Rhumatologie

Affections ostéo-articulaires, un problème constant

Publié le 11/11/2016
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Les affections ostéo-articulaires arrivent au troisième rang des pathologies des résidents en Ehpad. Pourtant, dans ce cadre institutionnel, elles n’ont pas fait l’objet de travaux, à la différence des troubles cognitifs et des chutes. Aussi leur prévalence et leur retentissement sur le risque de chute, le handicap et la douleur des résidents en Ehpad sont mal connus. Les données sur le rapport bénéfice/risque de diverses options thérapeutiques chez les sujets très âgés manquent elles aussi.

Les affections ostéo-articulaires constituent la troisième cause de pathologie des sujets âgés accueillis en Ehpad, après les troubles cognitifs et les maladies cardiovasculaires, selon une étude menée par le ministère de la Santé et la Drees en 2011 (enquête Ehpad 2011). Elles concernent la moitié de ces sujets âgés, même si elles sont plus fréquentes chez les  femmes (47 %) que chez les hommes (37 %). Les atteintes de la hanche arrivent en tête : elles affectent 20 % des résidents en Ehpad. Elles sont suivies des pathologies vertébro-discales touchant 17 % des résidents, des affections inflammatoires, type polyarthrite, retrouvées, elles aussi, désormais, chez 17 % des résidents auxquelles s'ajoutent les pathologies de l'épaule (7 %) plus d'autres maladies (6 %). « Néanmoins, hormis cette étude portant sur 4 500 sujets, on manque singulièrement de données », précise le Dr Odile Reynaud-Levy (gériatre au CHU de Marseille, secrétaire adjointe de l'association nationale des médecins coordinateurs et du secteur social (MCOOR).

Une prévalence élevée de l’arthrose

« La perte d’autonomie associée aux troubles locomoteurs constitue la seconde cause d'institutionnalisation, après les troubles cognitifs. La proportion d'arthrosiques en Ehpad est donc sûrement encore plus élevée qu'en population générale », détaille Odile Reynaud-Levy.
« L’ostéoporose touche une femme sur trois de plus de 50 ans, et sa prévalence croît avec l’âge. Elle est donc, elle aussi, extrêmement fréquente chez les résidents sans être nécessairement sur-représentée. Enfin, il n’est plus rare de voir des sujets âgés, voire très âgés, souffrant de rhumatismes inflammatoires type polyarthrite, spondylarthrites... », ajoute-t-elle.
Si les pathologies inflammatoires relèvent plus d'une prise en charge spécialisée par un rhumatologue, arthrose et ostéoporose sont essentiellement prises en charge par le médecin traitant. Ce sont les deux principales pathologies ostéo-articulaires à gérer en Ehpad, dans un contexte multipathologique (selon l'enquête Epha 2003, les résidents cumulent en moyenne sept pathologies).

Au menu, antalgiques et exercice

Le traitement de l’arthrose est peu chirurgical. Dans cette pathologie de la hanche, ou du genou, la chirurgie n'est pas totalement exclue, mais son indication doit être soigneusement pesée en prenant en compte l’état général, les comorbidités et le bénéfice à attendre en termes d'autonomie. « Chez ces sujets déjà en perte d’autonomie, ce sont in fine des indications rares », déclare Odile Reynaud-Lévy.
En cas d’atteinte du genou, la viscosupplémentation par injection intra-articulaire peut rester une option. « Mais il faut garder en mémoire qu’au-delà d'un certain seuil d'arthrose, sur une articulation très abîmée, la viscosupplémentation sera peu efficace. Quant aux infiltrations  de corticoïdes, on peut y recourir. C’est un geste le plus souvent pratiqué par un rhumatologue. Il impose donc de mobiliser les patients, les envoyer en consultation au cabinet de rhumatologie, ce qui n’est pas évident, surtout lorsqu’on est en milieu rural ou semi-rural », regrette le Dr Reynaud-Lévy.
 Les antalgiques tiennent également une place non négligeable dans cette prise en charge. « Il est préférable d'éviter les anti-inflammatoires non stéroïdiens chez les plus de 80 ans. Et donc, le traitement médicamenteux est essentiellement fondé sur des antalgiques. Avec, en première ligne, du paracétamol à raison de 2-3 g/j. On peut aussi recourir aux antalgiques de palier 2 », souligne Odile Reynaud. La corticothérapie par voie orale est pour sa part limitée au traitement des crises aiguës. Mais on peut parfois l'utiliser aussi à petites doses de façon plus prolongée pour éviter les crises chez des sujets très algiques. Cependant, il faut garder à l’esprit que 60 % des résidents souffrent des troubles cognitifs et que  la corticothérapie peut décompenser ces troubles. Enfin, certains sujets peuvent bénéficier aussi d’un traitement par morphiniques. Dans ce cas, la biodisponibilité des formes transcutanées en gériatrie étant mal connue, on préférera les formes orales.

