LE QUOTIDIEN : Comment est né le BIPE, Bureau Interface Professeurs Etudiants de l’Université Paris 6 ?
Dr DONATA MARRA : Il y a une dizaine d’années, une réflexion était en cours sur les aides que les étudiants en difficultés pouvaient recevoir au sein même de la faculté de médecine. L’existence de suicides, la fréquence du burn out et des dépressions dans les établissements d’enseignements supérieurs, qui étaient également signalés à Paris 6, ont accéléré la réflexion. Il y a une dizaine d’années, une réflexion était en cours sur les aides que les étudiants en difficulté pouvaient recevoir au sein même de la faculté de médecine. Des cas de burn out ou de dépression chez des étudiants étaient régulièrement signalés. À cette époque, tous les étudiants étaient mis en contact avec un enseignant référent. Ils pouvaient aussi être reçus pas des psychologues des services hospitaliers ou du service de médecine préventive. Mais ces possibilités étaient peu utilisées et insuffisantes pour couvrir les besoins exprimés. Les étudiants soulignaient en outre le manque de soutien individuel et pédagogique. L’idée est apparue qu’il manquait une structure d’échanges et de concertation.
Du fait de ma formation de psychiatre et pédopsychiatre spécialisé dans la réussite et l’échec scolaire, et de mon expérience au Canada où toutes les universités disposent de structures dédiées indispensables à leur accréditation, le vice-doyen m’a demandé d’élaborer un projet spécifique en 2005. Après une année de travail sur les contours de ce projet, le BIPE a été mis en place en février 2006 à titre expérimental. L’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, où je travaille, m’a dégagé du temps pour cette mission. Désormais je suis missionnée par la Faculté de médecine et mise à disposition au niveau de l’université Pierre et Marie Curie (Paris 6) à temps partiel, chargée de mission « Réussite et innovation » pour favoriser la réussite des étudiants de façon transdisciplinaire.
Le BIPE a été pérennisé en septembre 2006. Son but est de proposer des interventions pour favoriser le bon déroulement des études de médecine et le bien-être des étudiants.
En pratique, quelles aides propose le BIPE ?
Le BIPE est accessible à tous les étudiants à partir de la seconde année de médecine, aux internes en stage dans les hôpitaux dépendants de l’Université Paris 6 et aux anciens étudiants de l’université. Les étudiants sont informés du mode de fonctionnement du BIPE lors de la réunion d’accueil des étudiants en début d’année et par mail. Le numéro de téléphone et l’adresse mail sont affichés dans les locaux de la faculté. L’anonymat de l’appelant est garanti : aucune mention des appels au BIPE n’est faite dans le dossier de l’étudiant.
Le plus souvent c’est l’étudiant qui appelle. Mais le contact peut aussi venir de ses camarades, d’un médecin référent hospitalier ou d’un maître de stage.
Les tuteurs sont tous des médecins enseignants volontaires pour cette mission. Ils acceptent de recevoir rapidement l’étudiant en difficulté et de s’investir auprès de lui pour analyser ses problèmes (académiques ou personnels avec des répercussions dans ses études) et si besoin l’orienter vers des solutions, parfois extérieures à l’université. Tous les problèmes ne peuvent en effet pas être solutionnés par l’université qui reste avant tout un lieu d’apprentissage. À l’issue de l’évaluation initiale, les étudiants peuvent aussi être orientés vers les services de médecine préventive de l’Université, le service social, le relais santé-handicap, les BAPU (Bureau d’Aide Psychologique Universitaire) ou des médecins extérieurs (en particulier des psychiatres). Les tuteurs ne font pas de suivi psychiatrique.
Le BIPE peut aider les responsables d’enseignements dans des cas précis où un aménagement des conditions de travail pourraient être utiles (handicap, maladie somatique, etc.).
Une liste de consultants de deuxième ligne est aussi disponible pour des avis plus spécialisés sur le plan pédagogique ou autre.
Est-ce que globalement les étudiants vont plus mal aujourd’hui que ceux des générations précédentes ?
Les problèmes que vivent les étudiants sont similaires à ceux de leurs aînés médecins : stress, problème de gestion du sommeil, difficultés d’apprentissage ou de méthodes de travail, questionnement par rapport à leur profession, burn out… Aujourd’hui, grâce au BIPE, ils peuvent exprimer ces sentiments sans avoir peur d’être stigmatisés.
Nous travaillons – avec le doyen et le vice-doyen – à mettre en place des mesures de prévention primaire (en expliquant qu’il est possible de douter de ses choix et de ses orientations et en proposant des apprentissages de gestion du stress, d’amélioration des méthodes de travail…), de prévention secondaire (en accompagnant les étudiants et si besoin en les adressant à des référents) et de prévention tertiaire (en les aidant à continuer leurs études avec éventuellement quelques aménagements et surtout à penser leur future spécialité en tenant compte de leurs difficultés).
La période de la fin des études universitaires avant le passage des ECN est un temps très délicat : de nombreux questionnements émergent en particulier quant au choix des filières et à l’existence d’un droit unique au remords. En outre, les étudiants savent que pour prendre un poste d’interne, il leur est demandé de remplir les conditions d’aptitude physique et mentale pour l’exercice des fonctions hospitalières auxquelles il postule. L’ensemble de ces faits rend particulièrement inquiets certains étudiants, notamment ceux qui souffrent de problèmes somatiques ou psychologiques ou d’une difficulté à trouver leur place dans les études de médecine et qui se posent des questions sur leur avenir.
