Le point de vue de la Pr Véronique Trillet-Lenoir

S'inspirer du Parlement européen pour bâtir des compromis sur la santé

Publié le 09/09/2022
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Au Parlement européen, cette cancérologue lyonnaise a œuvré ces derniers mois à l'adoption d'une stratégie européenne en matière de soins. Cette élue macroniste rappelle que le compromis est de règle au sein de l'institution de Strasbourg, qui fonctionne sans majorité absolue et doit composer avec les différences partisanes, les particularismes nationaux et les négociations avec le Conseil des ministres des 27 et la Commission de Bruxelles. Et elle estime qu'en matière de santé notamment, le modèle pourrait être transposé à l'Assemblée nationale pour adopter les réformes des prochaines années.

Crédit photo : DR

Les résultats des élections législatives de juin 2022 ont permis de dégager une majorité en faveur du gouvernement. Cette majorité n’est cependant pas absolue. Les soutiens de l’exécutif doivent rechercher des voix au-delà de leurs rangs afin de faire adopter les législations.

Si cette situation est - presque - inédite à l’Assemblée nationale, elle n’est pas rare chez nos voisins, habitués aux gouvernements de coalitions. Certains commentateurs, se référant aux précédentes Républiques, aiment à rappeler que notre culture politique ne serait pas celle du compromis, et que sans majorité absolue, le pays deviendrait vite ingouvernable.

Il faut néanmoins relativiser cette idée d’une telle spécificité française. Certains l’oublient parfois, mais notre pays dispose sur son propre territoire d’un Parlement où, malgré l’absence de majorité absolue, des législations et des résolutions ambitieuses sont régulièrement adoptées, grâce à un patient travail de compromis : le Parlement européen, à Strasbourg.

Un véritable plan européen de réponses aux crises sanitaires

Réforme de l’hôpital public, amélioration des conditions de vie des soignants, lutte contre les pénuries de professionnels et les déserts médicaux… Nombreuses sont les transformations de notre système de santé attendues par les citoyens. En juillet dernier, les députés européens, de toutes tendances politiques, ont émis des recommandations pour une stratégie européenne en matière de soins.

Pour faire face aux crises sanitaires, les parlementaires européens ont adopté un train de mesures comprenant le renforcement de ses agences sanitaires : agence du médicament (EMA) pour mieux lutter contre les pénuries et faciliter l’accès aux soins et à l’innovation, centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) pour renforcer la surveillance des maladies transmissibles. Nous sommes mêmes allés plus loin en créant un véritable plan européen de réponse aux crises sanitaires, alors que beaucoup rejetaient l’idée de confier des prérogatives à « Bruxelles » au nom de prés carrés nationaux.

Ces avancées n’ont pas seulement nécessité de trouver l’accord d’une majorité de parlementaires. Le Parlement européen n’est pas le seul à décider : les traités lui donnent un pouvoir de codécision, à égalité avec le Conseil des ministres des 27 États membres. Aucun texte n’est adopté si les versions des deux co-législateurs divergent. Les trilogues, ces « commissions mixtes paritaires » européennes, offrent un espace supplémentaire de négociations entre députés et représentants des États membres, souvent jaloux de leurs compétences nationales et réticents aux contraintes européennes, en présence de la Commission européenne qui a aussi l’occasion d’émettre des réserves ou de proposer des solutions de compromis.

Sur des sujets moins consensuels, notamment la prévention des cancers ou une meilleure coordination dans les accords avec l’industrie du médicament, pour ne citer que deux domaines où les intérêts de certains groupes d’influence peuvent diverger des préoccupations de santé publique, les négociations peuvent être complexes.

Aux clivages partisans peuvent s’ajouter des circonstances propres aux territoires d’appartenance des députés, créant des susceptibilités particulières. Des amendements inspirés par de tels intérêts sectoriels peuvent ainsi menacer la ratification de textes équilibrés, patiemment construits lors de longues négociations en amont du vote. Néanmoins, la réussite éventuelle de ces tentatives ne remet généralement pas en cause l’esprit général des textes.

L’existence de clivages, inhérents à la démocratie, ne peut pas à elle seule entraver le bien-fondé d’une démarche constructive, où chacun tente de faire un pas vers l’autre, d’analyser des arguments opposés, de considérer des points de vue différents, afin de tenter de dégager des compromis - et non des compromissions - conformes à l’intérêt général.

Ce modèle est-il transposable à l’Assemblée nationale ? Je veux croire que oui. Après tout, certains parlementaires nationaux sont passés par le Parlement européen et ont pratiqué cet exercice. Les sujets discutés au niveau européen ne sont pas déconnectés des préoccupations nationales. Pourquoi des compromis possibles à Strasbourg ne le seraient-ils pas à Paris ?

Pr Véronique Trillet-Lenoir, Députée européenne (Renaissance)

Source : Le Quotidien du médecin