« Quelle est la différence entre Dieu et un chirurgien ? Dieu ne s’est jamais pris pour un chirurgien ! »
Jean Abitbol éclate de rire. Un rire franc et généreux. Ce chirurgien ORL et phoniatre, bardé de diplômes et de décorations – ils tapissent un pan de mur de son bureau – et dont nombre de patients sont des stars – photos et dédicaces flatteuses de Charles Aznavour, de Pierre Perret ou de Céline Dion occupent une autre partie de mur, adore ne pas se prendre au sérieux. S’il arbore fièrement sa légion d’honneur, il se défend bien d’y « prendre goût ».
Ce pionnier de la chirurgie au laser du larynx par voie endoscopique partage son temps entre ses consultations dans le 16ème arrondissement de Paris, ses interventions à la clinique Blomet et ses participations à des congrès et colloques en France comme à l’étranger. Il avoue avoir besoin d’une poignée d’heures de sommeil pour être en forme. C’est à l’aube qu’il troque les ciseaux Metzembaum pour la plume. Mais l’auteur de l’« Atlas de la chirurgie de la voix » (1995), de « L’Odyssée de la voix » (2005) et récemment du « Pouvoir de la voix » (2016) n’a pas tout de suite pensé à cette spécialisation.
Un soir de Noël 1978...
C’est un soir de Noël 1978, de garde aux urgences de l’hôpital d’Amiens, que l’interne en chirurgie générale accueille une femme en détresse respiratoire souffrant d’une fracture de la mâchoire et du larynx. Pas le choix : première trachéotomie. Et premier questionnement : l’opérée reparlera-t-elle ? Les dés sont jetés. La patiente retrouvera sa voix et Jean Abitbol trouvera sa voie : l’otorhinolaryngologie.
Il arrive, en 1979, à l’hôpital Foch à Suresnes en même temps que le laser. Ces deux-là ne vont plus se quitter et évoluer ensemble. Mais l’histoire commence bien avant…
Jean Abitbol donc entend des voix. Ce n’est pas nouveau. Cela a commencé tout petit. Né à Casablanca le 15 avril 1946, il s’installe avec sa famille à Paris en 1948. Jeannot a 2 ans. On en entend déjà bien des choses à cet âge-là. Les voix « de velours » de Charles et Lisa, ses parents et toutes celles, bigarrées, avec peut-être un cheveu sur la langue, des clients du salon de coiffure familial près de la gare du Nord. Shampoings, coupes, brushing : Charles et Lisa ont des mains d’argent… et un cœur d’or : on vient là aussi pour être bichonné, requinqué ou simplement écouté. Le petit Jean apprend l’empathie. Très vite, l’enfant d’une dizaine d’années le sait, il sera médecin : « Pour donner. Pour réconforter. »
S’ensuit une scolarité impeccable au lycée Charlemagne, même s’il éprouve des difficultés à supporter la voix « terriblement aiguë » d’un professeur qui se vengera sur un bulletin scolaire : « Sèche parfois le bistrot pour venir en français. » Jean Abtibol s’en amuse encore. Les vacances scolaires se déroulent à Casablanca. Il y a l’océan et, tout près, une piscine. La natation va devenir une ligne de conduite et un savoir-être. « La compétition apprend des choses extraordinaires, explique le médecin, sportif de haut niveau en 100 mètres brasse et papillon, l’esprit de compétitivité, à se dépasser, l’égalité – on est tous égaux sur un plot de départ – et, c’est primordial, elle apprend à savoir perdre. »
Jean « gagne » néanmoins le bac et va rejoindre pour quelques mois son oncle Michel, parti s’installer à New York avant la guerre. Un champion de coiffure et « un homme exceptionnel » qui refusera de donner un sou d’argent de poche à son neveu : « Mon petit, ce qu’on veut dans la vie, on ne l’attend pas, on va le chercher. » Caddie de golf la journée, Jean pourra financer ses soirées dans les clubs de jazz new yorkais. Les yeux du chirurgien brillent à l’évocation de ses souvenirs. Tout s’est construit là…
Un « passeport santé » dans les bassins
Jean Abitbol nage toujours une heure au « Racing » en sortant du bloc opératoire, son « passeport santé ». À 70 ans, l’éternel explorateur des mystères de la voix pète le feu et va chercher connaissances et reconnaissance jusqu’au bout de la planète. Bombay, Buenos Aires, Salzbourg, San Diego ou Mouans-Sartoux, Jean Abtibol participe à au moins huit congrès par an. Ses recherches, tout à la fois scientifiques, culturelles et artistiques sur les cordes vocales, lui permettent d’exposer sur les limites de la chirurgie de la voix comme sur le secret des castrats. Infatigable, il met un point d’honneur à être toujours « up-to-date ». Avant tout pour ses patients.