Chaque année, le BIPE organise des forums de carrière où les étudiants ont la possibilité de rencontrer près de 80 médecins qui exercent dans tous les domaines de la médecine. C’est l’occasion de rencontrer des praticiens aux modes d’exercice variés (privés, publics, libéraux, ambulatoires, ou ayant pris d’autres voies).
Article précédent
Confrères dangereux : le dernier tabou
Article suivant
La consultation « Souffrance du soignant », une initiative du Groupe Pasteur Mutualité
#silentnomore : pour lutter contre les patients abusifs
Est-ce une « chance » d’être médecin lorsque la maladie survient ? Plutôt non…
Colonel Laurent Melchior Martinez : soigner, mais aussi utiliser son arme si nécessaire
La prévention n’est pas toujours le fort des médecins
Leslie Grichy (SOS SIHP) : « L’internat, un moment clé »
L’AFEM, 70 ans d’assistance : « En 2013, 237 enfants de médecins ont bénéficié de nos aides »
Confrères dangereux : le dernier tabou
Dr Donata Marra : « Les problèmes que vivent les étudiants sont similaires à ceux de leurs aînés médecins »
La consultation « Souffrance du soignant », une initiative du Groupe Pasteur Mutualité
Les mémoires d’un neurochirurgien mort d’un cancer, numéro 1 des ventes aux États-Unis
Mettre en contact médecins et spécialistes de la santé au travail : la souffrance professionnelle prise aux MOTS
Pr Béatrice Crickx, Dr François Dima : décryptage des tontines, système d’aide confraternelle aux médecins en difficulté
L'entretien thérapeutique avec un patient agressif
Des thérapies d’acceptation et d’engagement (ACT thérapie) contre le burn out
Copilotes de la mission Fides (AP-HP) : « Le médecin est la profession la plus incurique par définition »
Rencontre avec deux sherpas de l’aide aux confrères en détresse
Quand la pression institutionnelle entraîne des erreurs médicales
Un médecin insulté est un médecin moins performant
Relation mentor-disciple : « Toujours par deux ils vont, le maître et son apprenti »
Philippe Cabon : « Gérer son sommeil en garde comme un pilote d’avion en vol »
Quand travailler rend le médecin malade
3 500 prothèses de genoux et une de plus, la mienne
Retrouver l’humanité de la relation médecin-patient par le théâtre
Les femmes médecins sont-elles des médecins comme les autres ?
Éric Galam : rencontre avec un pionnier
Harcèlement sexuel des jeunes médecins : 30 % des femmes et 10 % des hommes
« Relation de soin et gestion du stress » et « Soigner les soignants » : deux nouveaux diplômes universitaires
Avec le Dr Yves Leopold (CARMF) : le point sur les dispositifs d’aide aux médecins en difficulté
Stage de deuxième année à SOS Amitié : un pas vers l'écoute empathique
Harcèlement sexuel des jeunes médecins : vos témoignages
Médecins hospitaliers : ce que vous toucherez en arrêt maladie
Êtes-vous plus fort que Docteur Internet ? La téléréalité s’en mêle
« Quand on y est préparé, parler de sa propre mort, ça libère »
Des consultations de prévention anonymes pour les médecins parisiens libéraux
Un médecin américain condamné à la prison à vie pour fautes médicales
Me Maïalen Contis : sauvegarde de justice et faillite concernent aussi les médecins libéraux
Les centres de soins pour soignants en difficulté plébiscités par les professionnels
Les médecins français vont globalement bien mais restent démunis quand ils sont malades
Arrêt maladie : quelles protections pour le médecin libéral ?
Quand un pilote de chasse devient formateur de robots chirurgicaux
Pr Sébastien Guillaume : "Pour que l’erreur médicale ne conduise plus au suicide"
Dr Marie-France Hirigoyen : « Il faudrait que les médecins acceptent leur vulnérabilité »
Vous nous avez tout dit, ils commentent vos réponses
Les médecins français aiment-ils la France ou ont-ils peur de la quitter ?
Pr Pascal Hammel : le médecin est un malade comme les autres, inquiet, faillible, parfois irrationnel
Inquiets pour l'avenir, 48 % des médecins américains veulent changer d’exercice
Suicide des internes : vers un plan de prévention aux États-Unis
Do No Harm : un projet documentaire pour lutter contre les suicides de médecins
Dr Jean-Marcel Mourgues (CNOM) : « Aujourd'hui, les jeunes médecins sont tout sauf insouciants »
Droit au titre de « Soignant de soignant » : l'Ordre reconnaît et protège l'aide aux confrères en souffrance
L’ergonomie pour limiter le burn out
Quand l’Ordre impose des soins : le contrat thérapeutique catalan
Comment faire du Smartphone un allié de la consultation ?
Comment meurent les médecins ? Comme les autres…
Dr Jean-Christophe Seznec : « Les médecins doivent intégrer qu'ils auront plusieurs vies professionnelles »
Mort en maternité : quelle aide pour les soignants qui y sont confrontés
« L’accès au secteur 2 pour tous, meilleur moyen de préserver la convention », juge la nouvelle présidente de Jeunes Médecins
Jeu concours
Internes et jeunes généralistes, gagnez votre place pour le congrès CMGF 2025 et un abonnement au Quotidien !
« Non à une réforme bâclée » : grève des internes le 29 janvier contre la 4e année de médecine générale
Suspension de l’interne de Tours condamné pour agressions sexuelles : décision fin novembre