« J’ai grandi dans une famille sérieuse », confie-t-elle d’une voix posée. Grand-mère bretonne « catholique fervente et stricte », père professeur de gastro-entérologie à la Faculté de médecine de Lille, mère juriste… « L’atmosphère était bienveillante et ouverte au dialogue mais relativement sérieuse… Le rire n’était pas une priorité ! »
Pour Florence Cortot, le déclic est venu beaucoup plus tard, à la fin de son cursus médical. Après le bac, elle s’inscrit en médecine à la faculté Henri Warembourg de Lille. « Cette voie s’est imposée à moi. Je ne voulais pas faire autre chose. J’aimais le théâtre mais j’avais besoin de stabilité et d’une certaine sécurité. Et je me pensais que la scène resterait un rêve… Les études de médecine m’ont passionnée. J’ai connu là des années magnifiques, avec une liberté importante. C’était galvanisant d'apprendre autant de choses… »
Les choses se corsent au moment de choisir la spécialité. « J’avais un classement qui me permettait de choisir ce que je voulais mais j’ai eu beaucoup de mal à me décider ! » Après avoir opté pour la gastro, elle abandonne au bout de six mois : « Cela ne m’a pas plu. J’ai trouvé la spécialité assez répétitive et je ne me voyais pas faire cela toute ma vie. » Faisant jouer le « droit au remords », elle intègre durant six mois la formation d’anesthésiste et décide finalement d’en faire sa spécialité.
Une spécialité sans routine
« Le choix a été difficile car tout me plaisait. J’étais tentée par la psychiatrie, la radiologie et la pédiatrie… C’est horrible de devoir choisir », remarque-t-elle avec un large sourire. Cette fois, plus de remords. La spécialité d’anesthésiste-réanimateur lui plaît. « Il n’y a aucune routine. On touche à tout. Au bloc on aborde toutes les spécialités. J’ai immédiatement adoré… » Voilà donc notre interne sur de bons rails… jusqu’à la rédaction de sa thèse. Là, ses démons la reprennent !
« J’avais trente ans, une petite fille de 1 an, un poste au centre hospitalier de Roubaix. Je me suis dit : la boucle est bouclée. Soit tu embrasses la carrière médicale pour quarante ans, avec un boulevard devant toi, soit tu fais autre chose qui te tient à cœur, une activité artistique de préférence. »
Négocier la sortie du tourbillon
La jeune anesthésiste n’avait jamais fait de théâtre. Juste un rôle dans une pièce de Feydeau à l’âge de 12 ans. « Au collège, notre professeur de français nous a proposé de jouer dans « Les fiancés de Loches », une pièce de boulevard. J’avais le rôle du Dr Saint Galmier. Cette première expérience théâtrale m’avait enthousiasmée et je m’étais dit que j’aimerais recommencer… Ensuite, mes études de médecine m’ont totalement absorbée. J’avais l’internat à préparer, un engagement comme bénévole auprès des enfants malades. Dans le tourbillon de l’apprentissage, je n’avais pas besoin d’autre chose. »
Une fois sa thèse achevée, Florence Cortot décide de tenter l’aventure du théâtre. « C’était un défi pour moi. Je voulais faire un spectacle seule. Écrire mes textes et faire rire les gens… » Une fois par semaine, elle suit des cours à l’école de formation d’acteurs lilloise Acte I. « Les élèves venaient de tous les horizons, c’était très sympa. On travaillait des extraits de pièces classiques. »
Parallèlement, elle commence à écrire des textes : des embryons de sketchs sur son métier de médecin, sur la maternité (entre-temps, elle a eu une deuxième petite fille), sur les repas entre amis où chacun vous confie ses problèmes de santé sous prétexte que vous êtes médecin… qu’elle teste sur sa famille puis dans des scènes ouvertes devant un vrai public.
Un long processus
« Au début, cela n’accrochait pas. On ne s’improvise pas humoriste ! Je ne connaissais pas les ressorts de l’humour : mes textes étaient trop écrits et ne suscitaient pas le rire. J’ai éprouvé quelques doutes. Je me suis demandé si j’étais vraiment bonne, tout en sachant que je ne pouvais pas être drôle du premier coup. »
Florence Cortot s’accroche, retravaille ses textes et les teste à nouveau sur la scène ouverte du Spotlight à Lille. « C’est un long processus. Il m’a fallu quatre ans pour mettre au point mon spectacle. C’est très difficile de faire rire les gens, seule sur scène. Si vous prenez un four, vous en êtes la seule responsable. C’est une remise en question importante, un vrai défi… » Pour se consacrer pleinement à son expérience théâtrale, l’anesthésiste, aujourd’hui âgée de 36 ans, a réduit son activité à l’hôpital : désormais elle passe un mi-temps au bloc, et l’autre à peaufiner son spectacle. « J’avais besoin d’un rythme régulier. Mais attention, au travail, je ne suis pas du tout comique. Je suis pro et je veux le rester. La limite peut être très vite franchie. Au bloc, je garde une implication totale. »
Sa décision a un peu surpris sa famille. « Mon père a consacré sa vie à son métier. Pour lui une carrière hospitalière demande de s’investir à 100 %. Mes frère et sœur ont également été étonnés mais ne m’ont jamais freinée. Ils me trouvaient plutôt courageuse de me lancer dans une carrière d’humoriste. »
Dans son entourage, il y a bien eu quelques grognons pour lui susurrer : « Entreprendre toutes ces études pour faire finalement le clown sur scène… » Mais ils ont été rares. Florence Cortot vit mieux son métier d’anesthésiste depuis qu’elle est humoriste. « Je m’identifie beaucoup à mes patients et ce qui leur arrive me touche profondément. Le rire est un moyen de résister à cette douleur que nous rencontrons au quotidien. Il me permet de relâcher la pression et d’avoir une meilleure relation avec mes patients. La scène m’a désinhibée sur la parole. Je communique plus facilement avec les personnes. »
Article publié initialement le 15 février 2016
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