Idées suicidaires, nouvelles addictions, écoanxiété, etc. Lors de leur congrès annuel, les psychiatres français ont dressé un tableau plutôt sombre de la santé mentale des jeunes. Si, sur de nombreux aspects, la pandémie a contribué à dégrader la situation, le problème semble plus large et tend à s’ancrer dans la durée.
Près de trois ans après le début de la crise sanitaire liée au Covid-19, la santé mentale des enfants, adolescents et jeunes adultes reste dégradée. C’est ce que confirment divers travaux présentés au Congrès français de psychiatrie, qui s’est tenu à Lille du 30 novembre au 3 décembre 2022.
Avant même l’instauration des restrictions, « on savait que le confinement et le repli sur soi n’étaient pas bons pour la santé mentale », souligne le Dr Raphaël Gourevitch, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne (Paris). Comme le rappelle le spécialiste, au niveau international, des épidémies précédentes, « certes, plus circonscrites », de grippe aviaire, d’Ebola, etc., avaient en effet déjà suggéré un impact des mesures d’isolement sur la prévalence des troubles anxieux ou post-traumatiques, sur le sommeil et surtout sur les troubles dépressifs. Et, lors de la crise sanitaire, « une intuition générale de mal-être durable touchant notamment les adolescents et les jeunes adultes » a rapidement émergé.
Les idées suicidaires en forte hausse chez l’adolescent
Plusieurs équipes ont confirmé ce constat, à l’instar de celles des urgences psychiatriques du GHU de Paris coordonnées par le Dr Gourevitch. Les cliniciens ont analysé l’évolution de la fréquentation de leur service entre la période des confinements et les trois années précédentes. Ce travail met en évidence un rajeunissement des patients, la proportion des 15-25 ans atteignant plus de 30 % entre mars 2020 et mars 2021. Et globalement, « des jeunes de plus en plus jeunes convergent vers les urgences psychiatriques », ajoute le Dr Gourevitch. Un rajeunissement qui s’accompagne d’une féminisation de la fréquentation, « avec 52 % de filles, alors qu’une majorité de garçons consultait auparavant ». Les principaux motifs de consultation de ces jeunes concernent des troubles anxieux, des troubles du sommeil et, surtout, des idées suicidaires.
Le dispositif Santé Psy Étudiant prolongé
Mis en place en mars 2021 pour faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid sur la santé mentale des jeunes, le dispositif Santé Psy Étudiant est prolongé en 2023. Ce programme gratuit d’accompagnement psychologique s’adresse à tous les étudiants, y compris ceux déjà engagés dans un parcours de suivi. Après une consultation d’orientation chez un généraliste ou dans un service de santé universitaire (SSU), ceux qui en ont besoin peuvent bénéficier de huit consultations gratuites avec un psychologue, sans avance de frais. À terme, le dispositif devrait être intégré au dispositif général de l’Assurance Maladie MonParcoursPsy.
En matière d’idées et de comportements suicidaires, des données de Santé publique France présentées au congrès confirment à l’échelle nationale une « détérioration importante de la santé mentale » des Français qui s’installe dans la durée. Certes, cette dégradation concerne toute la population. Mais certaines classes d’âge se révèlent particulièrement touchées. À l’instar des seniors et, surtout, des plus jeunes. Désormais, « la prévalence (des idées suicidaires) est plus élevée chez les jeunes que dans le reste de la population », déplore Santé publique France. En 2020, le phénomène concernait 7,4 % des 18-24 ans contre moins de 4,5 % des autres classes d’âge. Et, en 2021, le réseau Oscar a recensé une augmentation des passages aux urgences pour troubles de l’humeur, idées suicidaires et gestes suicidaires de respectivement 23 %, 94 % et 12 % chez les 18-24 ans et de 58 %, 121 % et 34 % chez les 11-17 ans. Une tendance à la hausse qui semble s’être poursuivie en 2022 selon les premières estimations de Santé publique France.
Près de la moitié des lycéens adeptes des jeux d’argent
Au-delà des troubles dépressifs et du suicide, la pandémie a aussi creusé le lit d’addictions chez les jeunes. À l’instar de l’addiction aux jeux d’argent, au centre d’une session du congrès. Bien que cela reste interdit aux mineurs, on observe de longue date « un niveau de pratique élevé » chez les moins de 18 ans alors même que la « prévalence du jeu problématique est plus élevée chez les adolescents que chez les adultes », déplore le Dr Morgane Guillou-Landréat (Brest). L’addictologue a conduit, en collaboration avec des étudiants en santé, une enquête visant à évaluer les pratiques de jeux d’argent et de hasard auprès de 950 lycéens de Brest de 15 à 18 ans dans les deux ans suivant la pandémie. Résultat : 46 % d’entre eux avaient déjà joué de l’argent, dont 65 % dans l’année écoulée. Et près de 10 % pouvaient être considérés comme des joueurs problématiques, résume le Dr Guillou-Landréat.
