SPÉCIAL SANTÉ DES FRANÇAIS

La cardiologie oscille entre excellence et insuffisance

Publié le 16/12/2016
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Entre les soins d’excellence hospitaliers et pré-hospitaliers dispensés sans préférences, et une prévention primaire - pourtant essentielle - qui n’atteint qu’une fraction très minoritaire de la population en France, le fossé est colossal. Un dérèglement qui relève de la gestion des pouvoirs publics.
Ouverture

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Crédit photo : PASIEKA/SPL/PHANIE

En cardiologie, « paierait-on les conséquences de nos succès ? », s’interroge le Pr Jean Ferrières. Pour ce cardiologue toulousain, chef de pôle à l’hôpital Rangueil, chercheur (Inserm U 518) et collaborateur du projet international Monica - modèle du genre en 1985 sur l’épidémiologie de la pathologie coronarienne -, il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui « la prévention est en situation d’échec ». D’un côté, la cardiologie en France déploie des moyens exceptionnels pour traiter des patients, tels des CEC dans des unités de réanimation cardiologiques ou même les camions de Samu, prochainement des Ac monoclonaux – les anti PCSK9 – qui viendront à bout des hypercholestérolémies familiales ou encore des cœurs artificiels qu’on implante à des patients en attente de greffe. Et à l’autre bout du spectre, très en amont, la prévention cardio-vasculaire qui peine terriblement à pénétrer les mentalités et les modes de vie. Initiée par Pierre Ducimetière (Inserm U780) dans la roue du projet Monica, l’étude Prime a pourtant démontré depuis les années quatre-vingt-dix que 80 % des infarctus trouvent au moins une cause traitable et réversible. Or si la France figure sans conteste « au rang des pays les plus développés dans le domaine du soin cardio-vasculaire, en toute logique on devrait s’attendre à un parcours de soins de même acabit depuis le niveau de la prévention primaire », affirme le Pr Ferrières. Au cardiologue toulousain de pointer le déficit des politiques de santé à cet égard. Et en guise de comparaison, il prend pour exemple l'éminence des pays nordiques, telle la Finlande qui a su par exemple se doter d’une chaîne télévisée publique qui diffuse en permanence des programmes d’éducation à la santé. « Il faudrait revenir à des choses simples, de bon sens, qui permettrait aux patients d’entrer le plus tard possible dans la maladie. Or on ne cultive pas assez l’éducation à la santé en France si bien que les patients ne se reconnaissent pas dans le système de santé dans lequel ils ne parviennent pas à s’orienter. » Pour le Pr Ferrières, les médecins généralistes sont incontestablement les mieux placés pour faire de la prévention auprès de la population. Aux décideurs politiques de valoriser bien plus leur travail dans ce domaine, à l’instar des pays scandinaves et anglo-saxons.

L’observance à la peine

Un son de cloche plus nuancé sur le front de l’HTA. La France a de quoi être fière de son dépistage selon le Pr Jacques Blacher (Hôtel-Dieu, Paris). Il est efficace grâce au maillage géographique et chronologique de professionnels de santé comme les généralistes, ainsi que les médecins du travail. En revanche, le contrôle de l’HTA fait l’objet d’un bilan plus mitigé puisqu’il est au même niveau que celui qu’enregistrent les pays développés. Globalement, 50 % des hypertendus sont à l’objectif tensionnel mais ce taux stagne : « on n’a pas assez pris la mesure de l’observance » indique le spécialiste. Cette plaie est commune à toutes les maladies chroniques comme le diabète ou les dyslipidémies. Pour y remédier, le Pr Blacher prône le partage de tâches. Ainsi, le rôle des pharmaciens pourrait être renforcé. Ils pourraient par exemple alerter le patient qui ne vient pas acheter ses médicaments, ou, endosser une stratégie d’éducation thérapeutique pour démotiver ou renforcer les messages essentiels. Les paramédicaux, les infirmières devraient aussi jouer un rôle plus actif dans l’éducation thérapeutique en renouvelant les conseils de bon usage.

Le défiance médiatisée  

Mais plus grave, l’observance est insidieusement sapée par la défiance vis-à-vis des médicaments. Les crises sanitaires, les livres déboulonnant les médicaments ont jeté le discrédit ou semé le doute chez les patients. La surmédiatisation n’a pas été suffisamment contre-argumentée par les instances officielles ou les sociétés savantes. Un travail de réassurance et d’éducation thérapeutique s’avère nécessaire. « Pour le tabac, nous ne sommes pas bons », souligne le Pr Blacher notamment vis-à-vis  des femmes et des adolescents qui eux fument leur première cigarette en classe de 5e (lire ici). Côté sédentarité, les instances politiques n’ont pas pris conscience des enjeux. Les pays nordiques ont davantage une culture collective et écologique privilégiant l’activité physique. Pour le diabète, on attend de nouvelles options de traitement pour la prévention cardiovasculaire.

Dr Muriel Gevrey

Source : lequotidiendumedecin.fr