Son coup d’essai littéraire fut un coup de maître : « Les Mauvaises pensées » (1999) ont été traduites dans une dizaine de langues. Puis, « La Folle histoire » (2004) a décroché le prix Littré ; « Les Derniers jours de Stephan Zweig » (2010), qui racontent les six mois qui précédèrent le suicide de l’écrivain autrichien, traduits en quinze langues, ont été classés parmi les « Books of the year » du supplément culturel du « Financial Times ».
L’adaptation théâtrale a fait un carton en mettant les noms de Seksik en haut de l’affiche avec ceux d’Elsa Zylberstein et de Patrick Timsit, la pièce est même jouée en Allemagne et aux États-Unis. En 2013, « Le Cas Eduard Einstein », qui raconte l’histoire du fils d’Albert Einstein, schizophrène qui finit ses jours à l’asile, a décroché le prix du meilleur roman français du « Parisien », le prix littéraire de psychanalyse, on en passe, traduit en douze langues et vendus à 70 000 exemplaires rien qu’en France. Pour cette rentrée, « L’Exercice de la médecine » caracole au box-office, c’est le chouchou des libraires, l’adaptation théâtrale est déjà en cours, sans parler d’une possible série télé, ou d’un film.
Mais en dépit de ses succès et d’une médiatisation aggravée par ses prestations de critique littéraire, sous les projecteurs des plateaux télé (Canal+, I-Télé) et dans la presse écrite (« Le Figaro Étudiant », « Le Point »), le Dr Laurent Seksik se refuse absolument à jouer les médecins-stars. Il a bien tenté un livre d’autofiction, pour raconter comment son parcours articule médecine et littérature. « J’ai rédigé une centaine de pages, mais j’ai fini par renoncer, confie-t-il en citant l’incipit des Mémoires de Zweig : Je n’ai jamais attaché tant d’importance à ma personne que j’eusse éprouvé la tentation de raconter à d’autres les petites histoires de ma vie. »
Anti-frime
Pour entrer dans son intimité, on est donc prié de suivre ses personnages romanesques. Paraphrasant Flaubert sur Madame Bovary, avec un fin sourire, ou plutôt un rictus, lèvres pincées, sourcils levés, il confirme : « Lena Kotev [l’héroïne de son dernier livre], c’est moi. » Comme dit joliment l’actrice Elsa Zylberstein, « sa pudeur n’a d’égale que son hypersensibilité, Laurent a le sens des non-dits et des silences, dans ses livres comme dans sa vie. De ce point de vue, il est d’un autre siècle. »
Par une de ses consœurs radiologue parisienne, le Dr Martine Valière, qui confirme qu’« il n’y a pas plus discret et anti-frime que Laurent », on apprendra quand même que ses parents étaient enseignants à Nice ; c’est par son éditeur, Patrice Hoffmann, qu’on saura qu’il a deux enfants, que sa femme travaille dans la pub et qu’il se partage entre Paris et la Côte d’Azur.
