Une valve, c'est l'arrivée d'air, puis une soupape pour faire diminuer la pression. Le Dr Martinez jette un œil au protocole qu'il s'est fixé pour la matinée, puis à travers le hublot de la chambre hyperbare.
À côté du hublot, une grosse horloge carrée bat la mesure. Il est 7 h 05 et le malade vient à peine d'entamer son traitement. Freddy Fermin, masque à oxygène sur le visage, a le regard doux et attentif. Il semble à la fois confiant et patient. En moins de six ans, c'est son deuxième passage à la chambre hyperbare de l'hôpital de Puerto Lempira. Pour ce quatrième jour de traitement le Dr Wilfredo Martinez le plongera à 20 mètres de profondeur en augmentant la pression de la chambre jusqu'à 3 bars (environ 3 fois la pression atmosphérique), puis, en un peu plus de quatre heures, il le ramènera tranquillement à la surface. En sortant, peut-être que le jeune homme sera un peu plus capable de bouger ses jambes.
Pêche miraculeuse
Freddy appartient à la nation Miskito, un peuple de pêcheurs qui vivent dans la jungle de la Moskitia, à la frontière entre le Honduras et le Nicaragua. La zone, une des plus reculée d'Amérique Centrale, abrite la plus grande forêt vierge du continent après l'Amazonie, mais depuis toujours, c'est la mer qui permet aux Miskitos de survivre. Connus pour leurs habiletés de marins et de pêcheurs, ils ont longtemps été recrutés par les pirates et les corsaires qui sillonnaient les eaux des Caraïbes.
Depuis une quarantaine d'années c'est comme plongeurs sous-marins que les hommes Miskitos gagnent leur vie. Chaque année, des bateaux venus des îles voisines recrutent les hommes des villages de la côte pour la saison de pêche. Équipés de bouteilles de plongée sous-marine antédiluviennes, les Miskitos s'embarquent pour des voyages de douze jours où ils passeront quotidiennement jusqu'à 5 heures sous l'eau, parfois à plus de 40 mètres, pour capturer langoustes, concombres de mer ou lambis (gros coquillage). Les meilleurs gagneront plus de 300 dollars à chaque voyage, un petit trésor pour cette région qui n'offre aucune perspective d'emploi.
Mais la pêche miraculeuse à un prix. En 2014 seulement, on a recensé au moins 11 morts et plus de 50 paralysés à cause des accidents dus à l'air comprimé. Depuis 2003, c'est plus de 350 plongeurs qui seraient morts selon l'association des plongeurs handicapés de la Moskitia (AHMBLI). L'ONG irlandaise GOAL recense pour sa part 3 000 handicapés moteurs dans cette région de 80 000 habitants.
Le médecin malgré lui
Quelques jours après leur accident, les plus chanceux finissent par arriver entre les mains du Dr Martinez. Originaire de Puerto Cortés, dans le Nord du pays, ce diplômé de l'Université National Autonome du Honduras (UNAH) a commencé sa carrière dans un service de maternité et de pédiatrie avant d'être nommé à Puerto Lempira, capitale de la Moskitia, en 2004. C'est son frère, médecin également, qui l'a inspiré pour embrasser la carrière médicale, mais il ne s'imaginait jamais devenir un spécialiste hyperbare. « J'étais sur le point d'être titularisé à l'hôpital de Puerto Cortés, mais finalement le poste est allé à quelqu'un d'autre pour une histoire de politique. Pour ne pas me laisser le bec dans l'eau, on m'a nommé ici. »
Même si il reconnaît être venu ici contre son gré, bien lui en a pris, puisque c'est finalement en ces lieux qu'il a rencontré sa femme. D'abord affecté aux consultations externes, il a travaillé cinq ans durant à soigner tous les maux qui peuvent affecter la population de cette région où l'eau courante et l’électricité restent une rareté, mais les moustiques porteurs de paludisme une réalité quotidienne.
En 2009, l'ambassade des États-Unis finance l'installation de la chambre hyperbare et la formation du personnel. Il faut dire que toutes les langoustes ramassées par les plongeurs finissent dans les chaînes de restaurations et les supermarchés d'Amérique du Nord. C'est Dick Rutkowski, une légende du milieu hyperbare américain qui a assuré la formation des médecins et des techniciens de l'hôpital. « Je suis le seul médecin à être resté », commente le Dr Martinez qui forme aujourd'hui deux techniciens pour l'assister.
Les traitements, qui coûtent de 1 000 à 1 200 dollars (1 100 euros), devraient en théorie être pris en charge par le propriétaire du bateau, mais la moitié d'entre eux disparaissent dans la nature sans donner signe de vie. « On ne peut pas les forcer à payer car ce sont souvent des entrepreneurs liés au crime organisé, mais nous, nous avons obligation de traitement. » En 2014, la chambre hyperbare a accueilli 30 patients pour des séjours de 2 à 10 jours, suivi d'un mois de kinésithérapie. Au moment de notre visite, 9 plongeurs accidentés s’exerçaient dans la petite salle en compagnie de deux kinésithérapeutes. Les plus jeunes retrouvent souvent une motricité complète, et retourneront presque invariablement plonger. « Il n'est pas rare de retrouver les mêmes patients deux ou trois fois, et à chaque fois l'accident est plus risqué. Quand on leur demande pourquoi ils retournent plonger, ils répondent qu'ils n'ont pas d'autres choix pour faire manger leur famille. »
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