L’ACCRÉDITATION individuelle a d’abord été confondue avec celle des établissements qui s’appellent aujourd’hui certification, ce dernier terme étant préférable car il suppose la mise en conformité avec des exigences définies au préalable.
À l’opposé, l’accréditation est une méthode de gestion des risques dite a posteriori ayant pour fondement la détection et la prévention des erreurs médicales évitables qui ont été évaluées par l’étude française ENEIS et qui représenteraient le tiers des 350 000 à 460 000 événements indésirables graves (EIG) annuels recensés dans notre pays.
L’accréditation des praticiens, individuelle et facultative, est donc construite sur le principe du retour d’expérience. Elle est gérée par la profession en symbiose avec la HAS. Cette dernière a donné son agrément à des organismes « agréés » (OA) qui administrent les demandes d’engagements, définissent le programme d’amélioration de la sécurité des pratiques de la spécialité, gèrent les événements porteurs de risques (EPR) permettant l’élaboration de recommandations.
Mais l’organisme agréé définit également, à partir des déclarations, un certain nombre d’actions, obligatoires ou non de type « évaluation des pratiques professionnelles » (EPP) ou actualisation des connaissances.
Dans notre spécialité, l’organisme agréé est la Fédération de chirurgie viscérale et digestive (FCVD). Son conseil d’administration intègre dans toutes ses décisions les propositions des deux piliers que sont ses gouvernances scientifiques et professionnelles.
En pratique, chaque médecin engagé dans l’accréditation déclare des EPR constatés dans son activité. Les EPR sont des événements qualifiés de « presque accidents » qui n’ont entraîné aucune complication, mais qui auraient pu, s’ils n’avaient été identifiés et corrigés à temps, conduire à un événement indésirable grave (EIG). Peu à peu, ces EIG ont été également acceptés.
Ces EPR sont analysés par des chirurgiens de la spécialité en activité professionnelle qualifiés d’experts car préalablement formés à la méthode par la HAS. L’analyse, facilitée par la mise à disposition d’une grille, peut être améliorée par une communication directe entre le déclarant et l’expert. Les EPR sont ensuite anonymisés et enregistrés dans une base de retour d’expérience dite base REX.
En plus des déclarations d’EPR, le médecin engagé doit satisfaire et tracer un certain nombre d’actions, d’actualisation des connaissances (exemple : critères de qualité en cancérologie) et d’actions d’EPP (exemple : autoévaluation du compte rendu opératoire de la cholécystectomie laparoscopique).
Chaque année est établi un bilan de ces différentes actions validé pour chaque médecin engagé par les experts ; c’est ainsi que l’accréditation dure quatre ans.
Fin 2010, il existait 17 organismes agréés, un par spécialité à risque, 331 experts formés, 6 156 praticiens dans la procédure et 27 500 EPR déclarés dont 7 000 dans notre spécialité.
Toutefois, ce succès dans la prise de conscience de la gestion du risque doit être relativisé car, compte tenu du financement de l’accréditation qui exclut les praticiens n’acquittant pas de prime de RCP, 75 % des praticiens engagés sont en exercice libéral exclusif, 20 % en exercice mixte et 5 % seulement sont exclusivement salariés.
Le bilan 2007 – 2011.
Si l’on peut se satisfaire que le processus d’accréditation ait été mis en place, on peut néanmoins faire plusieurs constatations.
• Première constatation : l’enjeu de cette politique de gestion des risques a été une incitation à structurer la gouvernance des spécialités. Pour ce qui concerne la chirurgie viscérale et digestive, la Fédération s’est attachée, lors de sa constitution, à inclure nos sept principales sociétés savantes !, le Collège et le Syndicat de chirurgie viscérale et digestive que j’ai l’honneur de présider.
Chaque mode d’exercice a été respecté, incluant à part égale, praticiens du privé, praticiens publics et praticiens universitaires. Notre spécialité possède désormais un outil de représentation unique auprès des tutelles, à nous de le faire vivre.
• La seconde constatation est que le caractère individuel de l’accréditation, pour justifié qu’il soit par le volontariat et l’incitation financière, n’a aucun sens sans une logique de gestion collective du risque et, dans le futur, l’accréditation individuelle devra probablement laisser sa place à celle de l’accréditation des équipes.
• La troisième constatation est que les déclarations d’EPR sont faites directement à l’organisme agréé et shunte les instances de gestion des risques des établissements, en dépit de la charte qui est censée lier l’organisme agréé et l’établissement. Cette complémentarité devra être développée dans l’avenir pour obtenir une meilleure gestion institutionnelle du risque.
