DE NOTRE CORRESPONDANT
MIS À PART LE NOMBRE d’années de la très longue carrière du Dr Le Men, n’y aurait-il rien qui différencierait le « plus vieux médecin généraliste de France » de ses confrères médecins de campagne ? La même faculté à égrainer les anecdotes et les diagnostics dont ils sont fiers, les mêmes réflexes qui font remplir les chèques de leurs patients âgés, la même disponibilité pour écouter les (petits et grands) malheurs de « leurs » malades…
Mais, après une après-midi à arpenter les routes de la campagne autour de Callac dans la C4 du « docteur » – les plus anciens peuvent préférer « Fanch » (François en breton) –, une réalité semble se dessiner. Celle d’un médecin qui a appris à poser ses diagnostics à partir d’un seul symptôme. Par nécessité au départ puisqu’en 1949, quand il s’est installé à Callac, « on n’avait pas d’infirmiers, pas de spécialistes, pas de plateau technique complet », comme il le raconte entre deux visites. Puis, avec aujourd’hui suffisamment de recul sur la pratique médicale (64 ans !), François Le Men a fait de cette approche sa religion. « Plus on fait d’analyses, moins on y voit clair », estime ce fils d’agriculteurs. « Récemment, j’ai été appelé par la fille d’une dame qui n’allait pas bien. Quand je suis arrivé à son chevet, la fille commence par me proposer de regarder les examens réalisés et les ordonnances – une vingtaine de médicaments avaient été prescrits. Je lui ai dit que je préférais ausculter d’abord sa maman. J’ai pensé à une hépatite et les examens qui ont été effectués à la suite l’ont confirmée ! Personne n’avait pensé à ça. Comme je dis souvent : faut penser à tout, si on pense à rien, on trouve rien… »
Peu de ratés.
Avant de monter dans sa voiture (dont la seule particularité est d’avoir une boîte automatique), le Dr Le Men multiplie les exemples de ce type, fouillant dans son tiroir où sont entreposés les dossiers des patients pour en ressortir les preuves de ce qu’il avance. « Je suis un chercheur ! », dit-il avec une petite touche de fierté à peine dissimulée. Pourquoi tant d’insistance pour prouver sa qualité de médecin… ? Au détour d’une phrase, on comprend que c’est là une manière de répondre à la question que l’on peut se poser : pratiquer encore à 91 ans, « jour et nuit », comme il dit, toute l’année sauf quatre semaines en été (si le remplaçant vient), est-il bien raisonnable ? « Vous croyez qu’on me laisserait soigner si je ne faisais pas bien mon métier ? », s’interroge-t-il en retour. Et de poursuivre : « J’ai des beaux diagnostics au bilan, bien sûr, j’ai quelques ratés comme les confrères, mais le moins possibles… On n’est pas là pour envoyer les gens au cimetière ! »
Des patients suivis sur 64 ans.
Pour François Le Men, la meilleure réponse, c’est la fidélité de sa patientèle. Comme celle de Theo et Gabrielle, frère et sœur, qui vivent isolés dans la campagne autour de Callac et sont suivis « depuis tout le temps » par lui, comme l’étaient leurs parents. Celle aussi de Léon et Jeanine qu’il soigne depuis l’année de son installation en 1949. Ou encore celle de Yvonne, résidente de la maison de retraite, qui l’attendait avec impatience et lui demande, inquiète : « Vous allez pas nous quitter ? »« Mais non, à moins qu’il m’arrive un pépin… » Car, le Dr Le Men a quelques « petits petits soucis de santé ». Nous n’en saurons pas plus. Le médecin préfère mettre en avant sa résistance hors pair…
Un programme immuable.
Tous les matins, consultation dans le cabinet médical aménagé dans ce qui était l’ancienne boutique de ses parents un temps marchands de cidre. Toutes les après-midi, visites. Ce jour-là, il sillonne les petites routes de ces terres du centre de la Bretagne et n’hésite pas à klaxonner une voiture pour pouvoir la doubler. Il se rend dans quatre maisons et ausculte huit patients. Il faut dire que la fonction de « médecin de famille » lui colle parfaitement bien. Ici, il s’intéresse à la mère, puis au père et enfin au fils d’une trentaine d’années. Là, il examine le monsieur mais questionne la femme qui semble être inquiète d’un rendez-vous chez le spécialiste le lendemain. « Fanch » est attentif et cherche à la rassurer tout en lui expliquant la manière dont la visite va se passer. En revanche, sur le portage de repas, il ne veut pas décider pour le couple : « C’est à toi de voir, je peux pas te dire ma petite fille. » Mari et femme n’ont connu que lui. Difficile à imaginer tant, aujourd’hui, l’on change facilement de médecin.
Malgré l’âge, le rythme de travail se poursuit donc pour le Dr Le Men. « Si je ne travaille pas, ça ne va pas », affirme-t-il. Le départ fin 2012 de deux médecins de Callac n’a semble-t-il pas entraîné une augmentation de l’activité du médecin le plus vieux de France. Il n’en reste pas moins qu’il faut s’occuper de cette « bonne patientèle » qui est composée d’habitués mais pas seulement.
La médecine a bien changé, admet-il. « On faisait tout : les urgences, les accouchements, des opérations aussi… Maintenant, on voit de nouvelles pathologies, comme les insuffisants cardiaques, les cancers de la prostate, les scléroses en plaque qu’on n’avait pas, forcément les patients mourraient à 50 ans… J’ai suivi l’évolution. Mais, alors qu’on a beaucoup de professionnels autour de nous, une médecine de pointe, on a une très mauvaise organisation. Quand je vois une grand-mère rester sur un brancard sept heures aux urgences, être renvoyée chez elle, puis devant mon insistance, admise dans un autre établissement et y séjourner deux mois… Va comprendre ! »
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