« Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne suspend l’exécution de la décision du 11 janvier 2014 par laquelle le centre hospitalier régional universitaire de Reims a décidé d’interrompre l’alimentation et l’hydratation artificielles de M. Vincent Lambert. » La justice qui s’était donné un délai de réflexion de 24 heures mercredi a finalement tranché. Elle a notamment « jugé que la poursuite du traitement n’était ni inutile, ni disproportionnée et n’avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie et a donc suspendu la décision d’interrompre le traitement ». Elle a aussi estimé, selon le communiqué du tribunal, que « c’est à tort que le CHU de Reims avait considéré que M. Lambert pouvait être regardé comme ayant manifesté sa volonté d’interrompre ce traitement ».
Me Jean Paillot, l’un des avocats des parents s’est félicité de cette décision. « On a sauvé la vie de Vincent », a-t-il estimé. « C’est une victoire du droit, c’est une lecture de la loi Leonetti à la lumière de la dignité. C’est une victoire pour tous les handicapés », a-t-il ajouté. « Le tribunal a reconnu que Vincent n’était ni malade ni en fin de vie et la loi ne pouvait pas s’appliquer. Dans le cas de Vincent, les éléments pour arrêter l’alimentation ne sont pas réunis », a conclu l’avocat.
L’avocate du CHU de Reims, Me Catherine Weber-Seban, a, elle, indiqué : « On va prendre le temps d’analyser les motivations du tribunal avant de proposer éventuellement un recours auprès du Conseil d’État ».
Décisions médicales
Cette décision du tribunal est pour la deuxième fois en défaveur de la décision du CHU de Reims. En avril 2013, un premier protocole de fin de vie avait déjà été engagé. Les parents avaient là aussi saisi le tribunal qui, dans une ordonnance datée du 11 mai 2013, avait ordonné au CHU de rétablir les soins. Le juge ne remettait pas en cause le « fond » de la décision prise par l’équipe médicale mais le fait qu’elle n’ait pas été discutée avec l’ensemble des membres de la famille. Le Dr Éric Kariger, chef du service de médecine palliative et soins au CHU de Reims, reconnaît alors son erreur. « J’assume toute la responsabilité de cet arrêt avant que les parents aient été précisément informés. C’est une erreur, mais la décision était prise parce que la procédure avait été longue et que l’équipe pensait que c’était le bon moment. J’ai ensuite informé les autres membres de la famille », expliquait-il au « Quotidien ».
Une nouvelle réflexion collégiale avait donc été engagée par le service de médecine palliative qui a abouti à la fin de la semaine dernière à une décision d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation instaurées chez ce patient tétraplégique à la suite d’un accident de moto avec traumatisme crânien en 2008. Le patient en état « pauci-relationnel » est suivi depuis dans le service du Dr Kariger.
« Certains ont pris notre place »
Là encore, des divisions familiales ont abouti à une nouvelle action en justice. Les parents, une sœur et un demi-frère de Vincent Lambert ont saisi la justice par un référé-liberté, l’épouse ainsi que sept autres membres de cette famille recomposée soutenant les médecins.
Cette fois, le tribunal semble avoir voulu juger sur le fond en allant contre la décision des médecins du CHU de Reims. « J’ai le sentiment que les volontés de Vincent n’ont pas été respectées », a déclaré le Dr Kariger. Le praticien juge que la décision du tribunal est « une remise en cause de la loi Leonetti (sur la fin de vie, ndlr) dans sa justesse et son équilibre », une remise en cause qui « en tant que citoyen », l’inquiète particulièrement. En tant que médecin, il estime que « c’est à la déontologie et à la profession médicale de définir la notion d’obstination déraisonnable. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que certains ont pris notre place ». Il dit avoir « à titre personnel... l’intime conviction qu’il faut consulter le Conseil d’État vu l’ampleur des enjeux. »
Ambiguïtés de la loi
Le député UMP Jean Leonetti, auteur de la législation actuelle sur la fin de vie, estimait peu avant la décision du tribunal que sa loi pouvait s’appliquer au cas de Vincent Lambert. « La loi prévoit que les médecins recueillent l’avis de la famille, mais ils ne sont pas obligés de le suivre », indiquait-il avant d’ajouter : « Il n’y a pas de vote à la majorité (...) la procédure a pour but de protéger le malade ».
Interrogé sur le sujet la ministre de la Santé, à qui le président de la République a confié la recherche d’un consensus en vue d’une prochaine loi sur la fin de vie, a estimé « qu’à l’évidence, la loi aujourd’hui ne suffit pas ». La loi actuelle, a-t-elle souligné, « comporte des ambiguïtés qu’il faut lever puisqu’on voit bien qu’il y a des appréciations différentes entre les médecins, la famille et les juges sur ce que cette loi permet de faire ».
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