée a germé lorsque je suis moi-même tombé malade. Je suis passé du côté du patient que l’on renvoie dans les cordes, de l’autre côté de la barrière. » Avec ses chroniques quotidiennes, il raconte les urgences, les hommes et femmes qui s’y croisent, la comédie humaine de l’hôpital et surtout le fossé entre soignants et soignés. Un fossé qu’il ne cesse de vouloir combler à force d’empathie et d’humanité.
« Ce n’est pas une vision isolée de la médecine, précise-t-il. De nombreux confrères partagent ma sensibilité. Certes, un médecin peut très rapidement basculer dans une forme d’indifférence qui protège. C’est justement ce que je souhaite éviter. » Quand on lui suggère qu’il a peut-être trop d’empathie, Baptiste Beaulieu rétorque : « Je m’en fous, cela m’aide à mieux soigner les gens ! L’empathie, c’est faire du chemin à la rencontre de l’autre, accueillir son émotion. »
Six millions de lecteurs
Émouvant, drôle, détonnant, son blog dépasse les 6 millions de lecteurs. « Un seul médecin m’a dit « ce qui se passe à l’hôpital doit rester à l’hôpital », précise-t-il. Les autres ont eu une tout autre réaction. Beaucoup sont venus vers moi me parler de leurs difficultés. Un médecin chef des urgences, colosse rassurant, très compétent en interventions, m’a raconté un accident de voiture et s’est effondré en larmes. Cet accident avait eu lieu il y a 30 ans ! »
En 2013, les chroniques de Baptiste Beaulieu deviennent un livre : « Alors voilà : les 1 001 anecdotes des urgences » (Fayard). En 2015, le jeune médecin publie son premier roman « Et vous ne serez plus jamais triste » (Fayard) qui reçoit le prix Méditerranée des lycéens : « C’est une grande fierté, car les lycéens ne trichent pas, explique-t-il. S’ils n’aiment pas ils ne lisent pas. »
Ente temps, Baptiste a quitté l’hôpital pour effectuer des remplacements, avant de visser sa plaque dans un cabinet de médecine sociale de Midi-Pyrénées où il soigne travailleuses du sexe, toxicomanes, victimes de violences conjugales…
Colère et révolte contre les injustices
Là, cet homme doux, avoue sa colère quand parfois il voit repartir une femme au bras de son bourreau, sa haine viscérale de l’injustice faites aux plus faibles, aux minorités sexuelles (voir encadré) ou raciales : « J’ai une sœur noire et j’ai conscience d’être un privilégié, car homme et blanc… J’avoue avoir peur pour la société demain. Je crois que la paix est plus importante qu’avoir raison. » Passionné par les questions de spiritualité, croyant, mais ne pratiquant aucune religion, il regrette que notre monde propose si peu de choses « verticales » à une jeunesse en quête d’absolu.
Dans son tout nouveau cabinet médical, Baptiste Beaulieu éprouve aussi la solitude du généraliste : « Les urgences me manquent, avoue-t-il, pour cette circulation d’humanité qui se noue dans un temps aigu, pour la faculté incroyable de rire pour exorciser les drames… »
Pour l’heure, Le Dr Beaulieu continue de bloguer (lequotidiendumedecin.fr a relayé récemment une vidéo dans laquelle il expliquait avec émotion « les retards » des médecins) et poursuit sa route, toute en humanité, fermement appuyé sur ses deux outils : stylo et caducée.
