La révolution thérapeutique commande une évolution du mode de régulation des médicaments. À cet effet, le gouvernement mise sur deux leviers principaux : la pertinence des prescriptions pour éviter des dépenses inutiles et de nouveaux mécanismes de fixation des prix.
Les enjeux sont lourds : sur 200 milliards d'euros de dépenses dans le cadre de l'ONDAM, près de 20 % concernent les produits de santé. Les prix des innovations de rupture s'envolent, conduisant les gouvernements à engager des bras de fer avec les laboratoires. En mars 2017, Marisol Touraine s'était réjouie de la baisse de prix des traitements innovants contre l’hépatite C, obtenue au terme d'une « négociation ferme », à hauteur de 28 700 euros la cure (contre 41 000 euros initialement pour le Sovaldi).
Génériques : mobiliser les spécialistes et les hôpitaux
Pour retrouver des marges budgétaires (autrement que par le levier systématique des baisses de prix qui fragilisent la politique conventionnelle), la pertinence est érigée en priorité. L’objectif est de traquer les prescriptions injustifiées, tant en ville qu'à l'hôpital. La France reste parmi les « trois plus gros consommateurs d'antibiotiques » des pays de l'OCDE, cite le rapport Aubert. Le recours aux psychotropes s'affiche « au second niveau européen », quatre fois supérieur aux consommations observées en Allemagne. Quant au taux de recours aux génériques et biosimilaires (de l'ordre de 35 % en France), il demeure loin de pays comparables (80 % d'utilisation au Royaume-Uni).
L'élargissement de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), intégrant un objectif synthétique de prescription dans le répertoire, pourrait être envisagé pour les spécialistes et les hôpitaux. « Chaque acteur (généraliste, spécialiste, établissement) pourrait disposer de manière régulière de son taux de prescription au sein du répertoire des médicaments génériques et biosimilaires, ajusté en fonction des caractéristiques de sa patientèle », indique le rapport Aubert. Pour certains établissements ou professionnels, des indicateurs plus fins de pertinence des prescriptions pourraient faire l'objet d'expérimentations (dans le cadre prévu par l'article 51).
La question de la prise en charge des molécules onéreuses dans les établissements est également posée. Le rapport Aubert suggère de « revoir les critères d'admission sur la liste en sus », mécanisme qui permet de payer les produits à l'euro/l'euro avec « peu de contrainte au recours ».
Tarifer selon la performance
L'autre volet concerne la fixation des prix. Aujourd'hui, c'est l'amélioration du service médical rendu (ASMR) qui est le critère déterminant. Une des pistes consiste à conditionner une partie de la rémunération à la valeur ajoutée d'un produit ou d'un traitement dans ses conditions d'utilisation.
Le LEEM (Les entreprises du médicament) rejoint le rapport Aubert en faveur du développement – pour les innovations majeures – des contrats de performance signés entre le CEPS (comité économique des produits de santé) et les entreprises. Las, ces contrats qui lient l’attribution du prix à l'efficacité clinique en vie réelle restent difficiles à mettre en place. Selon l'économiste Claude Le Pen, « le CEPS est sceptique car il faut fixer les critères, suivre les patients. Il y a beaucoup de questions sans réponse ».
Les industriels misent sur la prochaine négociation de l'accord-cadre (2020) avec l'État pour revoir les conditions d'évolution des prix en fonction des données en vie réelle. La réforme de l'évaluation des médicaments vers un indicateur unique, la valeur thérapeutique relative (VTR), doit permettre d'intégrer cette priorité dans les prix.
Visibilité et rapidité
Pour les laboratoires, les engagements annoncés en juillet dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) restent la feuille de route. En matière de régulation des dépenses, Édouard Philippe a promis de rendre le système de régulation « lisible et prévisible », à la faveur d'une programmation pluriannuelle, également réclamée par le rapport Aubert. Pour l'ensemble des dépenses remboursées, le plancher minimum de croissance sera de 1 % sur les trois prochaines années.
Le LEEM défend enfin une tarification temporaire, permettant de réduire les délais. « Dans une période d'innovation, on permet aux molécules d'arriver précocement sur la base d'un dossier clinique arrêté souvent à la phase II, avec une AMM conditionnelle. Pour ces cas précis, il s’agirait de fixer une valeur thérapeutique conditionnelle et un prix conditionnel », résume Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques et internationales du LEEM. Ces médicaments seraient ensuite réévalués, et le prix réadapté en conséquence.
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