HISTOIRES COURTES - Toucher

Le cas de Paul (2/6)

Publié le 15/09/2016
Article réservé aux abonnés

Par Justine Roux

« Au moment d'être admise à exercer la médecine, je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l'honneur et de la probité. »

Althéa, la main droite levée, prête serment devant les membres du jury qui viennent de lui décerner le statut de docteur en médecine.

Elle a les yeux qui pétillent et le sourire accroché aux lèvres. Elle a réussi. Elle est médecin. Le président du jury la félicite de nouveau et lui serre la main. En un instant, elle se trouve plongée à l'intérieur de son organisme. Elle perçoit son taux de cholestérol un peu trop élevé, ses alvéoles pulmonaires qui se dilatent, les légères remontées acides dans son estomac mais aussi les spermatozoïdes dans les tubes séminifères. Cela ne lui fait plus rien, elle a l'habitude. Grâce à ses études, elle comprend ce qu'elle voit et elle utilise même son don pour poser des diagnostics très précis. Elle a trouvé sa voie, son équilibre.

*

Althéa est maintenant pédiatre, comme l'atteste le nouveau badge que lui a remis sa chef de service un peu plus tôt. Elle passe dans plusieurs chambres s'assurer que ses jeunes patients vont bien. Il lui suffit de les effleurer pour vérifier leurs constantes, sans s'attarder sur le moniteur auquel ils sont reliés.

Sa chef lui confie plusieurs consultations. Althéa effectue les gestes qu'on lui a appris par automatisme mais le stéthoscope, le thermomètre et autres outils ne lui servent pas vraiment, ses mains sont suffisantes. En quelques secondes, elle est capable d'identifier presque n'importe quelle pathologie courante sans même qu'on lui en présente les symptômes.

La matinée se déroule sans qu'elle l'ait vu passer et bientôt elle retrouve Faye et d'autres collègues à la cafétéria de l'hôpital. Son amie de toujours est devenue infirmière et travaille quelques étages plus bas, au service hématologie. Faye est la seule personne qu'Althéa ait mise dans la confidence pour son don et c'est elle qui l'a aidée à l'accepter et à l'utiliser. Sans elle, Althéa ne serait sûrement jamais devenue médecin.

Malheureusement, le déjeuner est abrégé : Althéa doit prendre en urgence Paul, un garçon de huit ans atteint de mucoviscidose, qui vient de subir une crise grave.

Elle remonte donc en vitesse et rejoint la chambre de son nouveau patient. Elle rassure d'abord les parents qui attendent et leur conseille d'aller se reposer pendant qu'elle examine leur fils. Une fois seule, elle prend la main du garçon endormi. Immédiatement, elle a l'impression de suffoquer, comme si chaque cellule fonctionnait au ralenti, comme si ce corps si jeune n'avait plus la force de se battre. Elle n'a jamais perçu une telle souffrance. Une grande partie des alvéoles est bouchée par l'excès de mucus, la digestion est douloureuse, épuisante pour l'estomac et l'intestin. Althéa retire sa main, bouleversée. C'est la première fois qu'elle touche un corps si fatigué, mais surtout, c'est la première fois qu'elle se sent si impuissante.

Paul est inscrit sur les listes prioritaires de demande de greffe pulmonaire mais encore faut-il trouver un donneur compatible. En attendant, le petit garçon doit rester à l’hôpital, son état étant trop instable pour le laisser rentrer chez lui.

Althéa est chargée de son suivi, alors, les jours suivants, elle passe régulièrement le voir, mais à part le distraire et soulager sa douleur avec des doses de morphine, elle ne peut rien faire. Quand elle le touche, c'est chaque fois plus douloureux et l'impression de suffocation est chaque fois plus forte. S'ils ne trouvent pas de donneur, Paul ne survivra pas.

Avec la collaboration de   logo-fond-gris-2000_1.png


Source : Le Quotidien du médecin: 9517