DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
FIN DE MATINÉE habituelle à l’hôpital « national » de Rabouni, à l’extrême sud-ouest de l’Algérie. De vieilles Mercedes, les taxis locaux, déposent adultes et enfants devant l’entrée surveillée par un garde. Une trentaine de Sahraouis s’attroupent aux portes des Urgences alors que des patients attendent calmement dans le couloir des consultations. Dans les chambres, les personnes hospitalisées préfèrent les tapis étendus au sol aux lits à barreaux…
La scène pourrait se dérouler dans beaucoup d’autres pays, d’Afrique notamment. Sauf qu’ici, ce n’est pas un « pays » mais un territoire au statut bâtard, à la fois en terre algérienne et sous le contrôle exclusif du Front Polisario et de son gouvernement en exil de la « République arabe sahraouie et démocratique ». Une sorte de no man’s land pour un peuple sans terre, qui subit depuis 35 ans chaleurs implacables et tempêtes de sable. Une « prison » à ciel ouvert, où ce qui devait rester provisoire s’est transformé en piège.
Partis du Sahara occidental pour se protéger des combats qui opposent entre 1976 et 1991 les Sahraouis et les Marocains, 40 000 réfugiés n’ont eu d’autre choix que d’attendre, d’espérer, de garder la foi en un retour proche, portée par le Polisario et entretenue par les résolutions de l’ONU qui mettent le droit international de leur côté. Mais, après l’attente, est venue l’exaspération. Ils sont désormais 150 000 à vivre sur cette terre sans végétation, sans eau et sous perfusion de l’aide internationale et de rations alimentaires bien pauvres pour une population carencée.
Par devoir.
C’est au milieu de ce désert que 10 à 15 médecins sahraouis ont décidé d’exercer, par « devoir » envers les leurs. En ce samedi matin, le Dr Moulayahmed, 40 ans, consulte à l’hôpital « national » de Rabouni. Les patients se pressent pour le voir, jusque contre la porte de son bureau qu’il doit fermer à clé pour ne pas être dérangé. Ils seront 30, 40, peut-être 50 à y entrer ce jour-là. Habituel pour cet urologue. « Je vois tous les gens qui viennent, explique-t-il dans un espagnol qu’il parle couramment. Je ne sais pas à quelle heure je vais terminer. » Peu importe d’ailleurs : « Mon premier devoir est de répondre aux besoins de la population. » Ce « sacrifice » peut paraître difficile à comprendre. Des confrères ont préféré partir, en Espagne notamment, pour pouvoir envoyer un peu d’argent à leurs proches restés dans cette partie du Sahara. Sûrement aussi pour s’ouvrir des perspectives quand celles des habitants des camps se sont réduites d’année en année. On se dit que l’abnégation du Dr Moulayahmed trouve sans doute ses origines dans son parcours. Mais il n’est pas exceptionnel ici.
Ce spécialiste est né à El-Ayoun, alors capitale du Sahara occidental. C’est ce territoire situé entre le Maroc et la Mauritanie le long de l’océan Atlantique que se disputent le royaume chérifien et le Front Polisario depuis le départ de l’Espagne en 1975. Lui et ses parents doivent fuir le conflit armé et leurs terres riches de ressources naturelles importantes. Ils rejoignent ainsi El-Ayoun, le camp baptisé du nom de leur ville d’origine. Le frère, les deux sœurs et l’oncle restent à l’ouest du mur de sable érigé par les Marocains sur plus de 2 400 km. Une zone sous administration marocaine, où la répression envers les Sahraouis qui militent pour l’indépendance est toujours d’actualité, dénoncée par des ONG comme Amnesty International* et Human Right Watch.
