LA LOMBALGIE CHRONIQUE est un problème majeur de santé publique. Par sa fréquence d’abord, car sa prévalence annuelle est de 35 à 50 % de la population, avec une prévalence de vie entière supérieure à 60 %. Elle est la deuxième cause de consultation chez un médecin et la troisième cause de demande d’invalidité. De plus, elle est un enjeu de santé publique : elle est responsable en France de 110 000 arrêts de travail, d’une durée moyenne de 33 jours, soit 3,5 millions de journées perdues. Il existe un grand risque de non reprise du travail lors de sa chronicisation : probabilité de reprise du travail 40 à 50 % après un arrêt de travail de six mois, 15 à 25 % pour un an et proche de 0 % à partir de 2 ans. Ce phénomène ne s’arrête pas à nos frontières. En effet, chaque année, 3 à 4 % de la population des États-Unis se retrouvent avec un handicap temporaire.
Discopathie.
L’origine des lombalgies est multiple et leur physiologie est mal connue. Plusieurs structures peuvent être mises en cause : les articulaires postérieures, les racines nerveuses, les muscles et le disque intervertébral. Une de ces causes attire l’attention des spécialistes : la discopathie. Le disque intervertébral est une structure composée en son centre du nucleus et en périphérie de l’annulus. Celui-ci est une structure fibreuse et contient de nombreux nocicepteurs et terminaisons nerveuses. Quant au nucleus, c’est une structure gélatineuse qui occupe deux tiers de surface et supporte 70 % de la pression lors des premières années de la vie, le reste de cette pression étant répartie sur le massif articulaire postérieur de la vertèbre. La discopathie serait responsable de 25 à 45 % des lombalgies.
Au niveau physiopathologique, il existe plusieurs mécanismes à la discopathie : des phénomènes compressifs, inflammatoires, vasculaires, avec un œdème et une inflammation visualisable sur l’IRM et il existe très probablement un mécanisme neuropathique.
Bleu de méthylène.
Le Dr Peng, qui travaille au General Hospital of Armed Police Force à Beijing (Pékin, Chine), a étudié l’efficacité d’une injection intradiscale de bleu de méthylène chez des patients atteints de lombalgies chronique (1). Cette injection a pour effet de détruire des terminaisons nerveuses contenues dans l’annulus et responsables des douleurs. La douleur serait particulièrement importante, du fait de la néovascularisation dans l’annulus, au cours de l’inflammation du disque.
Pour ce faire, le Dr Peng et son équipe ont réalisé une étude prospective en double aveugle sur 72 patients randomisés avec des lombalgies d’origine discale à qui il a été injecté du bleu de méthylène ou du sérum physiologique (qui n’entraîne pas de destruction des terminaisons nerveuses). Les critères d’évaluation principaux étaient l’Échelle Visuelle Analogique (EVA), avant et après le geste pour l’intensité de la douleur, et l’Oswestry Disability Index (ODI) pour la part fonctionnelle. La satisfaction, la prise médicamenteuse et les complications étaient évaluées en critères secondaires.
Le suivi permet d’évaluer à long terme car il s’étale sur 3, 6, 21, et 24 mois, ce qui est indispensable pour ces patients douloureux chroniques. Les résultats de cette étude avec une très bonne méthodologie d’évaluation sont très satisfaisants car les patients dans le groupe bleu de méthylène ont eu une réduction moyenne de la douleur mesurée par l’EVA de 5,25 ; une réduction médiane des scores d’incapacité ODI de 35,58 (qui varie de 0 à 100) ; et un taux de satisfaction de 91,6 %. Dans le groupe placebo, ces chiffres étaient de - 0,70 pour l’EVA et - 1,68 pour l’ODI, avec une satisfaction médiocre, à 14,3 %. Il ressort donc des différences hautement significatives entre les deux groupes (p ‹ 0,001). De plus, l’auteur ne retrouve pas d’effet indésirable ou de complication dans le groupe des patients traités par injection intradiscale bleu de méthylène.
Le débat suivant cette intervention avec des résultats très impressionnants, qui fait suite à la publication dans Pain en 2010 (1), fut animé. Les critiques n’ont pas été rares. Un médecin chinois émigré aux États Unis, a fait part du scepticisme quant aux résultats. Il lui semble effectivement surprenant que l’effet placebo soit si petit (diminution de 0,7 de l’EVA versus 5,25) et ce dès 6 mois, alors que celui-ci est particulièrement important dans l’ensemble des études sur la douleur, atteignant en général 20 à 30 % d’efficacité. Ce médecin invectivant le Dr Peng a souligné certains traits de personnalité des asiatiques qui est notamment ne pas décevoir le médecin et son traitement.
Les remarques ne se sont pas limitées à cet intervenant. Un chirurgien canadien a également pris la parole. Celui-ci, suite à l’étude de 2010, avait lui-même essayé cette technique et les résultats ne concordaient pas. Certes, son expérience se limitait à huit patients, mais sur les huit, un seul avait été soulagé à six mois et tous n’avaient aucun changement de leur état à douze voire dix-huit mois… Le Dr Peng est resté silencieux, était-ce sa mauvaise maîtrise de la langue, un embarras caché ou un trait de personnalité discret ?
Toujours est-il que l’injection de bleu de méthylène en intradiscal pour des lombalgies chroniques avec discopathie pourrait être envisagée, mais après des études comparatives ou multicentriques, limitant certains biais.
D’après la session Discogenic pain, modérée par le Dr M. Marianowicz (Allemagne).
(1) Peng B, Pang X, Wu Y, Zhao C, Song X. A randomized placebo-controlled trial of intradiscal methylene blue injection for the treatment of chronic discogenic low back pain. Pain. 2010 Apr;149(1):124-9.Epub 2010 Feb 18.
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