« EN PRÉSENCE d’une lésion de la moelle épinière quelle qu’elle soit, a fortiori par accident, il y a toujours une dysfonction de la vessie », rappelle le Pr Emmanuel Chartier-Kastler. Le plus souvent, dans un contexte de paraplégie classique, il s’agit d’une vessie réflexe, qui se contracte de façon autonome, ce qui engendre une élévation des pressions intravésicales et constitue de ce fait un danger pour les reins.
À cette contraction autonome s’associe une dyssynergie vésicophinctérienne, phénomène caractéristique : le sphincter ne s’ouvre pas lors de la contraction vésicale. La vessie ne se vide pas, ce qui là est un facteur supplémentaire d’hyperpression et donc un danger rénal.
Le blessé médullaire est un sujet à risque rénal et cette menace impose un suivi annuel en milieu neuro-urologique de rééducation. Il y a cinquante ans, un paraplégique sur deux décédait d’une insuffisance rénale. Aujourd’hui, cette situation est devenue exceptionnelle mais peut encore malheureusement se rencontrer chez des patients mal suivis.
La prise en charge se fonde sur une double stratégie de relâchement vésical et de vidange vésicale à basse pression. Le relâchement de la vessie fait appel en première ligne aux parasympatholytiques, qui sont efficaces chez bon nombre de patients. En cas d’échec, la toxine botulique A est depuis quelques mois remboursée (Botox, Allergan) dans cette indication. Les injections, réalisées en hôpital de jour tous les 6 à 9 mois, ont véritablement transformé la continence urinaire et la qualité de vie des patients non améliorés par les parasympatholytiques ou présentant des effets secondaires.
La vidange vésicale des patients souffrant de rétention chronique neurologique repose sur l’autosondage intermittent propre, technique qui, elle aussi, a transformé la qualité de vie des patients, car une bonne vidange se traduit par l’absence de fuites.
Toutes les quatre heures.
L’autosondage est réalisé sans recours ni à des gants stériles ni à une toilette antiseptique et ne demande qu’un lavage préalable des mains à l’eau et au savon. Ce sondage propre, qui doit être renouvelé toutes les quatre heures (le matériel est intégralement remboursé) peut être réalisé facilement, que le sujet soit à son domicile, au bureau, en voyage, en randonnée… L’accès à l’urètre est relativement aisé chez l’homme, parfois plus complexe chez la femme. Des astuces existent, apprises avec les médecins rééducateurs (médecine physique et de réadaptation).
Globalement, 70 à 80 % des patients sont traités par l’association traitement médical et autosondage. En cas d’échec des traitements parasympatholytiques et/ou de la toxine botulique A pour équilibrer le réservoir vésical, il peut être proposé une entérocystoplastie d’agrandissement vésical. En cas de refus de l’autosondage, il peut être proposé une sphinctérotomie chez l’homme, associée au port d’étuis péniens. La sphinctérotomie utilise alors la contraction vésicale réflexe pour une vidange dans l’étui. Cette solution non envisageable chez la femme peut faire proposer une dérivation des urines continente ou non.
Le rôle majeur du généraliste.
Il est essentiel que le patient bénéficie d’un suivi régulier annuel par l’équipe spécialisée. Le médecin généraliste doit jouer à cet égard un rôle majeur pour inciter les patients à consulter les spécialistes, coordonnés par le médecin rééducateur. Un médecin généraliste doit connaître le centre référent de neuro-urologie de sa région pour y adresser un patient qui ne serait pas suivi ou bien équilibré. La prise en charge est alors vraiment multidisciplinaire et efficace pour le patient.
Il joue également un rôle important dans la gestion « au quotidien » de l’autosondage, notamment en évitant les antibiothérapies inutiles. Il est normal qu’un paraplégique ait des germes dans sa vessie ; en l’absence de fièvre ou de signes inhabituels - en général parfaitement rapportés par le patient -, il ne faut ni réaliser un examen cytobactériologique des urines (ECBU) ni prescrire une antibiothérapie. « Les enquêtes le soulignent, trop d’ECBU sont pratiqués chez ces patients, ce qui conduit à des antibiothérapies inappropriées parce qu’inutiles », insiste le Pr Chartier-Kastler.
En présence des signes d’alerte sus-cités, le sujet doit en revanche bénéficier d’un ECBU et d’un bilan biologique et être réadressé à l’équipe spécialisée. De même, en cas d’urines sales ou malodorantes, il faut conseiller au patient de boire plus et de se sonder plus.
L’autosondage, technique décrite dans les années 1970, est un geste de protection rénale. Lorsqu’il est bien pratiqué, en l’occurrence à raison d’au moins 5 sondages par jour, sans dépasser 500 ml par sondage et en assurant une diurèse d’au moins 1,5 litre par jour, les patients présentent moins d’un épisode d’infection urinaire symptomatique par an.
Les complications de l’autosondage propre sont peu fréquentes (moins de 1 %), à type d’orchite ou d’épididymite, de plaie ou de saignements.
Niveau de la lésion.
Chez les sujets ayant une paraplégie avec une lésion très basse de la queue-de-cheval, la vessie est complètement paralysée. Il n’y a pas d’élévation des pressions, et donc pas de place pour les parasympatholytiques ou la toxine botulique. Le sujet se plaint le plus souvent de fuites à l’effort, qui relèvent d’une chirurgie d’incontinence à l’effort.
Dans le cas de lésions plus hautes, au niveau de la colonne cervicale basse (C7, C8, D1), et donc d’une tétraplégie basse, le patient présente quelques anomalies de fonction des bras et toute la problématique est de permettre l’autosondage avec des bras maladroits, ce qui peut être rendu possible grâce à différentes techniques dont l’indication est portée en milieu de MPR. Un autre geste peut être proposé : la déviation continente, technique développée depuis une dizaine d’années qui se fonde sur la création d’un canal entre l’ombilic et la vessie, ce qui permet au patient de se sonder par l’ombilic. Ce geste redonne autonomie et qualité de vie à un certain nombre de tétraplégiques.
D’après un entretien avec le Pr Emmanuel Chartier-Kastler, hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière, APHP, Paris.
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