Selon les résultats d’un sondage mené auprès de vous par lequotidiendumedecin.fr, au cours de leurs études ou de leurs premières années d’exercice, 30 % des médecins femmes et 10 % des hommes estiment avoir vécu des moments de harcèlement sexuel de la part de certains de leurs confrères.
Globalement, 30 % des médecins répondants, tous sexes confondus, avaient entendu parler de ce type de pratique dans leur entourage. Mais 10 % des femmes médecins interrogées qui avaient subi ce type de violence semblaient ignorer que d’autres pouvaient en avoir été victimes. Signe, peut-être, qu’elles n’avaient jamais osé en parler à d’autres confrères ou à leur hiérarchie…
Impact sur l’avancement de carrière
Ces chiffres sont assez superposables à ceux publiés par le JAMA (1) cette année, qui rapportait un pourcentage respectif de harcèlement de 30 et 4 %. Il s’agissait avant tout de comportements ou de remarques sexistes (92 %), d’avances sexuelles (41 %), de mise en avant du lien de subordination pour obtenir des faveurs (6 %), de menaces (1,3 %) ou de coercition (9 %). Ce travail américain soulignait aussi que les hommes comme les femmes qui avaient été victimes de harcèlement sexuel et qui s’y étaient opposés estimaient que leur attitude avait eu un impact direct sur leur avancement de carrière (61 % des hommes et 64 % des femmes).
Un point positif tout de même, en 1993, une étude sur des internes publiée dans le prestigieux New England Journal of Medicine (2) concluait que 73 % des internes filles et 22 % des garçons avaient subi des avances ou des comportements déplacés pendant leurs études ou leur internat. Doit-on conclure que des mesures de prévention ont été mises en place aux États-Unis ? En partie, mais deux autres faits contradictoires doivent aussi être pris en compte : d’une part la proportion de femmes dans les études de médecine a augmenté depuis les années 1990 aux États-Unis comme en France. Dans le même temps, les plaintes pour harcèlement sexuel se sont multipliées en l’absence de définition juridique précise de cet acte.
Sexisme affiché
En France, au printemps dernier, une question posée aux ECNi blancs relevée par une jeune étudiante montre que le harcèlement sexuel au travail n’est pas encore pris au sérieux par les médecins seniors : l’énoncé parlait de la conduite à tenir face à une jeune femme qui avait reçu une fessée sur son lieu de travail et parmi les réponses proposées on pouvait lire : « Vous lui demandez d’aller au coin parce qu’elle n’a pas été sage. »
Que dire des fresques d’internat mimant des viols ou des affiches des « Soirées médecine »… Pas grand-chose puisque les internes sont les premiers à défendre cet humour carabin, teinté de sexisme. Pour beaucoup, ces pratiques ont lieu dans le cadre strictement privé des salles de garde. Elles s’inscrivent dans une « tradition » des études médicales menées à grands coups de chants paillards qui auraient pour vocation d’agir comme une soupape de sécurité pour des praticiens confrontés à la maladie et à la mort.
Des plaintes rares
Mais cela ne serait rien si ce sexisme ne faisait pas de lit d’autres actes plus graves : des viols, comme 2011 à Villeurbanne à la suite d’une soirée médecine, ou en 2012 à Lille dans le cadre d’un bizutage. En 2015 – et c’est un cas extrêmement rare – une jeune externe a alerté sa hiérarchie sur le comportement déplacé d’un chirurgien au CHU de Rouen. Mais il reste exceptionnel que des plaintes soient déposées tant l’omerta sur ce sujet est bien partagée dans tous les hôpitaux. Interrogés par « le Quotidien », des hommes et femmes victimes de harcèlement expliquent leurs difficultés à en parler à leurs collègues et leur hiérarchie tant les faits ont tendance à être minimisés et qualifiés de tradition carabine. Mais nombre d’entre eux reconnaissent qu’ils y ont vu un abus de pouvoir hiérarchique qui a parfois impacté sur le déroulement de leur carrière.
Une profession qui se féminise : quel impact sur le harcèlement ?
Anonymement, les jeunes médecins parlent pourtant de vrais faux jeux de drague, de blagues de « carabins », des coups d’œil dans des vestiaires mixtes, de faux appels aux bips de garde avec des confrères au bout du fil, de traditions de service, de défoulement post ou per-garde à teneur sexuelle, de blagues « de cul », de vision d’internes à moitié voire complètement déshabillé(e)s sur ordre de « l’économe » lors des tonus… Et quand ces situations sont émaillées d’un rapport hiérarchique, les choses se compliquent. Demain, les promotions d’étudiants qui arriveront à l’internat seront composées majoritairement de filles. Le harcèlement sexuel va-t-il pour autant cesser ? Difficile de l’imaginer car en dépit de la féminisation galopante de la profession, les postes à responsabilité restent encore majoritairement masculins.
(1) Jagsi R et al, Sexual Harassment and Discrimination Experiences of Academic Medical Faculty, JAMA 17 mai 2016.
(2) Komaromy M et al, Sexual harassment in medical training, New England Journal of Medicine, 4 février 1993.
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