LE QUOTIDIEN : Face à la crise de la représentativité, vous proposez la création d’assemblées citoyennes spécialisées représentatives par domaine sociétal. Comment est née cette idée ?
Dr EMMANUEL LANSAC : Je précise que ma démarche est non syndicale et non partisane ! C’est celle d’un citoyen engagé.
En 2001, on a fait une grève des internes très dure pour le repos de sécurité. J’étais au cœur du mouvement mais je me suis rendu compte qu’il existait des luttes intestines entre les quatre syndicats d’internes mais aussi un double agenda et une ambivalence qui m’ont choqués. Certains avaient envie de se placer, de se démarquer…
Un peu plus tard, en 2003/2004, en tant que chef de clinique, j’ai pensé qu’il fallait constituer une assemblée des jeunes médecins qui réunirait externes, internes et chefs de façon à parler d’une seule voix face au ministère. Tout le monde était d’accord sur les intentions mais rapidement, les organisations ont été force de blocage ! Il y avait à nouveau des querelles, une concurrence, bref tout était fait pour saborder le processus.
En 2009, au moment de la loi HPST de Roselyne Bachelot, j’ai observé, en tant que chirurgien responsable, que toutes les catégories professionnelles de la santé étaient dans la rue mais incapables d’être reçues au ministère de la Santé ! Sarkozy était aux manettes, les délégations étaient à la porte ! Même tous les grands patrons de l’AP-HP étaient impuissants. C’est là qu’a germé l’idée de faire de la politique autrement en réunissant les professionnels et les usagers. Je suis entré en contact avec un constitutionnaliste qui avait fait un travail sur le référendum d’initiative populaire promis par Sarkozy. On a commencé à rédiger un projet d’« assemblée de la santé » mêlant professionnels et usagers.
En 2013, j’ai assisté à une conférence citoyenne de la santé, organisée par l’Institut Montaigne et le cercle de réflexion Res publica. On voyait bien que des citoyens tirés au sort, animés par un agenda collectif, étaient très constructifs, y compris sur des questions pointues comme le financement de la santé.
Tout cela m’a conforté dans mon projet d’assemblées citoyennes par domaine sociétal, que j’ai présenté à l’occasion du mouvement Nuit Debout.
Quel serait l’avantage de ces assemblées citoyennes spécialisées ?
Ce concept a une résonance très forte avec ce qui se passe aujourd’hui avec les gilets jaunes. Actuellement, dans le processus législatif, les citoyens ne sont pas directement consultés. Il y a certes les avis du Conseil économique social et environnemental (CESE) mais cette structure n’a jamais su s’imposer comme un organe central de notre démocratie.
D’où l’idée d’instaurer des assemblées spécialisées par domaine sociétal qui puissent représenter les professionnels et les usagers dans leurs composantes structurées (syndicats, associations) mais aussi non structurées (professionnels non syndiqués, société civile) avec tirage au sort. Cette procédure mixte permettrait de combiner la représentativité qui existe déjà avec des gens qui ne sont pas du tout représentés. L’idée est de se concentrer sur l’intérêt général. On pourrait imaginer une composition avec 50 % de professionnels du secteur et 50 % d’usagers.
Dans votre projet, ces assemblées devraient intervenir en amont et en aval de la loi…
Oui. En amont, elles disposeraient d’un pouvoir d’initiative législative, chacune pouvant présenter une proposition de loi citoyenne. L’objectif est de puiser les idées là où elles se trouvent. De plus, toute proposition de loi parlementaire ou tout projet de loi ou de décret gouvernemental devrait obligatoirement leur être soumis pour avis, avant passage en commission. Cet avis devant nécessairement être publié et pris en compte dans l’exposé des motifs de la loi adoptée. L’assemblée citoyenne, ce serait la troisième chambre ! Ainsi, le législateur ne pourrait plus balayer l’avis de la société, sauf à s’en expliquer. Il y aurait une contrainte.
En aval de la loi, les assemblées disposeraient d’un pouvoir d’évaluation dans leur domaine. Tout médecin sait bien que l’évaluation du traitement est la clé, il ne faut pas tuer le malade !
Ne craignez-vous de compliquer le processus d’élaboration de la loi ?
L’objectif est justement d’être efficace. Je ne veux pas construire un « machin », une énième usine à gaz. Mais il très important de confronter les acteurs sociaux à leurs responsabilités. C’est pourquoi nous proposons de fixer un délai maximum pour instruire un sujet : si l’assemblée spécialisée saisie pour avis ne répond pas à la question posée, sous six mois par exemple, c’est le gouvernement qui prend la main. Autre mesure de simplification : lorsque la loi propose une nouvelle norme dans un domaine, l’assemblée prévoit la suppression d’au moins une norme existante !
Et pour limiter les réunions au strict nécessaire, on suggère une plateforme numérique de co-construction de la loi.
Avez-vous imaginé des cas de figure d’intervention d’une telle assemblée dans le champ de la santé ?
Le champ est illimité. Mais on peut par exemple se souvenir de ce qui s’est passé sur le tiers payant généralisé avec Marisol Touraine. L’assemblée de la santé aurait examiné ce projet et on aurait demandé aux usagers et aux professionnels ce qu’ils voulaient vraiment, avec la volonté de trouver un compromis. La liberté d’installation est un autre exemple, tout comme la recertification.
Votre projet nécessiterait un changement constitutionnel…
Oui, la création de ces assemblées impliquerait une modification constitutionnelle puisqu’on touche au processus législatif. Mais ce n’est pas le grand soir ! On garde ce qui fonctionne et on améliore ce qui ne marche pas pour prendre en compte le fait que beaucoup d’acteurs économiques et sociaux ne se sentent pas représentés. Finalement, il s’agirait d’une refondation complète du CESE dans son organisation nationale et régionale existante, afin de rendre pleinement fonctionnelle la troisième chambre.
Quelle suite comptez-vous donner à votre projet ?
J’ai mon activité de chirurgien cardiaque mais il y a un contexte indéniablement porteur. En lançant le grand débat national, Emmanuel Macron a ouvert la possibilité de faire émerger des idées neuves. Pourquoi pas celle-ci ?
Demain, en cas de référendum d’initiative citoyenne, une des questions pourrait être : êtes-vous pour ou contre la mise en place d’assemblées citoyennes spécialisées par domaine sociétal, intégrées dans le processus législatif avec avis obligatoire ? Si on ne fait rien, le risque est de virer vers le nationalisme. Il faut canaliser l’énergie qui s’exprime dans un projet de société.

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