Pneumologie

Repenser la prise en charge des pneumopathies

Publié le 11/11/2016
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Le vieillissement de l’appareil respiratoire se traduit par une diminution de l’élasticité pariétale avec réduction de la capacité vitale, des débits expiratoires et de l’efficacité de la toux. Chez cette population âgée et fragile, les surinfections broncho-pulmonaires et les décompensations de BPCO sont très fréquentes. Elles sont à l’origine d’importants phénomènes épidémiques et sont responsables d’une mortalité élevée. Leur diagnostic est compliqué, car la sémiologie est atypique. La malnutrition compromet le rétablissement du patient.
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Crédit photo : SCIENCE SOURCE/PHANIE

En Ehpad, la distinction classique entre pneumopathie, bronchite aiguë, surinfection de bronchite chronique ou syndrome grippal est souvent difficile. Les signes et symptômes pour établir une telle classification sont peu sensibles et peu spécifiques en dehors de l’hôpital, et l’absence habituelle de plateau technique en Ehpad rend difficile le diagnostic d'infection respiratoire. De plus, l’épidémiologie bactérienne de ces infections est souvent comparable. On les regroupe donc sous le terme « d’infections respiratoires basses » (IRB) et l’on ne parle plus de maladies nocosomiales mais « d’infections associées aux soins ».
Chez le sujet âgé en institution, les infections respiratoires basses sont fréquentes et particulièrement graves, en raison de la polypathologie que présentent ce type de patients – 11 à 12 pathologies en moyenne. L’existence de pathologies psychiatriques – au premier rang desquelles se trouve la maladie d’Alzheimer – rend l’interrogatoire et le diagnostic d’autant plus difficiles.

Des signes cliniques absents ou inhabituels

Chez les personnes très âgées,les signes habituels de pneumopathie (fièvre, toux, dyspnée, expectoration) manquent souvent à l’appel ou sont frustes ou retardés, alors que des signes extra-pulmonaires, tels que la chute ou la détérioration mentale, sont au premier plan. Il faut aussi être attentif à l’existence d’une tachypnée (25/min) qui annonce souvent, avec deux ou trois jours d’avance, une décompensation.

La chute, premier signe d’alerte

Comme le remarque le Dr Martine Soudani (présidente de l’Association des médecins coordonnateurs de Paris, coprésidente de l’Association nationale de médecine médico-sociale), « c’est souvent la chute qui est le premier signe d’une infection bronchopulmonaire ou d’une décompensation d’une BPCO ». Toute chute chez un résident d’EPHAD ou tout changement de comportement témoignent d’une fragilisation et doivent faire penser à une infection respiratoire. L’auscultation du patient doit alors être systématique.
L’état de fragilisation se manifeste de fait par trois signes principaux : la chute, l’incontinence et l’existence d’un syndrome confusionnel.
Les marqueurs de gravité peuvent rapidement être recherchés au lit du patient : la force musculaire par la force de la poignée de main, la cognition par la résolution d’un problème arithmétique simple, la répétition de 10 mots commençant par une même lettre, le dessin d’une horloge en plaçant les aiguilles en position donnée, la capacité aérobie par un test de marche de six minutes.
L’évaluation et la surveillance de l’état nutritionnel sont également essentielles chez les sujets très âgés, surtout s’ils ont une BPCO. La malnutrition est fréquente et résulte de la perte d’appétit par diminution du goût, de la polymédication, de la dégradation de l’état bucco-dentaire qui complique la mastication, des troubles de la déglutition qui peuvent entraîner des pneumopathies de déglutition, des troubles moteurs qui gênent la mastication, des troubles psychiques à type de désorientation, dépression, état démentiel et de la précarité.

Le cercle vicieux de l’épuisement des réserves

L’amaigrissement se fait aux dépens de la masse musculaire. La fonte musculaire, qui résulte du vieillissement, du manque d’activité physique et des diverses agressions métaboliques, va retentir sur la motricité et handicaper la marche, la mastication et la respiration. La masse musculaire représente la principale réserve protéique indispensable à la synthèse des protéines inflammatoires et au fonctionnement des cellules immunitaires. Or les infections majorent la dénutrition et augmentent aussi la toxicité des médicaments, en particulier des antivitamines K et des digitaliques. Il se crée ainsi un véritable cercle vicieux avec épuisement des réserves et risque de perte d’autonomie.
Autre fondement du mécanisme physiopathologique des affections pneumologiques, le vieillissement de l'appareil respiratoire qui se traduit par une diminution de l'élasticité pariétale qui entraîne une réduction de la capacité vitale, des débits expiratoires et de l'efficacité de la toux. La perte d'élasticité des petites voies aériennes est responsable de la réduction des débits expirés.
L’altération de la production de mucus et de la motilité ciliaire favorise aussi la stagnation de germes dans la trachée et les bronches. La baisse de l'acidité gastrique par atrophie gastrique diminue l'efficacité de cette barrière anti-infectieuse en cas de reflux et d'inhalation. Enfin, le système immunitaire est également moins performant, avec une atteinte de la fonction des polynucléaires neutrophiles, des lymphocytes, une altération de l'immunité humorale et de la production des cytokines.

