Certaines personnes âgées le clament elles-mêmes : « à partir d’un certain âge, si on n’a pas mal quelque part, c’est qu’on est mort ! », tant la douleur est fréquente chez le senior, sans conteste liée au plus grand nombre de pathologies à cet âge.
On estime que 60 à 75 % des plus de 65 ans se plaignent d’au moins une douleur persistante. Les douleurs sont essentiellement d’origine vertébrale (65 %), musculo-squelettique (40 %), articulaire (15 à 25%) . En outre 35 % d’entre elles sont neuropathiques, liées au diabète et aux accidents vasculaires cérébraux ou post-zostériennes.
Des modes d’expression différents
Aucune donnée physiologique ne permet de supposer que le seuil douloureux est différent chez les personnes âgées. En revanche, la mémoire d’expériences douloureuses explique à la fois un vécu différent, et la chronicisation plus fréquente des douleurs aiguës. Les sujets âgés sont aussi plus à risque de développer des douleurs neuropathiques, en particulier après un zona.
Le mode d’expression de la douleur peut être atypique chez le senior, avec des plaintes plus diffuses, de localisation et de description moins précises.
Certaines pathologies se révèlent aussi de façon plus torpide comme les infarctus du myocarde, les syndromes abdominaux, les pneumopathies, les cystites, les caries dentaires, etc. En outre, les douleurs aiguës ne sont pas toujours faciles à identifier sur un fond douloureux chronique ; en effet, lorsqu’elles sont entrées dans une histoire chronique de la douleur, les personnes âgées font preuve d’une certaine résilience et ne perçoivent parfois plus une nouvelle douleur comme un symptôme. Elles peuvent aussi être réticentes à se plaindre, par peur de déranger parfois, mais « il est aussi culturellement très intégré qu’avoir mal est “normal” en vieillissant et qu’il ne faut pas se plaindre, un constat bien marqué chez les personnes vivant en milieu rural ou dans des conditions de vie plus rudes qu’en ville », rappelle le Pr Gaëtan Gavazzi (clinique universitaire de médecine gériatrique, CHU de Grenoble).
La dépression et l’anxiété fréquemment rencontrées chez les sujets âgés peuvent également venir au premier plan, dissimulant la douleur. à l’inverse, les plaintes somatiques peuvent masquer un mal-être, une angoisse, un état dépressif, lesquelles à leur tour pérennisent la sensation douloureuse.
Des difficultés d’évaluation
La douleur est d’autant plus difficile à identifier et à évaluer qu’il existe fréquemment des troubles sensoriels, des difficultés d’expression, une altération cognitive, rendant illusoires les échelles d’auto-évaluation même si celles-ci restent utilisables chez la grande majorité des personnes âgées.
L’attention doit être alors attirée par des positions antalgiques, des gestes de protection de la zone douloureuse, des « grimaces », des troubles du sommeil ou de l’humeur, un refus de s’alimenter ou de se lever, une agitation, une agressivité ou au contraire une prostration. « Toute modification du comportement d’un patient non communiquant peut être liée à une douleur et nécessite une évaluation », souligne le gériatre grenoblois.
Chez le patient non communiquant on dispose globalement de trois échelles d’hétéro-évaluation. La plus simple et la plus rapide à utiliser en pratique quotidienne est ALGOPLUS, très bon outil de dépistage et de suivi mais dont la pertinence est moins bonne que l’ECPA (échelle comportementale pour personne âgée) ou DOLOPLUS, plus élaborées et plus longues à réaliser. On recourt plutôt à ces dernières lorsque la situation semble plus complexe, que le comportement est inhabituel ou lorsque la douleur persiste, afin d’affiner l’évaluation.
La douleur chronique, facteur de déclin fonctionnel
Si les sujets âgés se plaignent parfois moins, la douleur chronique impacte leur qualité de vie de façon plus importante que chez les plus jeunes. À côté des conséquences classiques, anxiété, dépression, troubles du sommeil, la douleur chronique limite les activités physiques, avec des conséquences lourdes sur le plan somatique mais aussi sur le plan relationnel. Ses effets délétères sur le plan cognitif se conjuguent avec ceux des médicaments antalgiques de palier 2 et 3, des antidépresseurs, des anti-épileptiques, tous potentiellement responsables de troubles cognitifs.
« Tous les scores montrent que les douleurs neuropathiques retentissent de façon encore plus importante sur la qualité de vie et l’état fonctionnel des patients, et une étude récente a clairement mis en évidence l’importance de l’altération des fonctions cognitives chez les personnes âgées souffrant de douleurs post-zostériennes », indique le Pr Gavazzi.
Vigilance devant les douleurs persistantes
L’évaluation gérontologique standardisée (EGS) est pratiquement systématique devant tout syndrome douloureux chronique de la personne âgée. Une approche multidimensionnelle est indispensable dans le cas de ces douleurs qui finissent par devenir une maladie à part entière. Elle doit permettre de replacer le syndrome dans l’ensemble de ce qui constitue le sujet âgé, d’apprécier les conséquences sur sa qualité de vie, de préciser si elle est le problème principal ou n’est qu’un élément associé.
« En revanche, prévient Gaëtan Gavazzi, il faut rester particulièrement vigilant devant une douleur persistante mais relativement récente (moins de trois mois) ou lorsque chez un douloureux chronique, une autre plainte apparait ou se modifie. On doit toujours s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une douleur symptôme d’une pathologie ou d’une lésion passée inaperçue – cancer, petites fractures, etc. – qui peuvent bénéficier d’un traitement spécifique. On est parfois surpris devant des situations cliniques où le patient – voire parfois le médecin – a longtemps négligé sa douleur ».
Eviter au maximum les antalgiques de palier II
« Chez les patients très âgés, les antalgiques de palier II sont très mal tolérés, aussi est-il préférable, si le palier I se révèle insuffisant, de passer directement aux médicaments du palier III ». Certains patients supportent ces antalgiques de palier II sans effets indésirables majeurs, mais en l’absence d’éléments prédictifs de leur iatrogénie, si on peut exceptionnellement les maintenir chez ceux qui les tolèrent bien, il vaut mieux éviter de les initier. L’association paracétamol/codéine est en ce sens préférable au tramadol.
Par ailleurs, chez un patient polypathologique et polymédiqué, c’est souvent une vraie gageure de prendre en charge la douleur. On se situe bien souvent dans le cadre des contre-indications relatives, d’où la nécessité de bien hiérarchiser les problématiques. On sait aussi que les traitements ne sont pas constamment actifs, d’où l’importance de réévaluer systématiquement et régulièrement leur efficacité et leur rapport bénéfice/risque.
Le problème est encore plus complexe pour les douleurs neuropathiques, traitées avec des molécules à index thérapeutique étroit, passant la barrière hémato-méningée et susceptibles de nombreuses interactions médicamenteuses et effets secondaires : chutes, hypotension orthostatique, rétention d’urine, actions anticholinergiques ainsi qu’un impact cognitif préoccupant chez le sujet vieillissant.
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