LE QUOTIDIEN : Est-ce aujourd’hui plus difficile qu’ailleurs d’innover en France ?
CLAUDE LE PEN : Depuis une dizaine d’années, les pouvoirs publics ont fait beaucoup d’efforts avec de nombreuses réformes… Mais le système français reste assez peu lisible et complexe. Notre recherche repose sur une organisation un peu trop bureaucratique et éparpillée. Nous avons notamment une bonne recherche fondamentale, un gros réseau d’aides publiques. Toutefois, au niveau financier, il n’y a pas en France le même dynamisme que l’on peut retrouver par exemple aux États-Unis en matière de levée de fonds. En France, notre problème se situe surtout au niveau de la généralisation et de l’exploitation de l’innovation. Notre pays et nos entreprises ont du mal à internationaliser les innovations, à passer du stade du laboratoire au stade industriel. Le monde de l’entreprise et celui de la recherche restent dans notre pays deux univers qui se méfient l’un de l’autre et se connaissent encore assez peu.
Dans un récent rapport, l’OCDE a appelé à davantage d’ouverture, de flexibilité et d’adaptabilité dans le système de recherche français. Sommes-nous au moins sur la bonne voie ?
Nous avons un modèle d’innovation qui passe par les grosses institutions de type CEA, CNRS… Autrement dit un secteur extrêmement piloté, extrêmement organisationnel avec des statuts de chercheurs fonctionnaires très protégés. Or l’important, aujourd’hui, ce n’est pas d’être gros mais d’être rapide et fluide dans l’organisation et les prises de décision. Quand les gouvernements précédents ont essayé de financer d’abord des projets plutôt que des institutions, cela a soulevé des réticences y compris dans les milieux scientifiques plutôt conservateurs. On gère la science dans notre pays de manière un peu trop administrative, en se concentrant sur de grandes institutions alors que la tendance aujourd’hui est en faveur d’un mécanisme beaucoup plus fluide, avec une logique par projets, de réassortiments de compétences dans des temps limités, avec des valorisations économiques sur le marché, des statuts intermédiaires pour les chercheurs entre public et privé… Nous restons au contraire ancrés dans un modèle qui favorise la grande institution scienfitico-étatique d’après guerre.
Quelle que soit la majorité parlementaire, de nombreuses mesures se sont pourtant concentrées ces dix dernières années : notre politique de recherche et d’innovation est-elle suffisamment bien pensée pour faire la différence demain à l’échelle internationale ?
Le problème de la France en matière d’innovation se pose depuis des dizaines d’années. Aujourd’hui, les hommes politiques de droite comme de gauche savent que la reconquête de la croissance passe par la stimulation de l’innovation. Mais ce n’est évidemment pas simple car cela ne se décrète pas. Ce n’est pas qu’une question de moyens mais aussi de mentalité et d’organisation et il faut du temps. En France, même si la volonté politique est présente, notre recherche n’est pas non plus érigée en priorité absolue par les pouvoirs publics comme cela peut être le cas en Asie. Par ailleurs, on a laissé se développer dans l’opinion publique un certain scepticisme à l’égard de la science et une certaine méfiance à l’égard des scientifiques. La science a perdu son aura. On en montre plus les risques – réels – que les bénéfices – bien réels également. Le « principe de précaution » et surtout l’interprétation qu’on en a faite sont typiques à cet égard. Il faut revaloriser le savoir, la science, l’expertise savante qui procurent plus de solutions que de problèmes. Faute de quoi on sera inéluctablement décroché.
Article précédent
Les nouveaux carrefours de l’innovation
Article suivant
... Pour combien de temps encore ?
L’AMM, une étape incontournable avant la commercialisation du médicament
Un marché porté par des PME
L’État fédéral booste les start-ups
Les nouveaux carrefours de l’innovation
Claude Le Pen : « Nous restons ancrés dans un modèle scientifico-étatique d’après guerre »
... Pour combien de temps encore ?
Les places fortes de l’innovation mondiale
Yannick Neuder lance un plan de lutte contre la désinformation en santé
Dès 60 ans, la perte de l’odorat est associée à une hausse de la mortalité
Troubles du neurodéveloppement : les outils diagnostiques à intégrer en pratique
Santé mentale des jeunes : du mieux pour le repérage mais de nouveaux facteurs de risque