Chef de service de médecine physique et de réadaptation et chef de pôle neurosciences appareil locomoteur au CHU de Martinique, le Dr Patrick René-Corail pourrait être aujourd’hui un jeune retraité de l’Éducation nationale profitant de la douceur de vivre martiniquaise. Mais ce n’était définitivement pas dans son caractère. Son amour pour la science puis pour la médecine a eu raison de son parcours initial, qu’il définit lui-même comme « un peu atypique ».
Né en 1952 à Fort-de-France, Patrick René-Corail vit son enfance en Oubangui Chari (Centre Afrique), où ses parents ont émigré. A l’âge de 15 ans, il rentre en Martinique, passe un bac littéraire suit une première année de droit, devient maître auxiliaire mais sent que sa vocation n’est vraiment pas là. Il part à Paris, pensant préparer l’école des Ponts-et-Chaussée. S’il veut intégrer cette prestigieuse école d’ingénieur, il doit recommencer tout son parcours de lycéen en filière scientifique ! Un peu dépité, mais pas découragé, il se rend au CIDJ du quai Branly, s’interrogeant dans le même temps sur une carrière militaire. Après une batterie de tests, d’évaluations, un conseiller bien éclairé lui parle alors d’une expérimentation en cours à Kremlin-Bicêtre pour faire médecine quelle que soit la filière du bac obtenu, à condition bien sûr d’effectuer une remise à niveau scientifique. Nous sommes en 1971 : Patrick René-Corail s’inscrit donc au programme « MP zéro » à Orsay.
Un drôle de primant
« Nous étions 125 bacheliers littéraires dans un amphithéâtre de 800 étudiants pour 165 places disponibles en deuxième année. » Il se passionne pour la biochimie enseignée par le professeur Étienne-Émile Baulieu. Son livre de chevet est le Lehninger, la bible de la biochimie. Malgré des notes catastrophiques en maths et statistiques mais parmi les premiers de l’amphi en biochimie, il termine son année 163e sur 165. Il est le seul MP zéro à réussir sa première année de médecine : « Je suis passé du premier coup et je n’en suis pas peu fier », se souvient-il avec un grand sourire. Après, tout s’est enchaîné : ses années de médecine à Kremlin-Bicêtre, sa thèse de médecine sur la traumatologie de la chute libre en parachute. Puis, il s’installe à Montpellier et s’intéresse de près à la pédiatrie. Il découvre le handicap chez l’enfant et décide de se spécialiser en médecine du handicap. Plus tard, il élargira le champ de ses patients. Sa motivation est d’autant plus grande qu’il s’agit d’un véritable besoin en Martinique. Il reste quelque temps encore en métropole et passe par les services de rééducation de Garches et de Cochin.
Objectif rééducation
Le 14 juillet 1984, CES en poche, il « rentre au pays » et devient l’assistant du Pr Jean Baptise dans le service de rééducation s’est créé au CHU de Fort-de-France. Les pathologies étaient, dit-il, moins complexes qu’aujourd’hui : accidentés de la voie publique, amputés, patients rencontrant des problèmes après une chirurgie prothétique. Il y a beaucoup à faire en soin de suite : appareillage, rééducation. Les plateaux techniques sont un peu sommaires et le Dr Patrick René-Corail va beaucoup œuvrer pour donner toute sa place à la médecine de rééducation, notamment comme chargé de mission auprès de l’ARS afin d’améliorer les conditions de soin : un vrai travail de construction et de coordination entre les différents sites hospitaliers.
Parallèlement, il s’investit pour faire évoluer la médecine du sport et le « Sport Santé ».
Il devient chef du service de rééducation en 1984. Il a depuis formé sept praticiens et a été entre autres engagements, président de la CME (commission médicale d’établissement). C’est dans le cadre de cette fonction qu’il a co-animé la conduite du projet de fusion des hôpitaux de la Martinique : Fort-de-France, Lamentin et Trinité mais « l’aventure n’est pas finie » et il sait qu’il y a encore beaucoup à faire quant à la qualité du parcours du malade. « Il faut que ce parcours soit cohérent avec les structures mises en place, sans risque de perte de chance dans la trajectoire du patient du fait d’une mauvaise coordination entre les services : avoir le bon patient, dans le bon lit, avec la bonne équipe. » Passé du « cure au care » : la formule, qu’il emploie, résume ses objectifs.
Conscient que la recherche clinique s’avère un peu limitée en Martinique, les moyens techniques étant peu développés, Patrick René-Corail s’est appliqué à faire avancer la recherche épidémiologique. Il a pris part à la publication de nombreux travaux sur l’incidence de l’accident vasculaire cérébral, première cause de mortalité et de handicap sur le territoire. Plus récemment, il a participé aux premières études décrivant les séquelles à type de troubles musculo-squelettiques (TMS) du Chikungunya, a valorisé l’utilisation des plantes médicinales locales « rimed razié » et a apporté grâce à la médecine physique, une nouvelle arme thérapeutique non médicamenteuse contre les douleurs chroniques.
L’union plutôt que la compétition
Il apprécie par-dessus tout le travail en équipe, expliquant : « C’est le métier de rééducateur qui veut ça ! » À la compétition, il préfère l’union et favorise l’enseignement interrégional de sa discipline : Martinique, Guadeloupe, Guyane toujours en quête d’une meilleure coordination dans l’intérêt du malade et des soins de suites. Les formations reçues sont communes et Patrick René-Corail ne cache pas son vœu d’accueillir un jour un universitaire pour la région Antilles-Guyane.