Difficultés pratiques de la prise en charge

Dans les Ehpad, les patients atteints de BPCO sont souvent dans une situation de précarité avancée, avec une hygiène de vie défectueuse, ayant été exposés à un environnement pollué auquel s’ajoutent le tabac et souvent l’alcool. L’existence d’une détérioration psychique et mentale rend l’interrogatoire extrêmement difficile, le patient n’exprimant aucune plainte, « comme s’il n’habitait plus son corps », précise le Dr Soudani, et ce d’autant qu’il est souvent opposant et dans le refus des soins, avec des troubles psychiatriques (Alzheimer et schizophrénie).
De plus, lorsque ces patients décompensent une BPCO, le médecin attaché à l’Ehpad, ou le médecin traitant, n’est pas toujours disponible, et l’on est obligé d’appeler un médecin d’urgence qui ne connaît pas le dossier du patient. Or il est souvent difficile et chronophage de consulter le dossier médical informatisé de l’Ehpad. Ensuite, la prise en charge de ces patients est extrêmement complexe, et la seule solution est bien souvent l’hospitalisation, surtout lorsqu’il n’y a pas d’infirmière de nuit. Avec la politique hospitalière actuelle de réduction de la durée de l’hospitalisation, les patients sortent souvent le lendemain matin et doivent être rapidement réhospitalisés. « Ces fréquents aller-retour aux services des urgence ne sont pas satisfaisants », conclut le Dr Soudani.
Pour elle, Il faudrait donc que les Ehpad aient des médecins salariés attachés à l’établissement – ayant, de préférence, une compétence en gériatrie –, qui connaîtraient bien le dossier médical des patients, ce qui améliorerait la prise en charge en cas d’infection.
Autre problème, au lit du malade, l’auscultation est souvent gênée par le manque de collaboration du celui-ci, son épuisement ou l’existence d’anomalies auscultatoires préexistantes et le classique foyer de râles crépitants est rarement perçu. Chez un sujet non coopérant et fatigué, les mouvements respiratoires sont de faible amplitude et les signes d’auscultation sont alors peu sensibles ou absents. L’auscultation peut toutefois mettre en évidence un infiltrat alvéolaire ou un épanchement pleural.
Chez le bronchitique chronique, de gros crépitants sont souvent entendus, surtout aux bases. Devant l’insuffisance des signes cliniques, une radio pulmonaire sera demandée chaque fois que possible. Si l’établissement n’est pas équipé, le patient peut être envoyé en hôpital de jour pour pratiquer un bilan radiologique. Certains Ehpad ont conclu des accords avec des associations de manipulateurs radio qui se déplacent au lit du malade et effectuent des radios de bonne qualité. Quant aux bilans biologiques, lorsqu’il n’est pas possible de les faire dans l’établissement, certains EHPAD ont conclu des accords avec des laboratoires de ville qui viennent sur place effectuer les prélèvements biologiques.

L’antibiothérapie est la plupart du temps probabiliste

Les germes responsables de pneumopathies en EHPAD sont assez mal connus et l’identification du germe est souvent difficile, voire impossible en pratique.
Il faut donc évaluer la gravité de l’infection et, si nécessaire, mettre en route une antibiothérapie, le plus souvent probabiliste, car l’état du patient peut très vite s’aggraver.
Pour aider à la prise en charge des patients atteints de surinfections broncho-pulmonaires ou de décompensations de BPCO, un guide des bonnes pratiques de la prise en charge des dyspnées et de l’antibiothérapie a été publié (Guide des recommandations de prise en charge des infections aiguës en Ehpad, ARS, Omedit, 2014). En pratique, malgré ces recommandations pour le choix de l’antibiotique, si le patient ne peut pas avaler et que les injections IM sont contre-indiquées, la ceftriaxone est souvent le meilleur choix, car elle possède un large spectre et présente l’avantage de la voie sous-cutanée, d’administration plus facile.
Par ailleurs, chez le sujet âgé, qui présente des troubles cognitifs, des difficultés de préhension manuelle et un tremblement, l’administration de la plupart des médicaments respiratoires par voie inhalée est impossible et la chambre d’inhalation est souvent la seule solution.
Enfin, la kinésithérapie respiratoire et la réhabilitation à la marche apportent des aides utiles. Quant à l’évolution, elle est grevée de complications, d’une mortalité élevée, et dépend de l’état initial du patient. En dehors des éléments pronostiques respiratoires connus (VEMS très altéré avec mauvaise réponse aux bronchodilatateurs, hypoxie sévère, persistance d’un tabagisme, etc.), il faut évaluer les marqueurs cliniques de fragilité précédemment cités.

Voir aussi :

La prévention joue un rôle essentiel

Des expérimentations pour gérer l'urgence pneumologique

Docteur Pascale Ogrizek

Source : lequotidiendumedecin.fr