« Je tiens d’abord à préciser que la HAS n’est pas responsable du financement des médicaments. Le rôle de notre agence est de donner des avis aux décideurs. Ensuite, c’est le ministère qui décide du remboursement. Quant aux prix, ils sont fixés par le comité économique des produits de santé. La mission de la HAS est d’éclairer les décideurs sur la base d’avis fondés sur des évaluations scientifiques, et médico-économiques pour certains produits. Je crois qu’il est important de le préciser pour le débat sur l’accès aux produits innovants, afin que chacun situe le cadre d’intervention de la HAS », explique Chantal Bélorgey, directrice de l’évaluation médicale, économique et de santé publique à la Haute Autorité de santé (HAS).
Cette instance joue pourtant un rôle crucial face aux innovations thérapeutiques dans le domaine du cancer. « Nous sommes face à un nouveau paradigme, et face à la nécessité d’aborder différemment la façon dont nous évaluons les produits. Nous sommes amenés, en effet, à prononcer des avis de plus en plus précoces, mais sans jamais faire de compromis sur l’efficacité et la sécurité des produits, ni sur l’équité des patients face à ces innovations », souligne Chantal Bélorgey, reconnaissant volontiers le dynamisme de la recherche en cancérologie.
« Aujourd’hui, poursuit-elle, 30 % des dossiers que nous examinons en commission de la transparence concernent des traitements de cancérologie. Et les “pipelines” des industriels sont très riches en nouveaux produits. Ces dernières années, nous avons vu arriver les immunothérapies, la médecine génomique. Maintenant, c’est le tour de la thérapie génique et des CAR-T cells. Et demain des AMM seront données pour le traitement de simples mutations et non plus des cancers d’organes. »
Des recommandations réversibles
Ces innovations se développent bien souvent dans des domaines thérapeutiques non couverts. « Quand il s’agit de maladies graves, sans alternative, nous sommes conscients de la nécessité de répondre vite aux espoirs des patients et des familles. Et cela peut avoir une influence sur nos évaluations. Traditionnellement, les AMM sont délivrées sur la base d’une ou plusieurs études de phase III, et l’évaluation de la HAS s’appuie sur des études comparatives, le but étant d’identifier la valeur ajoutée d’un produit par rapport à ce qui existe déjà. Or, de plus en plus, on voit des AMM très précoces délivrées à des médicaments anticancéreux à partir d’études de phase II et de données non comparatives. Ces données préliminaires, voire partielles, créent des situations d’incertitude sur leurs effets dont tout le monde doit tenir compte : une agence comme la nôtre, mais aussi les payeurs, les professionnels de la cancérologie, les patients et les industriels. C’est d’autant plus une nécessité que le coût de ces produits innovants est souvent élevé. Nous avons la responsabilité collective de mettre à disposition les vraies innovations, mais sans faire de compromis sur l’éthique ou l’équité, ni mettre en péril la soutenabilité de notre système de santé », affirme Chantal Bélorgey.
Selon elle, cette situation impose que les évaluations sur le remboursement ne soient pas figées dans le temps, mais puissent faire l’objet de revoyures elles aussi plus précoces : « En cas de délivrance d’AMM précoces et dans les situations particulières que nous avons évoquées, nous pouvons envisager de recommander une prise en charge conditionnée à la poursuite des essais cliniques ainsi qu’à un suivi en vie réelle des patients traités. Dans ces situations, il faut aussi faire admettre à tous que les recommandations délivrées à un stade précoce puissent être réversibles. »
D’après un entretien avec Chantal Bélorgey, directrice de l’évaluation médicale, économique et de santé publique à la Haute Autorité de santé
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