Troubles bipolaires : apprécier le moment d’un passage à l’acte

Publié le 23/09/2013
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Crédit photo : Phanie

LE DIAGNOSTIC DE TROUBLE BIPOLAIRE n’est pas si aisé et nécessite souvent une analyse rétrospective de plusieurs épisodes psychopathologiques. Les présentations du trouble sont en effet nombreuses entre celles qui commencent dans l’enfance (la bipolarité ressemble alors à une hyperactivité avec troubles de l’attention), celles de l’adulte jeune, ou plus tardives (à la cinquantaine). Les manifestations sont variables et pas toujours thymiques pures. Ainsi, certaines sont comportementales, comme un comportement suicidaire isolé, addictives ou caractérielles, d’autres semblent uniquement dépressives, alors que d’autres encore sont psychotiques (bouffée délirante). L’existence d’antécédents familiaux ou de périodes inhabituellement "en forme" peuvent toutefois faciliter le diagnostic de trouble bipolaire.

Trois formes.

Les formes "classiques" sont franchement thymiques, marquées lors des états maniaques par l’extravagance, la grandiosité, l’excitation, la communication à outrance, et par l’alternance de signes dépressifs, souvent sévères, accompagnées de passages à l’acte chez les jeunes adultes, parfois de signes psychotiques, délirantes (délire mélancolique ou maniaque). Cette forme dite de type I, est assez facile à identifier, alternance de manifestations maniaques (besoin de contacts, sens de l’initiative disproportionné, etc.) et dépressives (sentiment d’inutilité, insomnie, anxiété, etc.), avec des intervalles libres… plus ou moins libres.

Il existe aussi d’autres formes, notamment de type II, qu’on observe plus souvent chez les femmes. Leur diagnostic est plus difficile car elles ressemblent soit à une forme dépressive récurrente, soit à un trouble de la personnalité. Ces formes sont souvent soignées à tort par des antidépresseurs seuls qui accélèrent les cycles et aggravent les troubles. À l’examen plus attentif, on observe dans ces formes des périodes d’hypomanie (où le patient est un peu trop en forme, mais non désorganisé), mais ce sont les dépressions que l’on remarque parce que souvent résistantes et récurrentes. Le patient lui ne se perçoit que déprimé. La présentation clinique est souvent trompeuse avec des signes évocateurs "d’état limite“, ou des comportements histrioniques, parfois caractériels. La grande comorbidité avec l’abus d’alcool et de drogues rend plus difficile encore l’identification du trouble bipolaire.

On identifie aussi des formes bipolaires de type 3, dans lesquelles les épisodes hypomaniaques surviennent à l’occasion d’un traitement antidépresseur.

Instabilité émotionnelle et une impulsivité.

Ces différentes formes ont en commun une instabilité émotionnelle et une impulsivité, deux caractéristiques facteurs de risque de passage à l’acte, davantage que l’humeur trop gaie ou triste. La difficulté pour le repérage est que ce duo instabilité/impulsivité s’inscrit dans la relation médecin-patient, construite alors sur un mode théâtral ou provocateur. Ce style relationnel fait d’émotivité et de provocation apparente peut mettre le médecin mal à l’aise qui dépense beaucoup d’énergie à canaliser ses propres contres-attitudes. Un grand calme et de la distance sont nécessaires pour ne pas « être pris par l’intensité émotionnelle qui alimente la relation, mais percevoir l’instabilité des affects et des propos » souligne le Dr Nuss.

Des manifestations cliniques comme l’impulsivité sont en effet difficiles à identifier comme telles en raison de l’allure contestataire, pathétique, digressive des patients qui brouille la relation. Il est pourtant indispensable de se détacher de ce vécu perçu comme agressif afin de mettre en évidence l’impulsivité et convaincre ensuite le patient qu’il a besoin d’aide… Pour y parvenir, il convient de ne pas argumenter sur les paroles et le style comportemental, mais de relever l’existence de manifestations non énoncées mais évidentes telles que l’angoisse du vécu, l’insomnie, le dyscontrôle émotionnel ("attaques de colère" par exemple) a priori non conflictuelles ou disqualifiantes, avec des propos tels que : “ce que vous vivez doit être angoissant“, “ce doit être fatiguant ces émotions qui changent sans cesse“.

Le risque suicidaire.

Plus précisément, le risque suicidaire chez le patient souffrant de trouble bipolaire est évalué sur un certain nombre de facteurs de risque. En tête, les antécédents personnels de suicide, les antécédents familiaux de bipolarité et de suicide. La présence d’idéations suicidaires, de pensées de mort, est aussi inquiétante. Comme celle d’un scénario (arme, comprimés, mort aux rats), l’absence de facteurs de protection (solitude, difficultés à demander de l’aide, recours aux urgences systématique faute de médecin traitant), la présence de toxiques facilitateurs de passage à l’acte (alcool). C’est dans ces conditions que le patient doit être plus particulièrement convaincu de la nécessité d’être aidé… Un antipsychotique, le sommeil, un stabilisateur de l’humeur (à plus long terme), une hospitalisation permettent de diminuer le risque de passage à l’acte.

D’après un entretien avec le Dr Philippe Nuss*, psychiatre à l’Hôpital Saint-Antoine et UMR 7203, Laboratoire des biomolécules, Université Pierre et Marie Curie (Paris).

*Liens d’intérêt : le Dr Nuss intervient avec l’ensemble des laboratoires pharmaceutiques dans le cadre de formations déclarées au Conseil de l’Ordre des médecins

Dr BRIGITTE BLOND

Source : Le Quotidien du Médecin: 9265