En fait, Laurent Seksik ne se lâche que sur les deux grandes affaires de sa vie : la médecine et la littérature, ses deux vocations. À 17 ans, il opte pour la première, à la faculté de Nice. « Le parcours d’étudiant en médecine est tout à fait exceptionnel, se souvient-il, dès l’âge de 20 ans, on affronte la mort en direct, on est plongé au cœur de la souffrance et de l’intime des gens, on est porté par la gravité et l’essentiel des hommes. »
Mais le carabin niçois ne renonce pas à son autre vocation, l’écriture. « Chaque jour, pendant toutes mes études, j’ai recopié des pleines pages de mes maîtres, Flaubert et Proust. Pendant mes nuits de garde, je travaillais sur mes romans. Tous les deux ans, j’envoyais un nouveau roman à des éditeurs qui, à chaque fois, le refusaient aimablement. »
« À 23 ans, survient cependant un miracle, raconte-t-il : je rencontre sur le port de Nice Jean-Marie Le Clézio, chez qui je vais déposer mon dernier manuscrit. Deux mois plus tard, je reçois une lettre qui me touche au cœur : « Je vois l’écrivain en devenir que vous êtes », m’écrit Le Clézio, et quand nous nous retrouvons, vingt ans plus tard, à l’occasion de la sortie du Cas Eduard Einstein, le Prix Nobel, qui n’a pas oublié, me lance : Voilà, maintenant ça y est, vous êtes bien l’écrivain que j’avais pressenti ! »
Entre-temps, Laurent Seksik rédige une thèse sur les cancers bronchiques en IRM, qu’il dédicace à… « RG et SZ » (comprenez Romain Gary et Stefan Zweig). Tout d’abord interne en psychiatrie, il bifurque vers la spécialité la plus technologique et la moins littéraire qui soit, la radiologie : « Mon patron m’avait fait comprendre que la psychiatrie et la littérature ne se partagent pas et qu’il me serait plus facile de passer d’un monde à un autre, dès lors qu’ils ne se ne se mélangent pas. »
Assistant à Broussais-Hôtel-Dieu, enseignant à la chaire d’Anatomie aux Saints-Pères, animateur des travaux de dissection d’anatomie en PCEM2, il retourne en 2000 à Nice, comme libéral, puis fait des remplacements à Paris à partir de 2010. C’est le temps des succès en librairie et dans les médias. Le temps partagé toujours entre médecine et littérature.
« Au départ, ma vocation médicale a pu freiner ma vocation littéraire. Le cerveau a des capacités d’apprentissage qui ne sont pas illimitées. Mais avec le temps, la médecine a fini par aider l’écriture : ce que vous vivez à l’hôpital ou au cabinet, c’est la Comédie humaine, comme la raconte Balzac : les récits de vie par centaines, les dévoilements de tragédie, les confidences poignantes, toute la douleur du monde vous étreint. C’est dur, c’est violent. Pas étonnant qu’il y ait une prévalence du suicide si élevée dans le monde médical. Et que les contraintes économiques et administratives, comme avec cette affaire du tiers payant, fassent parfois déborder le vase. »
Pour écrire « L’Exercice de la médecine », Laurent Seksik a dû arrêter d’exercer pendant deux ans. « C’est un gros bosseur, très exigeant, témoigne Patrice Hoffmann, il se nourrit du monde extérieur et il se documente énormément pour projeter ses interrogations les plus intimes sur ses personnages. » Après l’adaptation théâtrale qui l’occupe ces jours-ci, Elsa Zilberstein lui met la pression pour porter la saga des Kotev à l’écran. « J’ai pleuré quand j’ai lu son livre, confie l’actrice. Le personnage de Lena qui, malgré ses efforts, n’échappe pas à son destin, est une bouleversante héroïne cinématographique. Je ne vois que Laurent pour en révéler la profondeur et la finesse en réalisant lui-même le film. »
Grosse danse du ventre
En janvier cependant, le romancier dramaturge et peut-être cinéaste compte reprendre la radiologie. « On lui fait une grosse danse du ventre pour qu’il revienne au cabinet », sourit le Dr Valière
« C’est promis, j’y retourne, lâche-t-il. La médecine me sauve du rapport à moi-même qui obsède tant d’écrivains, elle me plonge dans ce rapport à l’autre sans lequel je ne saurais pas écrire. Quand j’écris, je ressuscite des personnages, quand je pratique la médecine, je prolonge la vie, au fond, les deux arts se rejoignent. La plus belle critique m’a du reste été adressée par les parents d’un schizophrène : avec « Le Cas Eduard Einstein », m’ont-ils écrit, vous avez destigmatisé la maladie. » Mais les deux univers restent étanches. « Quand je suis en blouse blanche, on ne me reconnaît pas. » « Faux, il y a des patientes qui viennent avec son livre sous le bras, rectifie le Dr Martine Valière, et elles lui demandent une dédicace entre deux mammographies, ce qui le met généralement mal à l’aise. Laurent n’est pas trop dans le show-off.
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