« C’est possible… tout est possible » : cette citation du Dr Jacques Salin, l’un des bâtisseurs de la médecine hospitalière en Guadeloupe, que le Dr Patrick René-Corail appose sous sa signature, évoque son grand optimisme. Un optimiste malgré tout inquiet pour l’avenir médical de la région : manque de postes hospitaliers, peu de médecins de médecine général et peu de spécialistes et, compte tenu du vieillissement, des départs à la retraite massifs dans les années à venir. À ce rythme, en 2030, la démographie médicale antillaise sera la plus faible de toute la France. « Si les jeunes pouvaient être formés tout au long de leurs cursus ici [les 3 premières années se font dans la région, puis ils partent en métropole], nous n’aurions pas ce problème. »
Très certainement, le Dr Patrick René-Corail fera encore beaucoup pour le développement médical et l’amélioration des soins dans sa région. « C’est possible… tout est possible. »
Article précédent
Devi Shetty : chirurgien cardiaque low-cost
Article suivant
Maryline Salvetat avec son peloton vers Rio
Dr Olivier Véran : du syndicalisme à l’Assemblée, la fulgurante ascension
Dr Frédéric Tissot : la tête à Paris, le cœur à Erbil
Jack, François et Thomas Mouchel : la gynéco en héritage
Denis Mollat : un médecin en librairie
Catherine Bonnet : une lanceuse d’alerte au Vatican
Elsa Cayat : « La psy de Charlie » ou la passion des mots et des gens
Abdel-Rahmène Azzouzi : contre l’invisibilité, le verbe
Jean-Christophe Rufin : médecin caméléon
Pr Sadek Beloucif : un réanimateur pour déchoquer la société française
Mathieu Coulange : l'effet subaquatique
Jean Abitbol : la voix des autres
Florence Cortot : anesthésiste le jour, humoriste le soir…
Pr Cécile Badoual : la croisade d'une femme contre le HPV
Dr Albert-Claude Tahar : en arrêt de travail malgré lui
Dr Borhane Ferjani : d'une élection l'autre, les sirènes de la politique
Muguette Bastide : diptyque polychrome d’une femme médecin
Petit Bertrand et Docteur Virieux : un cardiologue contre un cardinal
Michel Bénézech : médecin du crime
Devi Shetty : chirurgien cardiaque low-cost
Patrick René-Corail : aux petits soins pour la santé martiniquaise
Maryline Salvetat avec son peloton vers Rio
Jannie du Plessis : un médecin en première ligne
Louis Lareng : de l’hôpital « au pied de l’arbre » à la télémédecine
Michel Aupetit : l’ex-généraliste « bizarre » devenu évêque de Nanterre
Dominique Martin : le parcours atypique d’un médecin touche à tout
Matthias Lambert : chercheur et myopathe
Ibrahima Maïga : pratiquer la médecine sous la coupe d’Aqmi
Aaron Carroll : Dr YouTube
Wilfredo Martinez : un médecin sous pression
Pr Jean-Pierre Neidhardt, la mémoire vivante
Mariam Rastgar : l'étonnante Odyssée d'une étudiante en médecine hors norme
Pierre Duterte : homme de l'Art, médecin de l'être
Védécé : planches de vie
Laurent Seksik : le médecin-star malgré lui
Pr Alain Serrie : humaniste ambitieux contre la douleur
Pierre Corvol : grand diffuseur de savoir
Agnès Buzyn : une féminité assumée dans un monde de mandarins
Cécile Colavolpe : Un choix de vie majeur
Dr Raphaël Pitti : soigner et témoigner
Dr Stella Verry : in Memoriam
Dr Roberto Anfonsso : la médecine de campagne... c'est son dada !
Kurt Matthaus : des villageois mosellans aux expat’ de Shanghai, il n’y a qu’un pas
Gérard Maudrux : l’inoxydable patron de la CARMF tire sa révérence
Dr Jérémy Saget : le chant de Mars
Dr Giulia Grillo : une ministre de la Santé 5 étoiles !
Henri Borlant : et après Auschwitz, il y eut la médecine générale
Dominique Stoppa-Lyonnet : prédisposée aux débats d’idées
Jean-Baptiste Grisoli : pilier de la santé du XV de France
Patrick Bouet : la discrète ascension d’un praticien déterminé
Chris Murray : le médecin qui mesure la santé du monde entier
Michel Polak : le fœtus est devenu son patient
Milad Aleid : péril en la famille
Borée, docteur blogueur en campagne
Dr « Fanch » Le Men : médecin de famille depuis 13 lustres
Robin Ohannessian : au cœur de la télémédecine
Dr Philippe Grimaud : héraut d'une mort plus civile
Jérôme Marty : ascension à front renversé
Patricia Vaduva : Miss prévention
Virginie Maincion : soigner mais pas seulement
Anandibai Joshi : les histoires les plus courtes sont parfois les meilleures
François Desgrandchamps : en marche
Ghada Hatem-Gantzer : militante pro-femmes
Franck Le Gall soigne les Bleus et les bosses
Stéphane Clerget : un psy passe à table
Jean-Marie Le Guen : un médecin pour soigner les crises parlementaires
Dr Baptiste Beaulieu : l'humanité à fleur de peau
Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil : la possibilité d'une écoute
Christine Janin : première de cordée
Dr Francis Hermitte : il y a un an, sur l'épicentre médiatique du monde
Pr Philippe Touraine : elle c'est elle, lui c'est lui
Stéphane Delajoux, Bashing doctor
Alexandre Fuzeau : Docteur Ice, champion de nage en eau glacée
Pr Bernard Bioulac : une vie entre Science et Humanisme
Dr Jean Denis : les chemins de traverse d'un médecin de campagne
Dr Jochen Walza : « deutsche Qualität » à Marseille
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature