Vu des prescripteurs

Entre enthousiasme et timidité

Publié le 21/10/2016
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Non, les généralistes ne sont pas réfractaires aux applications! Dans leur quotidien professionnel, ils n’ont visiblement aucun mal à adopter cet outil pour se faciliter la vie. La preuve : d’après le dernier baromètre CNOM-Vidal, 58% d’entre eux ont installé des applications à usage professionnel, le plus souvent celles sur les médicaments. Mais quand il est question de prescrire des applications et objets connectés à leurs patients ils sont plus timides. 16% seulement ont conseillé des objets connectés en 2015 et 18% des applications. Pourtant, d’après une étude de l’Ipsos auprès de généralistes européens, 80% considèrent que les applications mobiles ne constituent pas un effet de mode et ils ne sont plus que 27% à considérer qu’elles vont créer un conflit entre les médecins et les patients.

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Alors qu’est ce qui coince chez les médecins ? L’impossibilité de s’y retrouver devant la multitude des applications et le fait que beaucoup ne présentent pas d’intérêt ni de validité médicale. « La défiance naturelle de notre profession vis-à-vis de la technologie », expliquerait aussi ces réticences, soutient Nicolas Lafferre. D’après le sondage de l’Ipsos, beaucoup redoutent aussi la mauvaise interprétation des données (66%), l’hypercondriatie (61%) et le manque de sécurité et de confidentialité (53%) que peuvent impliquer applications et objets connectés. Mais, comme le fait remarquer le Dr Eric Couhet, le principal obstacle pour les médecins, c’est « le manque de temps ». « Beaucoup voudraient mais n’ont pas le temps de s’y intéresser. Il faudrait les informer et les former sur le temps qu’ils peuvent gagner grâce à ça », estime ce généraliste.

Pour sa part, ce praticien de 53 ans qui exercice à Cholet n’hésite pas à prescrire objets connectés et applications à ses malades. « J’ai entre 350 et 400 patients à qui j’ai prescrit des dispositifs médicaux connectés » explique-t-il. Glucomètre, oxymètre, tensiomètre, pèse-personne … « C’est principalement dans les pathologies chroniques, diabète ou hypertension artérielle notamment, ou dans la nutrition que la santé connectée peut avoir un réel intérêt », explique-t-il. Et de fait, d'après le sondage Ipsos, sur les médecins qui ont déjà conseillé une application, 53% l’ont fait auprès de leurs patients diabétiques.

Un échange d'expériences avec le patient

Si le confrère choletais prescrit aussi des applis, mais le processus n'est pas le même. « Pour les applications, c’est différent que pour les objets, c’est davantage les patients qui me sollicitent et me demandent si telle ou telle application est bien. Je les télécharge pour tester ou je regarde en direct avec eux, puis je valide ou invalide ». Le généraliste s’appuie aussi sur les différents « catalogues » d’applications recommandées via « Medappcare, mHealth Quality ou le guide d’Harmonie mutuelle ». Si lui-même a toujours été intéressé par le domaine informatique, selon lui les médecins n’auront de toute façon pas le choix de s’y mettre ou non. « Les patients eux, de toute façon, sont digitalisés, ils vont déclencher une demande de plus en plus forte et c’est important que les médecins puissent y répondre », analyse-t-il. « Les médecins ne sont pas des grands communicants, mais il faut pouvoir se remettre en cause. Il faut les former et les informer ».

Pour l’instant, ces dispositifs connectés ou applications ne sont pas remboursés; la HAS vient tout juste d’émettre un premier avis positif pour le remboursement du dispositif Freestyle et de l’application Diabéo. Mais si l’on en croit les 400 patients connectés du Dr Couhet, il y a un vrai plus qui justifie cette dépense. « L’alerte, quand elle est lointaine et tardive, est tout de suite morbide. La santé connectée peut apporter une vraie chance de ce côté-là ». A ses yeux, c'est aussi un enjeu de société globale et les médecins ne peuvent pas rester sur le bord de la route. « Nous sommes dans une révolution. On ne peut pas avoir une société qui se sera digitalisée et à côté la médecine où l’on continuera à travailler, comme dans les années 80 », analyse Eric Couhet.

Les évolutions étant déjà en cours, avec ou sans les médecins, pour le généraliste de Maine et Loire les généralistes ont donc tout intérêt à en être partie prenante. « La santé connectée doit être une affaire de professionnels et pas d’industriels. C’est aussi l’occasion de rapprocher les médecins et les pharmaciens, de créer une interprofessionnalité à travers le conseil au patient » souligne-t-il. Pour faire adhérer les professionnels, il est aussi important de faire tomber quelques idées reçues. « La médecine technique n’est pas forcément une médecine non empathique, au contraire. On a là une chance énorme avec une médecine prédictive et personnalisée »


Source : lequotidiendumedecin.fr