Article précédent
Jean-Marie Le Guen : un médecin pour soigner les crises parlementaires
Article suivant
Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil : la possibilité d'une écoute
Dr Olivier Véran : du syndicalisme à l’Assemblée, la fulgurante ascension
Dr Frédéric Tissot : la tête à Paris, le cœur à Erbil
Jack, François et Thomas Mouchel : la gynéco en héritage
Denis Mollat : un médecin en librairie
Catherine Bonnet : une lanceuse d’alerte au Vatican
Elsa Cayat : « La psy de Charlie » ou la passion des mots et des gens
Abdel-Rahmène Azzouzi : contre l’invisibilité, le verbe
Jean-Christophe Rufin : médecin caméléon
Pr Sadek Beloucif : un réanimateur pour déchoquer la société française
Mathieu Coulange : l'effet subaquatique
Jean Abitbol : la voix des autres
Florence Cortot : anesthésiste le jour, humoriste le soir…
Pr Cécile Badoual : la croisade d'une femme contre le HPV
Dr Albert-Claude Tahar : en arrêt de travail malgré lui
Dr Borhane Ferjani : d'une élection l'autre, les sirènes de la politique
Muguette Bastide : diptyque polychrome d’une femme médecin
Petit Bertrand et Docteur Virieux : un cardiologue contre un cardinal
Michel Bénézech : médecin du crime
Devi Shetty : chirurgien cardiaque low-cost
Patrick René-Corail : aux petits soins pour la santé martiniquaise
Maryline Salvetat avec son peloton vers Rio
Jannie du Plessis : un médecin en première ligne
Louis Lareng : de l’hôpital « au pied de l’arbre » à la télémédecine
Michel Aupetit : l’ex-généraliste « bizarre » devenu évêque de Nanterre
Dominique Martin : le parcours atypique d’un médecin touche à tout
Matthias Lambert : chercheur et myopathe
Ibrahima Maïga : pratiquer la médecine sous la coupe d’Aqmi
Aaron Carroll : Dr YouTube
Wilfredo Martinez : un médecin sous pression
Pr Jean-Pierre Neidhardt, la mémoire vivante
Mariam Rastgar : l'étonnante Odyssée d'une étudiante en médecine hors norme
Pierre Duterte : homme de l'Art, médecin de l'être
Védécé : planches de vie
Laurent Seksik : le médecin-star malgré lui
Pr Alain Serrie : humaniste ambitieux contre la douleur
Pierre Corvol : grand diffuseur de savoir
Agnès Buzyn : une féminité assumée dans un monde de mandarins
Cécile Colavolpe : Un choix de vie majeur
Dr Raphaël Pitti : soigner et témoigner
Dr Stella Verry : in Memoriam
Dr Roberto Anfonsso : la médecine de campagne... c'est son dada !
Kurt Matthaus : des villageois mosellans aux expat’ de Shanghai, il n’y a qu’un pas
Gérard Maudrux : l’inoxydable patron de la CARMF tire sa révérence
Dr Jérémy Saget : le chant de Mars
Dr Giulia Grillo : une ministre de la Santé 5 étoiles !
Henri Borlant : et après Auschwitz, il y eut la médecine générale
Dominique Stoppa-Lyonnet : prédisposée aux débats d’idées
Jean-Baptiste Grisoli : pilier de la santé du XV de France
Patrick Bouet : la discrète ascension d’un praticien déterminé
Chris Murray : le médecin qui mesure la santé du monde entier
Michel Polak : le fœtus est devenu son patient
Milad Aleid : péril en la famille
Borée, docteur blogueur en campagne
Dr « Fanch » Le Men : médecin de famille depuis 13 lustres
Robin Ohannessian : au cœur de la télémédecine
Dr Philippe Grimaud : héraut d'une mort plus civile
Jérôme Marty : ascension à front renversé
Patricia Vaduva : Miss prévention
Virginie Maincion : soigner mais pas seulement
Anandibai Joshi : les histoires les plus courtes sont parfois les meilleures
François Desgrandchamps : en marche
Ghada Hatem-Gantzer : militante pro-femmes
Franck Le Gall soigne les Bleus et les bosses
Stéphane Clerget : un psy passe à table
Jean-Marie Le Guen : un médecin pour soigner les crises parlementaires
Dr Baptiste Beaulieu : l'humanité à fleur de peau
Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil : la possibilité d'une écoute
Christine Janin : première de cordée
Dr Francis Hermitte : il y a un an, sur l'épicentre médiatique du monde
Pr Philippe Touraine : elle c'est elle, lui c'est lui
Stéphane Delajoux, Bashing doctor
Alexandre Fuzeau : Docteur Ice, champion de nage en eau glacée
Pr Bernard Bioulac : une vie entre Science et Humanisme
Dr Jean Denis : les chemins de traverse d'un médecin de campagne
Dr Jochen Walza : « deutsche Qualität » à Marseille
À Niort, l’hôpital soigne aussi les maux de la planète
Embolie aux urgences psychiatriques : et maintenant, que fait-on ?
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne
Denis Thuriot (maire de Nevers) : « Je songe ouvrir une autre ligne aérienne pour les médecins libéraux »