Violences faites aux femmes

Écoute et dialogue, face aux victimes

Publié le 02/05/2014
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Quand les femmes ne parlent pas des violences qu’elles subissent, le médecin ne voit que ce qu’il veut voir, ce que la femme donne à voir. Il n’existe pas de signes spécifiques mais un grand nombre de tableaux qui peuvent être la conséquence des violences : ecchymoses, fractures, troubles psychologiques, alimentaires, digestifs, psychosomatiques, douleurs diverses, tableaux gynécologiques, grossesses non désirées, conduites à risques, nombreux arrêts de travail… Le tableau le plus spécifique est celui d’un état de stress post-traumatique avec irruption dans le présent d’événements traumatiques subis antérieurement et qui se manifestent par des cauchemars, des pensées intrusives, une hypervigilance, des évitements. « On ne comprend pas ce qui se passe chez ces patientes, souligne le Dr Gilles Lazimi, aucune solution thérapeutique à leurs maux n’est efficace et elles ne font pas ce qu’on leur dit de faire ; souvent cela génère en nous irritation et rejet, d’autant qu’elles peuvent être agressives ». Quand le médecin suspecte des violences, il a peur d’être intrusif, il met en place des mécanismes d’évitement, de dénégation. D’autant qu’il manque de formation et de connaissances des réseaux de soins dans ce domaine.

Depuis plusieurs années, des études de repérage systématique avec trois questions simples ont été menées :

1) Au cours de votre vie, avez-vous été victime de violences verbales, propos sexistes, humiliants, dévalorisants, injures, menaces ?

2) Au cours de votre vie, avez-vous été victime de violences physiques ? Avez-vous reçu des coups, des gifles ? Avez-vous été battue, bousculée par un homme ?

3) Au cours de votre vie, avez-vous été victime de violences sexuelles : attouchements, viol, rapports forcés ?

Les pourcentages recueillis sont impressionnants (en moyenne, 60 %, 40 % et 20 % aux différentes questions). «Poser ces questions, insiste le Dr  Lazimi, permet aux victimes de ne plus être seules, de faire le lien avec les tableaux cliniques présentés, permet le dialogue, et à la femme de ne plus se sentir coupable, fait changer de camp à la honte ».

Démonter la stratégie de l’agresseur.

Depuis 1986, le Collectif féministe contre le viol (CFCV) répond aux questions des femmes victimes d’agressions sexuelles de 10 à 19 heures en semaine. 47 000 femmes ont téléphoné (1). « On s’est aperçu,souligne le Dr Emmanuelle Piet, que les agresseurs adoptaient presque toujours la même stratégie. C’est important d’expliquer cela aux femmes victimes de violences, ça balaye leur culpabilité ». L’agresseur choisit sa victime, la séduit puis il organise l’agression. D’abord, il l’isole familialement, socialement, puis il l’humilie et la dévalorise : sans lui, elle n’est rien. Et il inverse la culpabilité, il persuade sa victime que c’est elle qui a engendré l’acte violent, qu’elle l’a même parfois incité à passer à l’acte. Puis il installe un climat de peur qui ne fait qu’augmenter la soumission. Enfin, il garantit son impunité en verrouillant son secret par des menaces.

« Quand la femme commence à parler des violences dont elle est victime, il ne faut pas lui conseiller d’emblée d’aller porter plainte, de mettre la machine juridique en route tout de suite, conseille le Dr Piet. Nous, nous savons qu’il faut qu’elle parte le plus vite possible, mais la décision doit venir d’elle. Si on lui met la pression, elle ne reviendra plus consulter. Le rôle du médecin est de rompre l’isolement et de les aider à avancer pas à pas ». Il faut qu’elle comprenne qu’il y a un agresseur et qu’elle est la victime. Petit à petit, la honte va s’estomper puis disparaître, la femme va se libérer de son sentiment de culpabilité.

Communications du Dr Gilles Lazimi (membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes) et du Dr Emmanuelle Piet (présidente du Collectif féministe contre le viol)

(1) 0800.05.95.95 : numéro vert du lundi au vendredi de 10h à 19h

Dr B. M.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9323