Alors que j'aurais dû̂ prendre ma retraite mi-mars, et parce que j’étais passionné de médecine générale et de médecine tropicale, je me suis lancé tout entier dans cette épidémie, avec mon écoute, mes instruments, mes connaissances et mes livres, et aussi ma crainte (vite dépassée dans l'action) et avec une attention très aiguisée.
Il fallait bien tout cela pour recueillir avec minutie ce qui mettait cette virose en suspicion haute, afin de faire converger tous les signaux permettant de détecter cette maladie, par la sémiologie certes, mais aussi par les quelques examens de biologie qui orientaient vers ce diagnostic (aucun test n’était disponible ni très sensible…). Il fallait aussi tout cela pour « penser » le soin, pour savoir prononcer les mots qui répondent aux attentes, des mots qui n'enferment pas, qui ne tuent pas, mais qui permettent de soulager car il fallait gérer tous ces patients explosés par la violence de l'attaque virale, si douloureuse dans leurs corps et si handicapante. Il fallait encore tout cela pour lutter contre la souffrance psychique née du mitraillage médiatique subi en continu par chacun et du ressenti partagé de l’impréparation notoire et si visible de nos politiques…
L'homme a ainsi vécu ces traumatismes avec de l'angoisse, celle de pouvoir transmettre cette maladie et d’être éventuellement responsable d'avoir fait souffrir ou, pire, fait disparaître l'autre, les autres, en les infectant. Il y a eu aussi la peur de mourir ou l’appréhension d’être pris à défaut par le virus, du fait de ses tares, de ses négligences…
Écouter, s'informer, suggérer positivement et indirectement ou encore traiter, tout en encadrant ces patients par une présence bienveillante et personnalisée. C’était mon rôle, notre rôle…
Énormes points d'interrogation
Il n'y avait rien d'autre que ce virus et ses énormes points d’interrogation, accompagné de ce vide étrange, ce souffle retenu, ce silence de la ville liés au confinement. Car, tant que l'asphyxie, la déshydratation, la confusion, l'hypotension n’étaient pas au rendez-vous et que ces personnes, patientes, n’étaient pas transportées brusquement par les SAMU vers des hôpitaux, tous ces malades restaient à attendre, à souffrir, à s'angoisser, à se cacher aussi.
Pour les accompagner au plus près, j'avais construit un questionnaire en reprenant une partie des items de cette sémiologie qui évoluait progressivement. Comme d'autres collègues, j'imagine… Ainsi, par SMS, chaque soir et chaque matin, j'avais un compte-rendu de leurs souffrances, de leurs difficultés, des évolutions, des améliorations, auxquelles je répondais fidèlement, assidûment, avec tout mon engagement de médecin de famille. Cela me permettait de garder le contact, de suggérer un avenir autre, meilleur, en m’appuyant sur l’évolution des symptômes et sur leur biologie. Un travail de proximité, passionnant, humaniste, exigeant, mais épuisant, angoissant parfois, car il arrivait, oui, qu'il n'y eut pas de compte-rendu de leur part… Alors à quoi pensions-nous alors ?
Médecin, seul, face au virus. Et quel partage de vie à travers tous leurs symptômes ! Quelle pesanteur aussi, quel poids partagé avec nos conjoints et surtout quelle responsabilité solitaire, souvent ! C'est bien sûr notre rôle et nous l’avions accepté sans préalable, nous, médecins de famille, qui allons disparaître… Savez-vous pourquoi ? Par éthique. Par serment. Et pour 25 euros, Monsieur le président, quand même ! Beaucoup aujourd'hui ne veulent pas, ne voudront plus que ça continue ainsi et vous comprendrez alors, les déserts…
Ce mois et demi de confinement m'a fait rencontrer tout cela, même si une grande partie m’était connue et déjà acceptée dès le départ, il y a 30 ans. Il me faudra maintenant plusieurs semaines pour me soulager de toute cette souffrance, de ce traumatisme, de cette « vicariance » Il me faudra du temps pour y réfléchir, pour la digérer, et pour l'exprimer. Sans médaille, bien sûr et heureusement ! Et je souhaite finalement autant de convictions, de force, d'excellence à tous mes collègues, d'aujourd'hui et de demain, attachés comme je le fus à nos patientèles.
Et je souhaite à tous mes confrères, regroupés autour de nos valeurs de disponibilité et d’unité, toute la satisfaction altruiste d'avoir osé et fait, d'avoir aidé à traverser la maladie et ouvert un chemin vers la convalescence par des soins appropriés, ainsi que par une écoute si fondamentale et une parole d'espoir et de « fraternité » tellement attendus !
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