À 11 ans, comme des milliers d’autres enfants sahraouis sélectionnés parmi les meilleurs élèves, il rejoint Cuba. Oran-La Havane, 15 jours de bateau puis… 13 années passées sur place, d’abord sur « la Isla de la juventud » pour terminer sa scolarité puis dans la capitale cubaine pour faire sa médecine générale. Retour de 1995 à 2001 dans les camps algériens et dans les « territoires libérés » (partie du Sahara occidental reprise aux Marocains et désormais sous contrôle du Polisario) comme généraliste. Un second séjour de cinq ans supplémentaires à Cuba permettra au Dr Moulayahmed de se spécialiser.
Seul urologue pour 150 000 personnes.
Depuis 2006, le seul urologue pour 150 000 personnes enchaîne les consultations et, même s’il tient des permanences dans les cinq campements où existent des hôpitaux « régionaux » et des dispensaires dans chaque quartier, des patients rejoignent Rabouni - siège des « administrations » principales de ce gouvernement en exil - et son hôpital « national » pour le voir. Selon le Dr Moulayahmed, de 70 à 90 % de la population sont concernés par sa discipline. « À cause de la nature de l’eau que les gens utilisent, il y a beaucoup de problèmes de calculs rénaux, souligne-t-il. Hier, j’ai vu un enfant de 2 ans et 4 mois qui présentait un calcul d’un centimètre. » Mais le matériel manque, les professionnels compétents aussi. « C’est ici les mêmes conditions que pour tous les réfugiés du monde : j’ai le matériel, le médicament, c’est bien ; je n’ai pas, je m’adapte… », constate-t-il en haussant les épaules.
Restent alors les « commissions » étrangères qui arpentent régulièrement les camps depuis 1979 et qui apportent un certain oxygène aux médecins et infirmiers locaux. Celle qui vient en cette mi-mai est très attendue par la population. ORL et audioprothésistes du Pays basque espagnol ne seront sur place que trois jours mais, grâce à une présélection des patients, les consultations dans les camps et en territoire libéré et les opérations vont s’enchaîner, excepté le vendredi, jour de repos. L’affluence atteint des records : un vent quasi-incessant et l’omniprésence du sable qui va jusqu’à pénétrer dans les oreilles expliquent une grande fréquence des otites chez les enfants.
Pour Fadel Moktar, le directeur de l’hôpital, ces commissions sont bien le signe d’un « niveau sanitaire acceptable », avant d’ajouter : « Dans les conditions de vie qui sont les nôtres ». « Nous n’avons pas de maladies épidémiques, grâce, notamment, à un plan de vaccination annuel mis en place depuis 1977, nous garantissons une assistance gratuite à l’ensemble de la population, et nous offrons une prise en charge graduée, avec les dispensaires, les hôpitaux de chaque camp, l’hôpital national, et, si nécessaire, des transferts vers l’hôpital algérien de Tindouf ou encore vers l’Espagne », précise-t-il fièrement.
Logiques d’urgence.
Mais cette organisation ne tient souvent qu’à un fil. Celui de la solidarité internationale. « C’est vrai que nous sommes tout à fait dépendants de cette solidarité, reconnaît Fadel Moktar. C’est difficile de garantir un système pérenne dans ces conditions mais nous ne pouvons pas faire autrement… » Il faut composer avec les ONG, et parfois aussi avec leurs travers. Beaucoup ne viennent que ponctuellement, et souvent avec des méthodes de travail incompatibles avec les contraintes locales. D’autres ont pour seul objectif un projet défini bien loin des réalités et des besoins du terrain. En somme, la plupart appliquent des logiques d’urgence parce qu’elles ont à faire à des réfugiés alors que l’installation dans la durée appellerait d’autres méthodes.
* Lire sur le sujet le rapport de l’ONG d’avril 2010.
Protection de l’enfance : Catherine Vautrin affiche ses ambitions pour une « nouvelle impulsion »
Dr Joëlle Belaïsch-Allart : « S’il faut respecter le non-désir d’enfant, le renoncement à la parentalité doit interpeller »
Visite médicale d’aptitude à la conduite : le permis à vie de nouveau sur la sellette
Le dispositif Mon soutien psy peine à convaincre, la Cnam relance l’offensive com’