Jambes croisées, un grain de malice dans les yeux, Matthias Lambert s’affiche sans complexe. Sa myopathie : syndrome de disproportion des fibres musculaires a été diagnostiquée six mois après sa naissance mais ce n’est qu’à l’âge de huit ans qu’il a pris conscience de sa maladie.
« Je voulais faire du foot comme tous les garçons de mon âge mais je me suis rendu compte que je ne courais pas comme eux et que je me fatiguais vite. J’ai dû renoncer à ma carrière de footballeur professionnel », explique-t-il, avec beaucoup d’humour. Sa vie bascule à 16 ans lorsque sa « meute » de médecins lui diagnostic une scoliose qui pourrait lui être fatale. « Mon état de santé s’est brutalement dégradé, mes fonctions respiratoires étaient diminuées », se souvient-il. Les médecins l’ont orienté vers une arthrodèse de la colonne vertébrale. Mais l’idée de vivre avec de l’acier dans son corps jusqu’à sa mort était trop insupportable pour lui, « le gamin de 16 ans ». Matthias n’a pas d’autres solutions que de dormir à vie avec un dispositif respiratoire. La machine respire pour lui, elle « gonfle et dégonfle » ses poumons toute la nuit. Il lui a fallu trois ans pour faire des nuits sereines et complètes même si parfois, il a encore du mal à l’accepter. « Chez les malades, il y a deux types de personnes : les gens qui se laissent couler et ceux qui agissent, j’ai opté pour la seconde », assène-t-il.
Matthias a trois heures de kiné toutes les semaines, mais « on s’y habitue ». Pendant son enfance, c’était tous les jours « même après ma sieste, ma mère me faisait faire des exercices et je souffrais ». S’il n’effectue pas de renforcement musculaire, c’est le fauteuil roulant qui l’attend. Un silence s’installe, « cela serait une défaite. Je ne l’accepterai pas ».
Le monde de la recherche plutot que celui de la médecine
À l’école, Matthias se découvre une passion pour les sciences et notamment pour la biologie et la génétique. En 2000, lorsqu’il a 10 ans, il visite le Généthon, le centre créé par l’AFM-Téléthon dix ans plus tôt dont les chercheurs pionniers de la cartographie du génome humain, développent aujourd’hui et confectionnent des médicaments de thérapie génique pour les maladies rares. « Je voulais être comme eux », se souvient-il, sourire aux lèvres. Comme il l’explique, il a toujours été un élève brillant et audacieux il aurait pu être médecin mais il aurait dû affronter le regard des patients. « Comme tout le monde, j’ai des émotions, j’aurai dû prendre sur moi et je ne voulais pas ». Il se tourne alors vers le monde de la recherche et s’oriente après plusieurs années d’étude supérieures vers la physiologie du muscle. L’un de ses médecins est d’ailleurs devenu son collègue. Spécialisé en médecine physique et de réadaptation, le Dr Triffeau, exerce au centre de référence des maladies neuromusculaires, une structure liée au « labo » d’activité physique, santé et sport. Il suit Matthias depuis qu’il est jeune. « Matthias est un jeune impliqué dans sa maladie. Il a déjà participé à des réunions médicales, où l’on étudiait ses biopsies musculaires ». Selon le Dr Vincent Triffeau, il n’y avait pas de raisons pour qu’il ne fasse pas d’études supérieures. « Il ne fait pas n’importe quelle spécialité, son sujet de thèse est très pointu », poursuit-il. Le Dr Triffeau a conseillé à Matthias de faire un stage au laboratoire d’activité physique, muscle et santé de l’Université de Lille 1. « Alors que d’autres médecins étaient plus négatifs. Ils disaient que ma myopathie m’empêcherait d’aller jusqu’au bout de mes études », confie Matthias.
Quelque 2 000 myopathies à explorer
Pourtant, il arrive 3e sur 70 à la fin de sa cinquième année étude, le ministère de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche lui attribue une bourse handicap pour débuter son doctorat avant même qu’il ait validé son master.
Ses recherches consistent à déterminer si la O-GlcNAcylation intervient dans les mécanismes structuraux du sarcomère. Matthias espère que ses recherches déboucheront sur une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents des myopathies ou d’autres pathologies afin d’établir de meilleurs diagnostics. « On ne connaît pas grand-chose sur les myopathies, mise à part celle de Duchenne, très peu de personnes savent qu’il en existe 2 000 différentes et qu’elles sont difficiles à diagnostiquer. Les médecins ne savent d’ailleurs, pas comment évoluera la mienne. Moi j’ai envie de savoir », explique-t-il avec détermination. Quand on demande à Matthias quelles ont été ses motivations à débuter une carrière de chercheur il répond en toute franchise : « personne ne bosse sur les maladies rares. Les maladies cardiaques et Alzheimer raflent tout ».
Début septembre, Matthias a présenté ses premiers résultats à l’European muscle conference (EMC) à Vienne en Autriche. « J’étais en fauteuil roulant ce jour-là car j’étais épuisé mais je me suis mis debout devant 300 personnes pour présenter mes recherches et mes résultats. Plusieurs chercheurs et médecins sont venus me féliciter », une reconnaissance qui le motive à aller encore plus loin. Dès la fin de son doctorat, il obtiendra le statut de Docteur. Mais ses ambitions ne s’arrêtent pas là, il souhaiterait continuer ses recherches par un « post-doc » au sein d’un laboratoire américain où les places sont chères. « J’irai au culot pour en avoir une ! ». Mais qui a parlé de « poupée de chiffon » ?
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