« Le Quotidien » a rencontré Martine Pacault-Cochet, responsable du service d’action sociale du Groupe Pasteur Mutualité qui a été à l’origine de la mise en place de cette consultation – couplée aux actions de soutien, d’accompagnement et d’entraide déjà proposées, de longue date, par cette mutuelle.
« Cette initiative était une prolongation du travail mené au sein du service d’action sociale et d’entraide de la mutuelle qui aide chaque année plus de 400 médecins. Nous avons mis en évidence dès 2008, à l’occasion du colloque précurseur que nous avons organisé sur la vulnérabilité et la souffrance du soignant, qu’à l’instar de la Catalogne [voir notre chronique dans « le Quotidien » du 4 juin], une approche spécifique et anonyme menée par un médecin formé aux soins aux soignants était à privilégier pour que le médecin malade prenne conscience de l’épuisement professionnel qui le menace ou même le ravage et lui permette de se faire prendre en charge médicalement, explique Martine Pacault-Cochet. Le bien-fondé de cette consultation a été confirmé en 2010 à l’occasion d’une vaste enquête que nous avons menée auprès de plus de 3 700 médecins qui estimaient à 86 % qu’ils pourraient avoir besoin un jour d’un tel dispositif permettant de mesurer leur niveau de stress et d’épuisement professionnel. »
Décoder les événements déclencheurs et apporter des solutions
Au travers de son expérience et de sa pratique, Martine Pacault-Cochet s’est fondée sur une analyse des demandes faites au service d’action sociale. Bien souvent, il s’agit de médecins qui mettent en avant leurs difficultés sociales ou financières et qui ont beaucoup de mal à verbaliser leur souffrance profonde. Pour aborder le burn out, l’écoute se révèle précieuse quand il s’agit de faire émerger la souffrance. Les médecins, tournés vers les autres, sont habitués à repousser sans cesse leurs limites et ont tendance à être dans le déni de leurs propres pathologies. Face à un tiers, ils peuvent prendre conscience du fait que l’épuisement professionnel n’est pas une fatalité.
« Par le biais de mon service et de la consultation de prévention, nous sommes au cœur d’une formidable solidarité médicale qui essaie d’éviter les drames de l’épuisement, des passages à l’acte, de l’addiction, de la souffrance due au manque de reconnaissance des patients, aux pressions de la hiérarchie, aux conséquences des erreurs médicales… Un événement déclencheur de gravité plus ou moins importante est ainsi souvent retrouvé – divorce, diminution de la patientèle plainte, altercation, début d’erreur médicale, consommation d’alcool ou de médicaments… Tous les médecins sont concernés, les libéraux comme les hospitaliers. Et de plus en plus, de jeunes confrères – nouvellement diplômés ou en cours de formation – sont à la recherche d’une aide pour trouver des réponses organisationnelles ou même vitales face à la gestion d’une situation qui n’a jamais été abordée au cours des études de médecine alors qu’ils sont confrontés à l’installation en libéral ou à la prise d’un poste de senior à l’hôpital avec les responsabilités anxiogènes et les pressions qui en découlent. Désormais, avec le dispositif mis en place de consultation « souffrance du soignant » un bilan global est établi prenant en compte le niveau de stress ressenti, le risque de passage à l’acte, le risque d’erreurs médicales… Par ailleurs, en parallèle, un bilan financier est très souvent nécessaire puisque quelques médecins confondent BNC et Chiffre d’Affaires. Il faut dire qu’ils n’ont eu au cours de leurs études médicales aucune formation en ce sens. Aborder ce sujet est souvent particulièrement anxiogène dans la mesure où ils sont en flux tellement tendu qu’ils ne peuvent envisager de prendre un arrêt maladie pourtant vital pour eux, continue Martine Pacault-Cochet. C’est le bien fondé de mon service : accompagner par des aides aux démarches et du soutien moral. Stopper les engrenages destructeurs, retrouver la maîtrise de sa vie et le plaisir de soigner. »
Plus de 40 médecins référents formés en France
« Dès le premier contact, le médecin a pu parler à une personne qui a entendu sa souffrance alors qu’il est dans une période d’incommunicabilité. La parole peut le libérer en partie, car il comprend qu’il peut y avoir un début de solution », analyse Martine Pacault-Cochet.
L’adhérent en souffrance est alors orienté vers l’un des quarante médecins du réseau (1/3 de médecins généralistes, 1/3 de psychiatres et 1/3 de médecins du travail) formé spécifiquement à l’écoute et aux soins aux soignants (voir encadré). Il s’engage à le recevoir en urgence et dans l’anonymat. La consultation est gratuite et prise en charge par l’action sociale du Groupe. Elle dure une heure, une heure trente. L’appelant peut être dirigé vers des établissements de soins dédiés aux soignants qui le reçoit en priorité lorsqu’une prise en charge médicale urgente est nécessaire. La consultation permet d’analyser avec distance le contexte et de proposer des solutions. Ce bilan structure la suite à donner : tout doit être fait pour éviter de rajouter de la souffrance à la souffrance, il faut pouvoir prendre en charge les médecins qui ont besoin de se soigner et de les aider à suspendre leur activité, ce qui est possible grâce au Fonds d’Entraide du Groupe. Le service d’action sociale se charge de faire l’interface entre les deux médecins : prise de rendez-vous, paiement, gestion du suivi…
Service d’entraide de Groupe Pasteur Mutualité, 01 40 54 53 77, entraide@gpm.fr
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