ILS SE SENTENT concernés en tant que médecins. Non par la question de l’homosexualité en tant que telle et de sa reconnaissance civile - tous nos interlocuteurs se rejoignent pour condamner l’homophobie. Mais par celle de l’adoption par des couples de même sexe, qui pose, selon eux, la question de la filiation ou de la parentalité. Comme dit le Dr Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, « je réagis d’abord en tant que médecin au sujet de la maturation progressive de l’enfant de deux parents du même sexe ». « Nous sommes concernés au premier chef par la question de l’homoparentalité quand elle passe par la PMA, en faisant appel au médecin », explique de son côté le Dr Bertrand Galichon, président du CCMF (Centre catholique des médecins français).
Les uns et les autres s’expriment donc en tant que médecins, et en tant que médecins qui se réclament d’un courant religieux ou spirituel. Mais l’espèce d’union sacrée affichée dans les médias entre les responsables religieux (cardinaux Vingt-Trois et Barbarin, grand rabbin Bernheim...) ne se retrouve pas forcément parmi les médecins engagés des diverses croyances. Il y a les franchement contre, les plutôt pour et ceux qui s’abstiennent, mais de manière résolue, résolue, à prendre position.
Catholiques : contre « l’indifférenciation égalitaire ».
Au CCMF, une longue résolution a été publiée après pas mal d’ajustements effectués dans des groupes de l’association en province. Certains médecins étaient réticents pour exprimer en premier lieu la « souffrance liée au fait homosexuel », « longtemps relégué dans un ghetto, souffrance de se découvrir autrement ». Mais le document final souligne « la responsabilité (des médecins cathos) d’accueillir cette souffrance quand elle a besoin de se dire (...) Le barbare n’est-il pas celui qui refuse l’humanité singulière de l’autre ? » La reconnaissance de « la valeur de liens homosexuels stables, analogue aux liens conjugaux » étant posée, c’est la parentalité homosexuelle qui est jugée comme « le centre du débat ». Pour le Dr Galichon, s’engage là « un débat éthique en lien avec la montée de l’individualisme et la revendication de l’autonomie, dans la vie comme dans la mort, avec la revendication sous-jacente d’un traitement égalitaire des couples homosexuels et hétérosexuels. Or, une réponse égalitaire refuse de prendre en charge les particularités. » Le CCMF dénonce « une indifférenciation égalitaire qui risque de plonger la société dans le chaos ». Et il s’inquiète des « possibles dérives marchandes de la grossesse pour tous. »
Protestants : débat sur la PMA.
Côté protestant, le Dr Nathalie Davous, membre du comité d’éthique de l’hôpital de Poissy, déléguée synodale de l’Église protestante unie de France (EPUF), estime que « le problème fondamental réside dans le fait que le mariage est le pilier de la famille (...) Le désir d’enfant ne saurait justifier un quelconque droit à l’enfant ». Et la praticienne de militer pour « faire obstacle à la PMA pour les couples lesbiens », un engagement personnel, précise-t-elle, qui fait débat au sein des instances de l’EPUF.
Musulmans : inquiétude pour les enfants et la famille.
L’Association médicale Avicenne France (AMAF, médecins musulmans) ne s’est pas prononcée officiellement. Mais le Dr Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris et ex-président du CFCM (Conseil français du culte musulman), cite le Coran, où « Allah fait tomber des pierres sur Sodome, après les excès auxquels se sont livrés ses habitants : "Vous couplez avec des hommes, vous vous détournez de la voie naturelle et vous commettez des turpitudes sur vos lieux de réunion" » (Co, XXIX, 28-29). Il souligne que « le projet divin s’incarne dans la famille au sein de laquelle vont croître et se multiplier des enfants légitimes. » En tant que médecin, « tout en ne voulant condamner ni culpabiliser personne », il considère que « la maturation progressive de l’enfant de deux parents du même sexe peut être fragilisée. »
Juifs : ni dogme, ni mot d’ordre.
Président de l’Association des médecins israélites de France (AMIF), le Pr Robert Hayat explique que son association « respecte la grande diversité de pensée et d’expression de ses membres sur un sujet qui relève d’un débat très intime en chacun. Alors que nous sommes saoulés par toutes sortes d’expressions politiques et dogmatiques sur ce projet, chacun doit s’efforcer d’y voir clair par soi-même. »
Le Pr Hayat ne cache pas sa « fierté », alors que les analyses éthiques et théologiques du grand rabbin Gilles Bernheim ont été saluées et reprises de diverses parts, y compris par le pape. « Sa pensée nous éclaire, mais le judaïsme est multiple, nous n’avons ni dogme, ni pensée unique, ni mot d’ordre. » C’est pourquoi le président de l’AMIF s’abstiendra d’exprimer même sa propre position « sur un sujet difficile qui relève de la conscience de chacun. »
Bouddhistes : pour la pluralité et contre la ghettoïsation.
S’exprimant au titre de l’UBF (Union bouddhiste de France), le Dr Olivier Rabary, qui enseigne l’éthique médicale à l’université de Marseille-Nice, rappelle que, dans sa voie spirituelle aussi, « il ne saurait être imposé un quelconque code moral, en matière de sexualité, chacun devant se garder des conduites qui seraient sources de souffrance pour autrui. C’est dans cette mesure que l’enseignement bouddhiste cultive depuis des milliers d’années une grande tradition d’adaptabilité au fonctionnement de la société civile. Sur le mariage homosexuel, c’est à la société française de choisir, par voie référendaire ou législative ». Plusieurs bénédictions nuptiales homosexuelles ont été célébrées en France depuis une quinzaine d’années, sans susciter de polémique.
Quant à la question de l’homoparentalité, le Dr Rabary note que « c’est le souci de l’enfant qui doit primer ; dans la mesure où la légalisation de l’adoption par des couples homosexuels prévient les risques de ghettoïsation et de discrimination, elle concourt à limiter la souffrance des enfants. C’est pourquoi je suis plutôt favorable à l’option de la pluralité retenue par le projet de loi ». Une position, souligne le Dr Rabary, qui, « pour être modérée, n’en est pas moins forte, elle n’est ni tiède, ni dogmatique. »
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