Début mars 2015, trois psychiatres de New York, les Drs Matthew Goldman, Ravi Shah et Carol Bernstein, ont publié dans la revue JAMA Psychiatry (1) des recommandations pour une réponse nationale à adopter d’urgence pour lutter contre le suicide des internes en médecine. Cette mobilisation est une réponse au suicide de deux très jeunes médecins new-yorkais au cours des deux premiers mois de l’année universitaire 2014-2015. Ce fait divers a été vécu comme un choc par nombre d’internes aux États-Unis.
Equanimity, la résilience à l’américaine
À la suite de ces deux décès, un étudiant de l’hôpital de Yale-New Haven a écrit un texte sur la détresse des étudiants en médecine, texte qui a été repris comme éditorial dans le New York Times (2). L’éditorial a fait grand bruit, il a été diffusé dans de nombreuses facultés de médecine et plus de 260personnes l’ont commenté sur le site du journal. Le Dr Pranay Sinha précise qu’il ne connaissait pas les deux étudiants, mais qu’il imagine qu’ils avaient comme lui fêté en mai leur diplôme universitaire, qu’ils vivaient comme lui la fatigue, l’épuisement émotionnel et les doutes des premiers mois de jeune médecin à la fois diplômé mais encore en cours de formation…
Il met en avant une notion très américaine : celle rôle de médecin imperturbable développée par Sir William Osler, celui-là même qui a fondé le premier programme de formation des internes à l’hôpital John’s Hopkins (Baltimore, États-Unis) en 1889.
Le terme « equanimity » dont le Dr Osler s’est servi pour son essai fondateur « Aequanimitas » a été adopté dans toutes les facultés de médecine des États-Unis. Il s’agit d’une résilience que doit acquérir le médecin afin de projeter vis-à-vis des patients et du personnel une forme de sérénité intellectuelle, physique et émotionnelle. Une imperturbabilité qui parfois ne correspond pas du tout à son état d’âme. Et dès que les internes prennent leur premier poste en août, ils se sentent obligés – ou sont parfois contraints – de se conformer à cette image habituelle du médecin.
« Dude, me too »
Pour le Dr Sinha, « le premier semestre d’internat correspond à un changement de vie, de responsabilisation… C’est le temps des premières erreurs, des doutes, de la peur, des sentiments de frustration, des premiers certificats de décès… Rester stoïque, ne pas se sentir autorisé à montrer ses émotions à ses pairs pour correspondre à l’image attendue du jeune médecin peut parfois conduire à des catastrophes individuelles. Et c’est encore plus vrai lorsque l’interne est fatigué physiquement ou moralement, voire déprimé, et qu’en plus il se sent très seul dans ce cas. Les plus beaux mots que j’ai entendus pendant mes premiers mois d’internat ont été prononcés par un collègue que j’admirais et à qui, un jour au restaurant, j’ai osé faire part de mes doutes et de mon sentiment d’infériorité. Il a répondu : « Dude, me too » (moi aussi mon pote). »
Suivre les exemples qui fonctionnent
Alors que proposent les 3 psychiatres new-yorkais dans le JAMA pour réduire le risque de suicide chez les internes ? Avant tout de se référer à des programmes qui fonctionnent bien. Ils citent en tout premier lieu, celui qui mis en place par l’US Air Force au milieu des années 1990. Il a permis de faire passer le taux de suicides de 16,4 pour 100 000 en 1994 à 9,4 pour 100 000 en 1998. « La hiérarchie hospitalière ayant des similitudes avec la hiérarchie militaire, le modèle de l’armée peut constituer un socle de propositions pour un programme national de protection des internes », peut-on lire. « L’université de Californie s’est inspiré des données militaires en 2009 pour proposer des réponses à l’incidence importante de la dépression parmi les étudiants (27 % d’un échantillon de population de l’université). Et même si le nombre d’étudiants volontaires pour un suivi reste faible, ce programme a le mérite d’exister. »
2) http://www.nytimes.com/2014/09/05/opinion/why-do-doctors-commit-suicide…
3) Lindeman S, Laara E, Hakko H, Lonnqvist J.A systematic review on gender-specific suicide mortality in medical doctors. Br J Psychiatry. 1996 Mar;168(3):274-9.
4) Goebert D, Thompson D, Takeshita J et coll. Depressive Symptoms in Medical Students and Residents: A Multischool Study. Academic Medicine. February 2009-Volume 84-Issue 2-pp 236-241. doi: 10.1097/ACM.0b013e31819391bb
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