Sur les 349 victimes potentielles du Dr Le Scouarnec, « énormément parmi elles risquent d’être écartées », redoute le Dr Muriel Salmona, pédopsychiatre qui préside l’association Mémoire traumatique et victimologie. Parmi les très nombreux obstacles auxquels se heurtent les victimes de violences sexuelles, nous rencontrons en effet la prescription, fixée à dix ans pour les crimes sexuels sur adultes et à 20 ans après la majorité depuis la loi Perben II (9 mars 2004) pour les délits sexuels aggravés commis sur mineurs. Des parlementaires ont proposé de porter la prescription de 20 à 30 ans. Nous militons quant à nous pour l’imprescriptibilité totale en raison de la fréquence des amnésies traumatiques qui peuvent durer plusieurs décennies, lorsque l’amygdale cérébrale fait disjoncter le cerveau. »
L’enquête que nous avons menée en 2015 en partenariat avec l’UNICEF auprès de 1214 victimes mineures relève des périodes d’amnésie qui dépassent parfois 40 ans, suivant un mécanisme de sauvegarde neuro-biologique que confirme la littérature internationale (Brière 1993, Williams, 1995 et Widom 1995). Les violences sexuelles subies dans l’enfance constituent un déterminant principal de santé 50 ans après les faits (Felitti et Anda, 2010) et elles peuvent faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie (Brown, 2009).
L’affaire Le Scouarnec constitue un cas d’école, estime le Dr Salmona, car, avec les carnets qui ont été retrouvés, nous avons accès à l’intentionnalité du criminel et aux descriptions des faits, alors que dans la quasi-totalité de ces affaires, les agresseurs ne parlent qu’au compte-gouttes. Ces données permettent aux victimes de se remémorer les événements, comme cela a pu être constaté par les magistrats instructeurs qui les ont rencontrés. Plusieurs cas de phobies avant interventions chirurgicales ont ainsi été élucidés. »
102 000 signatures
Surfant sur la déferlante #MeToo qui libère la parole de nombreuses victimes, une trentaine d’associations ont co-signé le Manifeste pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels, réunissant 102 000 signataires. « Nous nous livrons à une course contre la montre pour qu’il n’y ait pas de prescriptions lors du procès du deuxième volet de l’affaire Le Scouarnec, insiste le Dr Salmona qui a été reçue la semaine dernière à l’Elysée par une conseillère d’Emmanuel Macron, Constance Bensoussan, et qui a participé à une réunion de cadrage de la Haute autorité de santé sur la prise en charge du psycho-traumatisme chez l’enfant et chez l’adulte. Des recommandations pourraient être publiées dès la fin de l’année. Avant le deuxième procès du Dr Le Scouarnec.
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