À Paris, Cynthia, sa fidèle secrétaire depuis dix ans, jongle avec l’agenda de ce patron volant mais épatant. Chaleureux, rassurant et toujours de bonne humeur, dit-elle, le spécialiste de la voix n’a jamais un mot plus que l’autre. Altruiste aussi. Il ne faut pas plus de 48 heures pour avoir un rendez-vous, et ce, que vous soyez Woody Allen, Liza Minnelli ou un simple quidam enroué. Jean Abitbol ne soigne pas une angine, un œdème ou un cancer des cordes vocales. Il soigne des gens à qui il dit : « Appelez-moi plutôt pour rien que pour quelque chose. »
Cette conception de la médecine, c’est l’héritage précieux d’un « médecin de campagne avec une belle sacoche en cuir », Charly Presgurvic, à Donnemarie-Dontilly (Seine-et-Marne). Dès sa cinquième année de médecine, Jean effectua de nombreux remplacements chez ce généraliste pétri de bon sens et d’humanité qui commençait par guérir les gens en leur serrant la main et en prenant des nouvelles de leur famille. « On approche un patient dans l’intégralité de son contexte, de son environnement et cela permet souvent d’éviter le bistouri », explique aujourd’hui le chirurgien dont un tiers des patients ont des pathologies dues à des problèmes psychologiques ou des chocs émotionnels.
Car on reste sans voix de la même façon qu’on en a plein le dos… Notre voix est le reflet de notre personnalité. Jean Abitbol a la voix déterminée, joyeuse et chaleureuse. Qui s’enflamme quand il évoque les « deux choses les plus importantes de [sa] vie », Patrick et Delphine, ses enfants. Tous deux sont médecins et sportifs et le cœur sur la main. Patrick, ORL, partage le cabinet médical avec son père depuis six ans. C’est le Pr Frédéric Chabolle, chef de service à l’hôpital Foch, qui a dit à Jean : « Ton fils a autant de savoir-faire que toi, mais il le fait moins savoir ! »
Les professionnels de la voix – chanteurs, comédiens, avocats, politiques…, les connaissent bien en effet les compétences de Jean Abitbol. Sa patte chirurgicale, son oreille musicale… Il est surtout l’un des précurseurs de l’exploration dynamique vocale, technique permettant grâce à un vidéo-fibroscope de « regarder » la voix. Une caméra, introduite par la fosse nasale et donc n’entravant pas les mouvements de la bouche, filme les deux cordes vocales en action à 4 000 images par seconde. « C’est prodigieux, s’exalte le médecin, dans les années 80, c’était 25 images par seconde ! » Depuis plus de trente ans, Jean Abitbol a rencontré des larynx remarquables, compris la voix cachée des ventriloques ou dépisté des pathologies vocales jusque-là mal connues. Il a fait une vie de sa carrière et sa passion est intacte. Il le dit tout bas, il travaille à un nouvel ouvrage, le plus merveilleux des sujets : la voix des femmes.