• La quatrième constatation est que seule l’incitation financière a généré un engouement pour la gestion des risques, mais les praticiens salariés n’y ont pas trouvé leur place, réduisant l’assiette des déclarations et rendant incohérentes des recommandations établies à partir des seuls EPR issus du secteur privé. Cette nouvelle fracture public-privé est inacceptable.
Effets collatéraux.
Les conséquences de ces constatations seront doubles. Elles concernent le volet assuranciel et l’enseignement professionnel.
• Le volet assuranciel est réduit à sa plus simple expression. En effet, l’accréditation individuelle n’a aucune chance de peser sur le montant des primes de RCP dans la mesure où l’aide financière est pérennisée, ce qui n’incite pas les assureurs à diminuer leurs tarifs et surtout en raison du fait que les facteurs uniquement individuels de sinistralité ne représentent, selon eux, que 20 % des sinistres alors que les facteurs organisationnels sont présents la plupart du temps.
La gestion des risques est le seul levier dont disposent les professionnels pour réduire le montant des primes de la RCP, mais à la condition que l’accréditation des personnes fasse place à celles des équipes et que les déclarations d’EPR passent par l’instance de gestion des risques des établissements.
• La seconde conséquence est tout aussi fondamentale : elle a trait à l’enseignement des chirurgiens.
L’accréditation a été incitative pour une organisation fédérative de notre spécialité qui a pu ainsi s’approprier son « référentiel métier ».
Compte tenu de la représentation de chaque mode d’exercice en son sein, la Fédération est devenue un lieu privilégié d’échanges. Ainsi les recommandations, outils d’EPP ou sessions de formation, sont validés par les commissions scientifiques et professionnelles et donc mieux acceptées.
L’accréditation a permis à chaque spécialité de s’approprier l’identification de ses risques spécifiques et de concevoir ses propres actions d’EPP, d’organiser les formations quelle jugeait indispensable et d’établir des recommandations qui, comme le dit le Pr Bertrand Millat, « seront d’autant plus susceptibles d’être acceptées quelles auront été produites par ceux qui doivent les mettre en œuvre. »
Tout cela est contrôlé méthodologiquement par la HAS, le référentiel risque de la spécialité étant régulièrement actualisé.
Dans ce contexte, plus rien ne s’oppose à ce que le retour d’expérience vienne prendre une place aux côtés de l’Evidence Base Medecine (EBM) dans l’enseignement professionnel des chirurgiens.
Pour cela le législateur a favorisé l’accréditation qui vaut EPP et devrait valider le futur développement professionnel continu DPC. À ce sujet, il faut préciser que notre organisme agréé fait partie intégrante de la Fédération des spécialités médicales.
Le concept de l’EBM, apportant un niveau de preuve fourni par la recherche clinique, a détrôné les seuls avis d’experts et domine à ce jour l’enseignement et la pratique médicale.
Cependant, la rigueur de cette méthodologie, fondée sur des études randomisées, n’a pas facilité son acceptation dans « la vraie vie » dont se réclament les chirurgiens praticiens. Seule l’EBM peut fournir des preuves et des recommandations a priori, mais elle dévalorise l’expérience personnelle jugée incapable de produire une vérité objective. Or, les praticiens ont besoin que cette expérience personnelle, qui est leur source d’information quotidienne, soit prise en considération et je cite encore le Pr Millat : « la méthode de gestion des risques dite a posteriori, construite sur la détection et la prévention des erreurs médicales évitables, pourrait redonner du poids à l’expérience personnelle vécue dans la vraie vie. »
Dans ce paradigme, s’inscrivent des formations issues du signalement des EPR et apparaissent les revues de morbi-mortalité (RMM).
Mais, à l’instar de la formation continue, la formation initiale à la faculté et dans les services formateurs ne doit plus ignorer la gestion des risques et il serait fondamental d’inclure dans l’enseignement de chaque prescription ou technique, les risques potentiels qui lui sont associés.
En conclusion, l’accréditation a dépassé largement ses objectifs ; l’aide financière au paiement de la prime RCP en échange de déclarations d’EPR est désormais au second plan derrière l’appropriation par la spécialité restructurée d’une culture de la gestion des risques.
La diminution des événements indésirables sera d’autant moins longue à obtenir que l’enseignement professionnel qui découle du retour d’expérience réussira à s’imposer non seulement dans les établissements privés, mais également dans les établissements publics et à la faculté.
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