Dans un contexte d’hésitation vaccinale en France, la stratégie exposée par le gouvernement multiplie les garde-fous pour rassurer et convaincre la population : gratuité, absence d'obligation, renforcement de la pharmacovigilance, appui sur les généralistes, mise en place d’« ambassadeurs » de la vaccination et création d'un comité associant experts médicaux et des sciences sociales, placé sous l’autorité de l’infectiologue Alain Fischer.
« Une épidémie de cette sorte est un phénomène social, pour la compréhension duquel il faut solliciter des spécialistes des sciences sociales, a souligné le professeur d'immunologie. Cette stratégie marque « un changement de doctrine » dans l’approche du gouvernement face à la crise sanitaire et traduit « une prise de conscience que l’acceptabilité des mesures régresse dans la population », juge Jocelyn Raude, enseignant-chercheur de psychologie sociale à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). « Avec sa mise en place par étapes, cette stratégie est habitée par la prudence, poursuit le spécialiste de l’hésitation vaccinale. On voit bien l’effort de ne pas répéter les erreurs de la grande campagne de 2009 contre le H1N1 qui avait été un échec relatif ».
Éviter de renouveler l'échec de 2009
À l’époque, 80 millions de doses de vaccins avaient été commandées, mais seulement 10 % de la population avaient finalement été vaccinées. Organisée à l’écart des circuits de soins habituels, sans les généralistes, l’opération avait suscité de nombreuses critiques et controverses qui ont entamé la confiance dans la vaccination des Français, jusque-là bons élèves en la matière.
« Les controverses récurrentes, et sans doute les maladresses politiques, ont eu une influence très négative sur les taux de couverture vaccinale pendant plusieurs années, observe Jocelyn Raude. La réticence vaccinale, autour de 10 % jusqu’à la fin des années 2000, avait atteint autour de 40 % en 2016, avant de redescendre autour de 20 % ».
Dans un contexte de résurgence de discours de défiance, voire complotistes, associée à une banalisation de la maladie, où une part de la population n’a plus peur du Covid-19, le gouvernement a opté pour une stratégie progressive, ciblant d’abord les plus âgés et les plus vulnérables.
Cette approche est « conforme à ce qu’on sait des intentions vaccinales, qui sont surtout structurées par l’âge et dans une moindre mesure le sexe », estime Jocelyn Raude. Le chercheur anticipe ainsi un début de campagne sans obstacle majeur, grâce à une organisation s’appuyant sur les généralistes et au ciblage prioritaire des publics les plus à même de se faire vacciner. « Les choses deviendront problématiques lors de l’élargissement de la vaccination à des groupes moins mobilisés et moins intéressés par le bénéfice de cette protection », poursuit Jocelyn Raude.
Construire collectivement des solutions
Pour cette étape, la création d’« ambassadeurs » de la vaccination, dispositif où les premiers vaccinés seraient chargés de communiquer sur leur choix, pourrait se révéler décisive. Le dispositif s’avère similaire à une initiative pilote menée depuis deux mois sur le site de l’EHESP à Rennes.
« La littérature fait état de preuves empiriques fortes sur l’inefficacité d’une communication de promotion vaccinale qui serait verticale, ascendante. Cela n’impacte ni les intentions, ni les couvertures vaccinales, explique Jocelyn Raude. Ce qui fonctionne, c’est la communication horizontale, par le bas, et essentiellement par les professionnels de santé. Ce qu’on expérimente à l’EHESP, c’est la communication par les pairs, les étudiants en l’occurrence ».
L’adoption d’une communication plus horizontale par le gouvernement, en rupture avec sa première approche plus centralisée du début de crise, est également soulignée par le professeur de management, communication et crise à l’EHESP, Bertrand Parent. « Les mesures proposées sont intéressantes car elles inscrivent la stratégie vaccinale dans une démarche de "régulation conjointe" (où les règles qui régissent un collectif sont établies conjointement entre les différents acteurs). Ce sont, à mon sens, les seules méthodes qui permettent de construire collectivement les solutions qui conviennent, celles qui fonctionnent en pratique ».
La « régulation conjointe » se concrétise dans le colloque singulier entre patients et professionnels de santé. Ce sont les soignants « qui peuvent être garants de l’existence d’un espace de discussion et de décision au sujet de la vaccination, et permettre de faire émerger chez l’usager du système de santé, si ce n’est un consentement éclairé mais une décision quant à la vaccination », insiste Bertrand Parent, qui suggère de former les professionnels de santé à l’accompagnement de la décision vaccinale.
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