Article initialement publié le 30 janvier 2017
Article suivant
Florence Cortot : anesthésiste le jour, humoriste le soir…
Dr Olivier Véran : du syndicalisme à l’Assemblée, la fulgurante ascension
Dr Frédéric Tissot : la tête à Paris, le cœur à Erbil
Jack, François et Thomas Mouchel : la gynéco en héritage
Denis Mollat : un médecin en librairie
Catherine Bonnet : une lanceuse d’alerte au Vatican
Elsa Cayat : « La psy de Charlie » ou la passion des mots et des gens
Abdel-Rahmène Azzouzi : contre l’invisibilité, le verbe
Jean-Christophe Rufin : médecin caméléon
Pr Sadek Beloucif : un réanimateur pour déchoquer la société française
Mathieu Coulange : l'effet subaquatique
Jean Abitbol : la voix des autres
Florence Cortot : anesthésiste le jour, humoriste le soir…
Pr Cécile Badoual : la croisade d'une femme contre le HPV
Dr Albert-Claude Tahar : en arrêt de travail malgré lui
Dr Borhane Ferjani : d'une élection l'autre, les sirènes de la politique
Muguette Bastide : diptyque polychrome d’une femme médecin
Petit Bertrand et Docteur Virieux : un cardiologue contre un cardinal
Michel Bénézech : médecin du crime
Devi Shetty : chirurgien cardiaque low-cost
Patrick René-Corail : aux petits soins pour la santé martiniquaise
Maryline Salvetat avec son peloton vers Rio
Jannie du Plessis : un médecin en première ligne
Louis Lareng : de l’hôpital « au pied de l’arbre » à la télémédecine
Michel Aupetit : l’ex-généraliste « bizarre » devenu évêque de Nanterre
Dominique Martin : le parcours atypique d’un médecin touche à tout
Matthias Lambert : chercheur et myopathe
Ibrahima Maïga : pratiquer la médecine sous la coupe d’Aqmi
Aaron Carroll : Dr YouTube
Wilfredo Martinez : un médecin sous pression
Pr Jean-Pierre Neidhardt, la mémoire vivante
Mariam Rastgar : l'étonnante Odyssée d'une étudiante en médecine hors norme
Pierre Duterte : homme de l'Art, médecin de l'être
Védécé : planches de vie
Laurent Seksik : le médecin-star malgré lui
Pr Alain Serrie : humaniste ambitieux contre la douleur
Pierre Corvol : grand diffuseur de savoir
Agnès Buzyn : une féminité assumée dans un monde de mandarins
Cécile Colavolpe : Un choix de vie majeur
Dr Raphaël Pitti : soigner et témoigner
Dr Stella Verry : in Memoriam
Dr Roberto Anfonsso : la médecine de campagne... c'est son dada !
Kurt Matthaus : des villageois mosellans aux expat’ de Shanghai, il n’y a qu’un pas
Gérard Maudrux : l’inoxydable patron de la CARMF tire sa révérence
Dr Jérémy Saget : le chant de Mars
Dr Giulia Grillo : une ministre de la Santé 5 étoiles !
Henri Borlant : et après Auschwitz, il y eut la médecine générale
Dominique Stoppa-Lyonnet : prédisposée aux débats d’idées
Jean-Baptiste Grisoli : pilier de la santé du XV de France
Patrick Bouet : la discrète ascension d’un praticien déterminé
Chris Murray : le médecin qui mesure la santé du monde entier
Michel Polak : le fœtus est devenu son patient
Milad Aleid : péril en la famille
Borée, docteur blogueur en campagne
Dr « Fanch » Le Men : médecin de famille depuis 13 lustres
Robin Ohannessian : au cœur de la télémédecine
Dr Philippe Grimaud : héraut d'une mort plus civile
Jérôme Marty : ascension à front renversé
Patricia Vaduva : Miss prévention
Virginie Maincion : soigner mais pas seulement
Anandibai Joshi : les histoires les plus courtes sont parfois les meilleures
François Desgrandchamps : en marche
Ghada Hatem-Gantzer : militante pro-femmes
Franck Le Gall soigne les Bleus et les bosses
Stéphane Clerget : un psy passe à table
Jean-Marie Le Guen : un médecin pour soigner les crises parlementaires
Dr Baptiste Beaulieu : l'humanité à fleur de peau
Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil : la possibilité d'une écoute
Christine Janin : première de cordée
Dr Francis Hermitte : il y a un an, sur l'épicentre médiatique du monde
Pr Philippe Touraine : elle c'est elle, lui c'est lui
Stéphane Delajoux, Bashing doctor
Alexandre Fuzeau : Docteur Ice, champion de nage en eau glacée
Pr Bernard Bioulac : une vie entre Science et Humanisme
Dr Jean Denis : les chemins de traverse d'un médecin de campagne
Dr Jochen Walza : « deutsche Qualität » à Marseille
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024