L’aspergillose, une pathologie émergente en France

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Publié le 25/04/2025
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Connue dans les pays du Sud, où elle s’associe essentiellement à la tuberculose, l’aspergillose pulmonaire chronique prend une forme différente en France, accompagnant plus volontiers une BPCO. À la clé, une incidence croissante pour un diagnostic souvent très tardif, qui implique un pronostic sombre.

Actuellement, les patients adressés en France sont peu nombreux à être encore opérables

Actuellement, les patients adressés en France sont peu nombreux à être encore opérables
Crédit photo : PHANIE

L’aspergillose pulmonaire chronique est grevée d’une importante morbimortalité. Quels sont les facteurs de risque associés à cette pathologie ? C’est ce qu’a exploré Prospero, une revue des données disponibles, qui montre que la mortalité oscille entre 25 et 35 % et s’avère largement influencée par l’âge, le sous-type d’aspergillose pulmonaire et les comorbidités sous-jacentes (1).

La publication associe une revue de 79 études, représentant 8 780 patients, et une méta-analyse de 15 études, recouvrant 1 860 patients. La mortalité au global est de 27 [22-32] % à un an et 32 [25-39] % à cinq ans. Mais ces chiffres s’avèrent très variables.

Quand le terrain sous-jacent majeur est une BPCO, on relève 35 [22-49] % de mortalité dans 14 études. Quand c’est une tuberculose, on est à 25 [16-35] % sur 20 études. Après résection chirurgicale, les décès ne concernent en revanche que 3 [2-4] % des patients.

L’analyse multivariée montre par ailleurs que, parmi les comorbidités pulmonaires, les antécédents de tuberculose sont associés à une mortalité plus basse (par rapport au fait de n’en avoir jamais eu), le cancer bronchopulmonaire est au contraire très péjoratif sur la mortalité (par rapport au fait d’en être indemne). Autre facteur, l’âge : chaque décennie passée majore de 25 % la mortalité (RRajusté = 1,25 [1,1-1,4] ; p < 0,0001). Enfin, les formes invasives subaiguës et cavitaires chroniques ont une mortalité accrue, comparativement aux aspergillomes simples.

Commentaires du Dr Thomas Maitre* (Tenon)

Un profil lié à la BPCO

En France, une première étude sur le PMSI avait mis en évidence une augmentation d’incidence de l’aspergillose pulmonaire chronique, passée de 3 à 4/100 000 entre 2013 et 2018, quand la prévalence progressait de 3,5 à 4,5/100 000. Mais la publication en 2016 d’un consensus international pouvait avoir favorisé une meilleure connaissance et un dépistage accru de cette maladie (2).

Pour en savoir plus, nous avons mené une première enquête (3). Elle avait mis en évidence que, sur les 17 000 hospitalisations pour aspergillose pulmonaire chronique recensées entre 2009 et 2019, une majorité des patients (60 %) étaient des hommes âgés (65 ans d’âge médian), porteurs de BPCO (40 %) ou d’emphysème (20 %). Et, dans cette population, la mortalité était majeure : 45 % à cinq ans, sachant que les pathologies sous-jacentes, notamment la dénutrition et l’insuffisance respiratoire, peuvent participer au mauvais pronostic.

On est donc bien loin, en France – et probablement dans l’ensemble des pays occidentaux – du profil retrouvé dans les pays du Sud, à savoir une pathologie survenant essentiellement sur séquelles de tuberculose, chez des sujets jeunes (30 ans en moyenne), peu comorbides, avec une mortalité globale à cinq ans de 35 % (contre 45 % dans la série française).

Avancer le diagnostic

Aujourd’hui, cette seconde publication, issue d’une collaboration avec de nombreux collègues colligeant les données de près de 10 000 patients, confirme que la mortalité diffère fortement suivant le terrain, puisqu’elle varie de 25 % lors d’antécédents de tuberculose à 35 % en présence de BPCO (1).

Et le traitement médico-chirurgical est mis en échec, car le diagnostic et la prise en charge sont trop tardifs – la chirurgie ne s’envisage que dans des formes localisées, encadrée par un traitement antifongique et un programme de renutrition. D’ailleurs, dans notre pratique, une faible proportion des patients que l’on nous adresse sont opérables.

Il faudra donc à l’avenir savoir évoquer cette maladie émergente, surtout lors de BPCO, favoriser un diagnostic précoce et organiser une prise en charge multidisciplinaire, incluant notamment un volet nutritionnel pré- et post-opératoire, et de la réhabilitation respiratoire (4).

Propos recueillis par P. S.

*Sorbonne-Université, hôpital Tenon, AP-HP, centre de référence aspergillose pulmonaire chronique

(1) Sengupta A et al. Mortality in chronic pulmonary aspergillosis: a systematic review and individual patient data meta-analysis. Lancet Infect Dis 2025;25: 312-24
(2) Denning DW et al. Chronic pulmonary aspergillosis: rationale and clinical guidelines for diagnosis and management. Eur Respir J 2016;47:45-68
(3) Maitre T et al. Chronic pulmonary aspergillosis: prevalence, favouring pulmonary diseases and prognosis. Eur Respir J 2021; 58:2003345
(4) Maitre T et al. To code or not to code chronic pulmonary aspergillosis associated malnutrition in PMSI database: that is the problem…Eur Respir J 2022;59:2102820


Source : Le Quotidien du Médecin