L’intérêt d’une kinésithérapie bien prescrite

« La prise en charge non médicamenteuse  de l’arthrose est fondamentale. La cible est le maintien d’une activité physique. Il faut donc mettre l’accent sur la kinésithérapie. Elle doit être prescrite très régulièrement et adaptée au sujet », évoque le Dr Reynaud-Levy. Les efforts en contre-charge seront proscrits pour se concentrer sur le travail sur les amplitudes articulaires et le maintien de la musculature. Ce travail est la clé de voûte de la prévention des chutes. Seul problème, les séances de kinésithérapie dispensées en Ehpad sont souvent peu probantes. « Le nombre de patients pris en charge, les difficultés liées aux troubles cognitifs, la motivation des sujets... font que le travail réalisé lors des séances de kinésithérapie est souvent insuffisant. Sans compter le manque d'équipements alors qu'il y aurait, même en l'absence de salle dédiée, souvent moyen de disposer de petites barres parallèles, d’un espalier fixé au mur, de quelques cerceaux... C'est pourquoi une réflexion collective au sein des établissements pour favoriser la mise à disposition de ce type d'éléments est utile », précise le médecin coordonnateur.
La mobilisation des patients, un travail sur l’amplitude des articulations, la musculation, la coordination... sont en effet des aspects fondamentaux de la prise en charge du patient arthrosique. « Il faut aussi travailler sur la statique souvent modifiée et ne pas banaliser la posture voûtée de la personne âgée. La cyphose majore en effet le risque de chutes », selon Odile Reynaud-Levy.
Il est enfin important de bien individualiser les prescriptions de kinésithérapie, en précisant soigneusement quelle est l’articulation cible et le travail à mettre en place.
En outre, les sujets arthrosiques peuvent bénéficier de séances de réveil musculaire matinales, mises en place dans nombre d'Ehpad. D’autres initiatives, comme des sessions de Tai Chi, qui permettent de travailler les amplitudes et le schéma corporel de manière douce, sont parfois proposées. « Et l’installation au sein de l'Ehpad d’un physioparc est très intéressante pour mobiliser les sujets » ajoute Odile Reynaud-Levy.

Semelles, orthèses et compléments protéiques

Les semelles orthopédiques, les orthèses peuvent soulager les articulations. Ce sont des aides précieuses dans la prise en charge antalgique de l’arthrose. Dans les arthroses du rachis, on peut ainsi avoir recours à des fauteuils coquilles, parfois les seuls à même de soulager le patient, et le seul moyen de l’asseoir et de le mettre à table. Il faut toutefois continuer à mobiliser ces patients.
Enfin, il faut encourager les malades à contrôler leur poids. Et, dans le même temps, prévenir l’amyotrophie et la sarcopénie qui s'installent avec l’âge et favorisent le risque de chute. C’est pourquoi les Ehpad travaillent sur les menus en termes d’apports protéiques et peuvent dispenser des compléments protéiques en fonction du taux d'albumine sérique.

Ostéoporose : dépistage et vitamine D en première ligne

Autre pathologie ostéo-articulaire fréquente du sujet âgé, « l’ostéoporose, tend à être plus flagrante en Ehpad où les comorbidités sont légion. Mais, paradoxalement, c'est souvent une pathologie laissée de côté parce qu'elle
s’exprime peu », selon le gériatre.
Un point sur les fractures vertébrales, souvent silencieuses, est pourtant indispensable. La mesure de la DMO du rachis n’est pas utile à cet âge puisque les tassements osseux induits par les fractures vertébrales, les becs-de-perroquet provoquent une surévaluation. L’outil de base est le cliché radiologique du rachis dorso-lombaire de face et de profil. L'interrogatoire à la recherche d’un antécédent de fracture de fragilité vient compléter le bilan et permet de poser l’indication d’un traitement spécifique de l’ostéoporose, trop souvent négligé chez les patients en Ehpad.
Le traitement médicamenteux à base de biphosphonates est très efficace. Mais l’utilisation de ces médicaments doit respecter certaines précautions. Il faut en particulier être très attentif au bilan bucco-dentaire face au risque d’ostéonécrose de la mâchoire. Par ailleurs, le respect des conditions de la prise par voie orale peut être délicat, surtout chez les sujets présentant des troubles cognitifs. Auquel cas, la voie IV peut constituer une alternative intéressante. Et malgré son coût on ne doit pas hésiter au besoin à faire appel au tériparatide administré par voie  SC.
Au-delà de ces traitements médicamenteux spécifiques, la prescription d'une supplémentation vitaminique D systématique (une ampoule/mois), est d’un intérêt certain. Avec, à la clé, une réduction du risque de chutes qui sont un risque majeur chez le patient ostéoporotique, celui de fracture du col du fémur qui reste de mauvais pronostic avec 30 à 40 % de décès dans l’année. « Or cette supplémentation vitaminique D sans effets secondaires, bénéficie d’un coût négligeable, et il n’est nul besoin de doser la vitamine D sérique vu l’absence de risques liés à un surdosage. Elle pourrait donc être systématique.

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Pascale Solère

Source : lequotidiendumedecin.fr