Du bupropion contre l’addiction aux écrans ?
La prise en charge des addictions aux écrans reste difficile. C’est ce qui se dégage d’une méta-analyse de dix revues de la littérature présentée au congrès. Ce travail fait néanmoins émerger quelques pistes encourageantes. De fait, des preuves de niveau « acceptable » suggèrent que la TCC pourrait s’avérer efficace, en particulier en cas d’adjonction d’une psychoéducation parentale, qui permet d’améliorer l’observance, précise Pierre Taquet (Lille). Selon le psychologue, un niveau de preuve moindre évoque aussi l’intérêt de traitements médicamenteux, à l’instar du Bupropion.
Autre addiction potentiellement favorisée par la crise sanitaire : l’addiction aux écrans et en particulier aux jeux vidéo, l’exposition des plus jeunes ayant augmenté suite aux confinements. Une méta-analyse parue fin 2022 dans le Jama Pediatrics montre que chez les enfants, le temps quotidien d’utilisation récréative d’écrans a augmenté de 84 minutes avec le confinement pour atteindre désormais quatre heures hors temps scolaire, et même cinq heures chez les adolescents. La prévalence de cette addiction et son évolution restent toutefois difficiles à évaluer, faute notamment d’une définition claire.
L’écoanxiété se précise
Pour d’autres troubles de la santé mentale affectant volontiers les jeunes, des efforts de définition font émerger de premiers chiffres de prévalence. C’est le cas pour l’écoanxiété.
Si, pour le Giec, les impacts directs du changement climatique sur la santé mentale sont bien étudiés, ses impacts indirects, parmi lesquels l’écoanxiété, restent globalement encore mal évalués, résume Alexandre Heeren, professeur de psychologie à l’université de Louvain. Malgré une forte médiatisation, « si on regarde PubMed, on a en tout et pour tout 13 publications sur le sujet », basées sur des définitions encore mouvantes, déplore le psychologue.
Pour y voir plus clair, une spécialiste du Giec – Susan Clayton – a proposé une définition. Pour elle, l’écoanxiété, ou anxiété climatique, consiste en « une anxiété associée aux conséquences actuelles, déjà en cours ou futures, du changement climatique, du manque d’actions à son égard et de l’incertitude quant à ses conséquences anticipées ». Pour être considérée comme un trouble, cette anxiété doit par ailleurs se révéler à l’origine de « troubles fonctionnels » et ainsi manifester « un impact sur la vie quotidienne ».
Partant de cette définition, de premières estimations de la prévalence de l’écoanxiété ont été réalisées. Deux échantillons américains ont retrouvé une prévalence globale de 18 à 20 %. Pour sa part, le Pr Heeren a trouvé dans une cohorte francophone (2 000 individus français, belges, suisses, congolais, gabonais, marocains, etc.) une prévalence de 12 %.
Le trouble pourrait s’avérer plus fréquent encore chez les plus jeunes. Selon une étude conduite sur 10 000 sujets de 16 à 25 ans vivant dans plus de dix pays différents, publiée en 2021 dans le Lancet Planetary Health, près de 60 % des jeunes apparaissent « extrêmement anxieux » face au changement climatique et 45 % des adolescents manifestent des troubles fonctionnels sévères au quotidien.
Le refus scolaire anxieux, une pathologie à part entière ?
Le refus scolaire anxieux – anciennement appelé « phobie scolaire » – relève-t-il d’une pathologie psychiatrique ou d’une problématique scolaire ?
Alors que certains pointent un système d’éducation compétitif et le développement du cyber-harcèlement, la CIM-10 et le DSM-5 définissent le refus scolaire anxieux comme une complication d’un trouble anxieux, rappelle le Dr Hélène Denis (Montpellier). Mais pour la pédopsychiatre, il s’agit d’un trouble mental à part entière associant plusieurs composantes. Dans une étude portant sur une population d’une cinquantaine de collégiens refusant de se rendre à l’école, la pédopsychiatre et son équipe décrivent la présence de plus de trois troubles anxieux chez 60 % des enfants. Par ailleurs, le « fonctionnement global » de ces patients n’atteignait que « 50 à 60 % du fonctionnement normal d’un adolescent », rapporte le Dr Denis.