« La stratégie diagnostique et le suivi des maladies cardio-vasculaires imposent généralement un bilan complémentaire spécialisé, avec au minimum un ECG et la plupart du temps une échocardiographie/Doppler irréalisable généralement en Ehpad et requérant l’accès à un plateau technique cardiologique. Ce qui complique singulièrement les choses pour un résident souffrant de handicap moteur ou de troubles cognitifs comme beaucoup de personnes en Ehpad, qui doit faire face à des difficultés logistiques et techniques, en particulier lorsque les Ehpad sont éloignées des centres urbains », explique le Pr Philippe Chassagne (Centre de gériatrie ambulatoire et communautaire (Lausanne), ancien chef de service de médecine interne gériatrique (Rouen).
Sur le plan thérapeutique, le médecin se trouve confronté, comme pour toutes les personnes âgées, à des classes médicamenteuses à l’égard desquelles il éprouve une certaine méfiance, comme les anticoagulants et les AAP, et des molécules susceptibles d’être rapidement délétères en cas de déshydratation ou de fortes chaleurs comme les diurétiques ou les IEC.
HTA : contrôler… mais pas trop
L’HTA, qui admet une prévalence de 65 % en Ehpad, est relativement simple à gérer, car elle ne nécessite généralement qu’un bilan complémentaire initial biologique et peu de contrôles périodiques spécialisés. Dans l’étude Hyvet, le traitement antihypertenseur se révélait bénéfique à l’égard de l’insuffisance cardiaque et de la mortalité cardio-vasculaire chez les plus de 80 ans en population générale. Mais on ne dispose pas de données spécifiques sur les résidents des Ehpad, une population vraisemblablement assez différente de celle des essais, avec en particulier un doublement du nombre de personnes atteintes d’AVC ou de diabète par rapport aux participants d’Hyvet. Paradoxalement, la PA est mieux équilibrée en Ehpad du fait d’une meilleure observance thérapeutique. Il faut cependant être vigilant vis-à-vis d’un contrôle trop strict, non seulement pour éviter les hypotensions mais surtout pour ne pas altérer le pronostic. « Une série d’études françaises, en particulier à Nancy (étude PARtage), menées sur des centaines de patients, met en évidence qu’une PAS en dessous de 120 mmHg diminue la survie si plus de 2 médicaments antihypertenseurs quotidiens sont prescrits. Il faut savoir se montrer chez les personnes institutionnalisées plus modeste que chez les patients vus en ambulatoire en ce qui concerne les cibles tensionnelles », avertit le spécialiste.
Insuffisance cardiaque : une gestion délicate
La prise en charge de l’insuffisance cardiaque (qui admet une fréquence de 11 % après 80 ans) est plus complexe, car elle implique la réalisation d’une échocardiographie pour le diagnostic et la surveillance et une combinaison de traitements avec le risque d’interactions et d’effets indésirables inhérents.
Les insuffisances cardiaques à fonction systolique préservée représentent 50 % des IC chez le sujet âgé, les deux types d’insuffisance cardiaque étant distingués par une échocardiographie ; le traitement symptomatique est identique dans les deux formes, mais, en l’absence de certitude sur la FEVG, ne permet pas d’appliquer les stratégies spécifiques recommandées pour le traitement de cette variété d’insuffisance cardiaque.
Le repérage et le suivi clinique de l’insuffisance cardiaque sont problématiques dans la mesure où la dyspnée d’effort est difficile à caractériser chez une personne sans activité physique ou qui ne se rend pas compte de l’évolution de ses symptômes. Quant à l’évolution de cette pathologie, elle est imprévisible, avec des décompensations responsables de nombreuses hospitalisations en urgence. Or « les Ehpad manquent de la réactivité nécessaire pour intervenir rapidement devant une prise de poids, une aggravation de l’essoufflement ou de la fatigue », déplore le Pr Chassagne.
Fibrillation auriculaire : le difficile choix de l’anticoagulation
La FA concerne un résident sur 10 au-delà de 80 ans, porteurs généralement des facteurs de risque associés, en faveur d’une anticoagulation au long cours. Une prescription difficile, même si la prise est bien mieux observée qu’à domicile, chez des personnes à risque de chute voire des antécédents hémorragiques. De plus, le soignant a une certaine réticence à imposer aux patients âgés atteints des anticoagulants avec des prises de sang régulières. D’où une lourde responsabilité pour le médecin traitant qui se trouve souvent assez seul face à la décision. Les AOD, ne requérant pas de prélèvements en dehors de la vérification de la fonction rénale, pourraient constituer une alternative intéressante en diminuant la charge de soins pour les Ehpad et en assurant une meilleure tolérance pour les patients.
Cardiopathies ischémiques : la question des dyslipidémies
La conduite à tenir devant une douleur thoracique est la même qu’à domicile. Il est classique de dire que la symptomatologie est plus atypique chez les personnes âgées, mais à l’heure actuelle elle est généralement bien reconnue, même lorsque l’interrogatoire est difficile. Le suivi à distance est un peu plus problématique au long cours chez les personnes qui ont bénéficié d’une angioplastie. En effet, la surveillance cardiologique s’espace et la gestion de la cardiopathie ischémique devient alors plus ponctuelle. Dans cette optique, il est recommandé de ne pas poser de stents actifs aux sujets de plus de 80 ans afin d’éviter une bithérapie antiagrégante au long cours.
L’artérite est aussi un problème récurrent chez les personnes résidant en Ehpad, provoquant notamment des complications à type d’ulcères chroniques de jambe. Là encore, il est difficile d’enquêter sur d’éventuelles douleurs à la marche, et le diagnostic ne peut être fait que par un plateau technique réalisant la mesure de l’IPS et/ou le Doppler.
Une éducation thérapeutique difficile
Comme dans toutes les pathologies, l’éducation thérapeutique est limitée chez les habitants des Ehpad et la capacité à suivre des programmes de réadaptation physique freinée par les handicaps locomoteurs. À cet âge, le tabagisme ne joue plus qu’un rôle anecdotique et le facteur de risque essentiel avec l’HTA est la dyslipidémie. La question de sa prise en charge est débattue chez les sujets âgés, et on manque totalement de données en ce qui concerne les personnes en Ehpad. « Devant un patient en prévention secondaire avec un profil athéromateux évident, il est licite de poursuivre le traitement hypolipémiant déjà institué, sauf chez une personne en fin de vie. Par contre, la décision de l’arrêter ou de l’initier chez un nonagénaire cumulant plusieurs facteurs de risque mais sans pathologie athéromateuse authentifiée est elle aussi laissée au libre arbitre du médecin traitant, au cas par cas et en fonction de l’évolution des connaissances », souligne le spécialiste, qui conclut : « Cette population très âgée, généralement admise en Ehpad pour des troubles cognitifs et/ou des handicaps moteurs et sensoriels, demande une très grande disponibilité des médecins intervenants. Une hot line assurée par les cardiologues, afin de répondre rapidement aux questions du médecin traitant, le développement de réseaux de télémédecine pourrait en partie alléger la charge des Ehpad en limitant les déplacements
des malades ».
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