HISTOIRES COURTES - Toucher

« Un truc de dingue » (1/6)

Publié le 08/09/2016
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Par Justine Roux

L'air est frais. Il est l'heure de rentrer mais Althéa n'en a aucune envie. Adam marche près d'elle. Leurs mains s'effleurent, se cherchent. La jeune fille de quinze ans a un petit frisson. Elle aperçoit déjà la porte d'entrée de son immeuble. Elle se rapproche un peu d'Adam qui ne dit rien. Elle remarque que ses joues sont légèrement rosées et ça la fait sourire. Ils ralentissent, se regardent du coin de l'œil. Finalement le garçon attrape la main d'Althéa. Le monde bascule. La jeune fille n'a plus conscience du monde qui l'entoure, elle ne perçoit plus que le corps d'Adam.

C'est une sensation étrange, indescriptible. Elle perçoit chaque battement de cœur de l'adolescent avec précision, le sang qui pulse dans ses veines, l'air qui rentre dans ses poumons. Les images sont confuses, les sensations brouillées. La totalité des organes, des tissus, des cellules, tout ce qui constitue le corps humain défile dans l'esprit d'Althéa. Il n'y a pas de sens, pas d'ordre, cela ne va ni vite, ni lentement. C'est comme un rêve sauf que c'est bien réel, la jeune fille est capable de sentir la moindre éraflure du garçon comme si c'était la sienne.

La tête lui tourne. Elle lâche violemment la main d'Adam. Les visions disparaissent aussitôt. Le garçon la fixe les yeux écarquillés. Il essaye de lui parler mais sa voix est comme un écho. Althéa a les oreilles qui sifflent, sa vue se brouille. Tout à coup, il fait noir.

*

Althéa se réveille dans son lit. Une douce lumière filtre à travers les rideaux. Les événements de la veille se bousculent dans sa tête. Tout se passait si bien et puis… C'était tellement étrange. Elle attrape son téléphone sur sa table de nuit : il est déjà presque midi. Althéa se laisse retomber sur l'oreiller en soupirant.

Peut-être qu'elle a juste eu une hallucination. Pourtant c'était bien plus précis qu'un simple ressenti, c'était comme si elle avait passé tout le corps du garçon aux rayons X, comme si elle était entrée en lui avec un gigantesque microscope. Seulement, c'est impossible. On ne peut pas parcourir l'intérieur d'un corps comme cela, sans rien faire.

Elle attrape son ordinateur sans trop d'espoir et tape au hasard des mots-clés en rapport avec ce qu'elle a vécu. Comme elle s'y attendait, cela ne la mène à aucune piste valable. Si l'on en croit Internet, ce qui lui arrive tient de la science-fiction ou du paranormal.

La porte s'ouvre et sa mère entre avec un plateau-repas, l'interrompant dans ses recherches infructueuses. Elle s'assoit sur le bord du lit, inquiète, et prend la main d'Althéa dans un geste affectueux. La jeune fille a un vertige. La réalité s'efface.

Elle perçoit les vertèbres de sa mère et la douleur dont elle se plaint si souvent au niveau des lombaires. Toutes les cellules qui constituent sa mère défilent devant ses yeux comme les pages d'un livre qu'on feuillette. Elle voit l'utérus de sa mère, éprouvé par deux grossesses, sent la cicatrice de la césarienne, celle de l'appendicite un peu plus bas. Un flot d'images, d'informations, de sensations la submerge. Althéa retire vivement sa main, prise d'une violente nausée.

Elle repousse le plateau que lui présente sa mère et remonte la couette sur sa tête. Sa mère n'insiste pas et quitte la chambre, laissant sa fille se reposer.

Plus tard dans l'après-midi, Althéa, qui n'a toujours pas quitté son lit, reçoit un appel de sa meilleure amie.

— Alors ? Comment ça s'est passé hier ?

— Disons différemment de ce à quoi je m'attendais.

— Raconte !

— C’est-à-dire que… Faye il m'arrive un truc de dingue !

Prochain épisode dans notre édition du 15 septembre

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Source : Le Quotidien du médecin: 9515