À L’IMAGE DE LA SOCIÉTÉ, le monde des spécialistes de l’enfance ne s’accorde pas sur l’ouverture du mariage, de la filiation, et de l’adoption aux couples homosexuels. Pédiatres, pédopsychiatres, psychanalystes, les divisions traversent les disciplines.
Crainte du brouillage généalogique
Le Dr Christian Flavigny, pédopsychiatre*, ne remet pas en cause l’éducation d’un enfant par un couple homosexuel et refuse de se placer sur un terrain clinique. Mais il s’inquiète en tant que psychanalyste du brouillage généalogique qu’amènerait pour un enfant l’ouverture de l’adoption aux homosexuels. « L’enfant sait qu’il est le fruit de la rencontre d’un homme et d’une femme, l’union des manques. La dynamique de sa psychologie intègre le besoin de combler ces manques. C’est en fonction de sa filiation que l’enfant créé ses repères », explique le Dr Flavigny. Face à des adultes de même sexe, l’enfant ne pourra pas établir de lien de filiation. « Il pensera "c’est de ma faute" si je suis privé de père. Ce qui n’est pas le cas si la deuxième femme est présentée comme la conjointe, avec certes une autorité parentale, mais pas de lien filial. Ce n’est pas une deuxième mère », poursuit le pédopsychiatre.
Selon lui, la loi changerait les principes de venue d’un enfant au monde, en autorisant des liens de filiation non crédibles - ce que le législateur a cherché à éviter en interdisant l’adoption à des quinquagénaires, explique le Dr Flavigny. Son ouverture aux homosexuels serait un retour au recueil d’enfant - lorsque des veuves ou des retraités accueillaient des orphelins - qui prévalait avant l’institutionnalisation de l’adoption plénière en France en 1966.
Liens d’attachement.
Le Pr Brigitte Chabrol, présidente de la Société française de pédiatrie (SFP), se veut rassurante et insiste sur l’importance des liens d’attachement, théorisés par le psychiatre John Bowlby, dans les années 1950. « L’enfant a besoin d’une figure sécure en face de lui, parent biologique ou autre adulte, qui transmette la stabilité, l’affection, la stimulation, l’éducation. Si c’est un couple de même sexe qui donne ces liens d’attachements, l’enfant pourra se construire », analyse la pédiatre. Quelque 20 000 enfants sont victimes de maltraitances chaque année, rappelle-t-elle, notamment dans des familles biologiques. Le Pr Chabrol se démarque du point de vue psychanalytique privilégiant une approche neurologique et comportementaliste du développement des enfants.
L’impossibilité de se forger un récit originaire ? « On observe cela dans toutes les situations d’adoption, quel que soit le couple. Il existe des facteurs de risque - l’adoption met en jeu le système d’attachement précoce, l’homoparentalité bouscule des repères classiques - mais qui ne signifient pas échec. On a vu des enfants développer des capacités d’adaptations supérieures », répond la présidente de la SFP. Pour elle, la sexualité des parents ne présente pas de surrisque et chaque enfant est unique. Le Pr Brigitte Chabrol met en avant son expérience clinique personnelle. Chef du service de pédiatrie spécialisée et médecine infantile à l’hôpital de la Timone à Marseille, elle ne voit que des enfants porteurs de handicaps. « Les enfants élevés par des couples homosexuels arrivent avec leurs deux parents et bénéficient de la même prise en charge. Je n’ai constaté aucun trouble qui pourrait être lié à la sexualité de leurs parents. Nous observons davantage de maltraitance au sein des familles biologiques mais cela s’explique en partie par leur surreprésentation statistique », constate-t-elle.
Quelle est la légitimité des médecins ?
Le Dr Stéphane Nadaud est l’un des premiers pédopsychiatres à avoir mené une étude psychologique et comportementaliste sur des enfants (58 précisément) élevés par des homosexuels, publiée en 2000. L’objectif était de décrire une population de parents homosexuels et les conduites adaptatives des enfants, non de juger de leur bien-être. Ses conclusions : Les spécificités notables chez les enfants ne sont pas corrélées avec l’homosexualité - qui ne peut être considérée comme un facteur de risque, depuis sa sortie du classement des maladies en 1994. Elles sont davantage à relier avec le mode de parentalité : séparation (quand l’enfant vient d’un contexte hétérosexuel), adoption, PMA, GPA...
Mais le Dr Nadaud se refuse à tout commentaire sur le mariage pour tous. De quel point de vue parle le médecin ? S’interroge-t-il. « En tant que clinicien, le médecin doit accueillir un individu dans sa souffrance sous toutes ses formes. En tant que psychanalyste, il doit s’appuyer sur une clinique. Je ne vois pas quelle légitimité ont les médecins à dire ce que la société devrait être - à moins de se positionner en moraliste », explique-t-il au« Quotidien ».
* Praticien attaché au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Auteur de « Je veux papa et maman, père-et-mère congédiés par la loi », Salvator Paris, novembre 2012.
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