« UNE HAUSSE sans précédent des actes de violence », « le taux de victimisation le plus important », les superlatifs ne manquent pas au CNOM pour qualifier les chiffres de l’Observatoire de la sécurité pour 2010*. 920 professionnels ont déclaré un incident cette année, contre 512 en 2009, ce qui représente un taux de victimisation deux fois plus important qu’auparavant (0,46 contre 0,26 en 2008 et 0,25 en 2009). « Il s’agit de (l’augmentation) la plus conséquente depuis le pic de 2007 qui révélait 837 agressions », souligne le CNOM, tout en déplorant un « déficit de dépôt de plaintes toujours aussi inquiétant », puisque la moitié des agressés ne se rendent pas au commissariat. Autre phénomène inquiétant, les femmes ont été particulièrement nombreuses à signaler des incidents (elles représentent 43 % des fiches en 2010, contre 37 % en 2009). « La féminisation de la profession est très importante, il faut assurer la sécurité de nos consœurs », avertit le Dr Bernard Le Douarin, coordonnateur de l’Observatoire pour la sécurité des médecins.
Les généralistes restent, depuis 2003, les plus exposés. Ils sont en effet 62 % à déclarer un acte de violence : « Un résultat lourd de sens lorsque l’on sait que la population des généralistes compte pour la moitié des médecins », commente l’Ordre. Certaines spécialités sont également touchées, dans une moindre mesure certes, comme les ophtalmologues (« sans doute à cause des longs délais d’attente pour obtenir un rendez-vous », commente l’IPSOS), ainsi que les médecins du travail et les psychiatres, en prise avec une population plus difficile.
Ce sont principalement des médecins qui exercent en milieu urbain, centre-ville (pour la moitié) ou banlieue (31 %), dans un cabinet (pour 67 % d’entre eux). Mais les établissements de soins semblent de plus en plus concernés et accusent une hausse de 6 points par rapport aux années précédentes (22 %). Les urgences, pourtant sous-représentées dans le nombre total de consultations médicales, concentrent à elles seules 2 % des violences.
« Une dérive globale »
« L’évolution est très homogène, tous les départements sont concernés ! », souligne le Dr Le Douarin, qui insiste sur le sérieux de la situation. « Presqu’aucune collectivité n’est épargnée par cette tendance. Ainsi le nombre de fiches recensées progresse fortement dans les départements traditionnellement les plus touchés », note l’IPSOS. La Seine-Saint-Denis et le Nord arrivent ainsi en tête du triste classement des déclarations d’incidents (79 et 70 plaintes par an), avec une explosion des sinistres dans le deuxième, qui n’en comptait que 22 en 2009. Le Val D’Oise (49), l’Isère (39), le Val-de-Marne (35) et le Rhône (34) suivent, légèrement au-dessus de Paris (31). Le CNOM craint « des conséquences négatives sur l’installation des médecins en secteur libéral et au sein des territoires sensibles, au détriment de l’accès aux soins des patients ». « Selon les derniers chiffres, seulement 9 % des jeunes médecins s’installent en libéral ! La hausse des violences risque d’être source de désertification médicale : nous le voyons déjà dans le Val-d’Oise et la Seine-Saint-Denis, où le nombre d’installations baisse », précise Bernard le Douarin. « La violence est multiple, elle tient à des raisons exogènes, à la société dans laquelle nous vivons. Mais également endogènes : les usagers estiment qu’ils n’ont que des droits, et ne supportent pas l’attente lors d’une consultation… », continue le coordinateur de l’Observatoire.
Davantage d’agressions verbales.
Si les agressions physiques ont légèrement reculé par rapport à 2009 (les coups et blessures volontaires représentent 13 % des actes de violence), les menaces verbales et injures ne cessent de progresser depuis 2006, passant de 43 % à 63 %. Les vols restent la deuxième cause d’agression, avec un taux de 25 % en légère hausse, comme celui du vandalisme (de 12 %). Le grand changement, témoin d’un véritable bouleversement culturel et sociétal, intervient dans les motifs. Le reproche relatif à une prise en charge et le vol apparaissent comme les principaux facteurs (23 et 22 %), devant le refus de prescription, alors qu’ils étaient, ne serait-ce qu’un an auparavant, considérés comme des causes minimes (en dessous des 10 % en 2009 et en dessous des 4 % en 2004) – les années précédentes, les motifs d’agression étant moins souvent connus ou précisés.
Des solutions.
En réponse à cette situation, Michel Legmann, président du CNOM, annonce la signature prochaine d’un partenariat entre les 7 ordres des professions de santé et les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Santé afin d’adopter des mesures concrètes. « Face à la violence multiforme, il n’y a pas une solution, mais plusieurs à décliner sur le territoire national », explique Bernard le Douarin. « Nous avons travaillé des mois pour mettre au point ce protocole unique, " santé, sécurité, justice, ordres", avec un objectif : qu’il soit utilisable immédiatement et dans chaque département ». Le CNOM demande en particulier un renforcement de ses relations avec les services de la sécurité publique pour faciliter la mise en œuvre des dispositions légales prévues. Un référent police et un référent gendarme seraient présents sur chaque département, en particulier pour assurer des formations auprès des professionnels de santé. Les médecins devraient également disposer d’un contact direct (ligne téléphonique) avec le secrétariat d’État-major pour accélérer les dépôts de plaintes, et, pour les professionnels de la permanence de soins, d’un boîtier de géolocalisation. Enfin, l’Observatoire de la sécurité devrait s’étendre à l’ensemble des professions de santé qui ont un ordre, « pour apprécier la problématique dans sa globalité ».
* Enquête réalisée en collaboration avec IPSOS, fondée sur le recensement de 920 fiches de déclaration d’incidents auto-administrées entre le 1er janvier et le 21 décembre2010.
Article précédent
Le protocole national enfin signé !
Article suivant
Jusqu’où sécuriser les hôpitaux ?
Une explosion de menaces et d’injures
La violence diminue en France, sauf pour les médecins et les gendarmes
Le médecin réclame plus de réactivité des forces de l’ordre
Le protocole national enfin signé !
Un nombre de violences inédit en 2010
Jusqu’où sécuriser les hôpitaux ?
Xavier Bertrand au pas de course
Le Pr Jean-Charles Delchier attaqué au couteau à Henri-Mondor
Tentative d’assassinat d’une gynécologue-obstétricienne
La CSMF demande des actes
Le ministre de l’Intérieur interpellé
Le ministre de l’Intérieur interpellé sur la sécurité des médecins
Émotion à Lyon
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique